Viande bovine : « Il faut financer un maillage territorial des abattoirs » pour la FNH
La Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) le dit sans tabou : la filière bovine est enlisée dans une crise économique catastrophique. Elle fait l’état des lieux d’une filière sous perfusion, avec des éleveurs en détresse et des abattoirs qui ferment en cascade. La Fondation appelle à une réflexion structurelle des pouvoirs publics et des interprofessions, en prenant en compte les enjeux environnementaux. Bio, Label Rouge, changement de races, extension d'Egalim, modes de consommation, la FNH livre ses proposition.
La Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) le dit sans tabou : la filière bovine est enlisée dans une crise économique catastrophique. Elle fait l’état des lieux d’une filière sous perfusion, avec des éleveurs en détresse et des abattoirs qui ferment en cascade. La Fondation appelle à une réflexion structurelle des pouvoirs publics et des interprofessions, en prenant en compte les enjeux environnementaux. Bio, Label Rouge, changement de races, extension d'Egalim, modes de consommation, la FNH livre ses proposition.
Deux ans de travail, c’est le temps que la Fondation pour la Nature et l’Homme a pris pour travailler sur les « causes profondes de la détresse des éleveurs » et livrer un rapport qui pousse à l’action en faveur de l’agroécologie.
Des subventions à l'élevage allaitant inefficaces
« On craint une catastrophe économique et industrielle, c’est un constat sévère mais lucide », explique d’entrée de jeu Thomas Uthayakumar, directeur des programmes et du plaidoyer de la fondation.
« On craint une catastrophe économique et industrielle, c’est un constat sévère mais lucide »
Et les politiques actuelles ne servent à rien face à la crise, « en 10 ans, les subventions à l’élevage allaitant ont progressé de 20 %, mais les revenus des éleveurs ont baissé », illustre-t-il, posant la question de « l’efficacité de la dépense publique ».
Un coupable, le steak haché
Le poids du steak haché dans la consommation de viande bovine a gagné 34 points en 25 ans, et pèse pour plus de la moitié des volumes désormais. « Or c’est défavorable à l’élevage allaitant, notamment face aux vaches laitières 30 % moins chères » explique Elyne Etienne, responsable élevage durable à la fondation, décryptant le cercle vicieux de la filière : « Il y a une décapitalisation par manque de rentabilité. Pour les abattoirs, cela signifie une perte d’activité, avec un taux d’activité autour de 60 %. Ils s’orientent vers le haché pour plus de rentabilité. Or les vaches à viande y sont en concurrence avec les vaches laitières, et du coup, les élevages allaitants ferment, c’est la spirale de la décapitalisation ».
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Une chaîne de valeur qui profite peu aux éleveurs… ni aux abattoirs
La FNH a décrypté les quatre chaînes de valeur de la viande bovine :
- Faire du volume, d’entrée de gamme : avec 49 % de parts de marché, c’est la chaine qui domine, mais aucun maillon n’en bénéficie, puisque tous présentent un résultat économique négatif.
- Créer de la valeur par le lieu de consommation : avec 31 % de part de marché, cette chaîne regroupe les volumes vendus en boucherie ou RHD. Mais seul le maillon final bénéficie de cette valeur.
- Créer de la valeur par le marketing : avec 12 % de part de marché, c’est le cas de Charal qui a su installer une marque forte. Cette chaîne profite à la distribution comme au transformateur, mais pas à l’éleveur.
- Création de valeur par la pratique agricole : avec seulement 8 % de part de marché, les Label Rouge et le Bio ne sont pas pour autant une solution idéale dans les conditions actuelles puisque si l’amont agricole et la distribution en profitent, l’abattage découpe ne parvient pas à dégager assez de valeur.
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Face à ce constat, que propose la FNH pour la filière bovine ?
Thomas Uthayakumar est catégorique, « si l’on poursuit dans le système actuel, ce modèle destructeur de valeur, on aura des abattoirs qui ferment à tour de bras, quelques-uns survivront, concentrés à l’Ouest. Du côté des fermes, il faudra s’attendre à une intensification ; et plutôt qu’un élevage à l’herbe valorisant les prairies, un engraissement au maïs et soja ; de la déforestation importée ».
