La filière viande fait le choix du dialogue avec la société
Interbev a annoncé la semaine dernière le