«On aura des abattoirs qui ferment à tour de bras, quelques-uns survivront, concentrés à l’Ouest. »
Manger moins mais mieux
« On importe 20 à 25 % de notre consommation de viande, on peut diminuer d’autant la consommation sans impact sur la filière française », réagit Elyne Etienne, qui pousse vers « un mix plus équilibré sur le maillon distribution, avec davantage de boucheries, de circuits courts ».
Refondre le cadre commercial pour la viande bovine
« Les éleveurs vendent à perte alors même qu’on a eu Egalim 1, 2 et 3 ! Il faut appliquer les sanctions et forcer à la contractualisation, et même aller plus loin, et instaurer un prix plancher », avance Elyne Etienne, demandant ensuite « plus de transparence sur les bénéfices », évoquant Bigard qui ne publie pas ses comptes, « mais aussi sur les exonérations sociales et fiscales dont bénéficient l’abattage découpe et la distribution ».
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Restructurer la filière
La FNH s’appuie sur deux piliers, une re-territorialisation de la production, « faire coïncider l’offre et la demande, avec la relocalisation de l’engraissement », explique Thomas Uthayakumar et un changement dans le Chepteel. Des races plus rustiques, plus légères, et il incite le Cniel et Interbev « à se concerter pour implanter des races mixtes engraissées localement ».
« Implanter des races mixtes engraissées localement ».
Transposer les critères Egalim à tout l’aval
La proposition la plus disruptive de ce rapport est peut-être celle qui vise à étendre les obligations instaurées pour la restauration collective, avec un seuil de produits sous signe de qualité, à l’ensemble des débouchés, soit aussi la GMS et la restauration commerciale. « La Cour des Comptes européenne vient de fustiger l’UE sur la promotion de la bio, il faut reprendre un morceau de chaque pilier de la PAC, les flécher vers les MAEC, on aura la capacité de redynamiser les filières ! » explique Thomas Uthayakumar. C’est d’ailleurs cette utilisation des financements PAC qui « ne devrait pas produire un delta de prix pour le consommateur aussi important qu’on pourrait l’imaginer », justifie Elyne Etienne, « d’ailleurs actuellement au rayon steak haché le prix varie de 1 à 3 pour des produits pouvant venir de la même exploitation, il faut y remettre du sens ».
« Il faut déstandardiser ce produit basique qu’est le steak haché »
Reconnecter les consommateurs
« L’enjeu, c’est de reconnecter le consommateur et le produit », résume Christophe Alliot du Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (BASIC), qui a travaillé au rapport. Il continue « pour que tous les maillons puissent en vivre, il faut déstandardiser ce produit basique qu’est le steak haché. C’est faisable comme nous l’a montré l’exemple de la brique de lait », devenue vecteur d’un positionnement du consommateur (bio, équitable…). Alors que le Label Rouge était un axe du plan de filière bovine, et qu’il est actuellement empêtré dans la crise, Christophe Alliot pose la question du rôle de l’aval « L’amont fait son travail, il faut que l’aval le fasse aussi en ne présentant pas au consommateur un simple label, mais une reconnexion ».
Quelles solutions pour les abattoirs ?
« Il ne faut pas se mentir, la situation des abattoirs est aujourd’hui catastrophique, a décapitalisation se fait pour des raisons économiques mais elle est, de toutes façons, nécessaire pour des raisons écologiques. Les volumes vont devoir se réduire » tranche Thomas Uthayakumar.
« La situation des abattoirs est aujourd’hui catastrophique »
Deux solutions s’ouvrent, concentrer les outils géographiquement, surtout dans le Grand Ouest. Ou la réduction de capacité de chaque site. « Certes ce sera coûteux, mais les deux voies le sont. Il faut financer un maillage territorial, avec un état des lieux et une contribution bien fléchée au titre du deuxième pilier de la PAC », explique-t-il, insistant sur le Massif Central.
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Quel devenir pour ce plan pour la filière bovine
Interrogés par Les Marchés sur la suite, les rédacteurs du rapport répondent « Nous ferons part de ces travaux à la ministre de l’Agriculture. Il est important d’assumer l’état de santé de cette filière et il faut avoir une discussion constructive pour trouver une nouvelle voie, ce qu’on a pu avoir avec Interbev ».
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« Nous serons présents au Sommet de l’élevage pour en discuter »
Thomas Uthayakumar précise qu’« il nous reste aussi le véhicule de la LOA laissé de côté suite à la dissolution, et pourquoi pas un Egalim 4, nous serons présents au Sommet de l’élevage pour en discuter, notamment avec les politiques ».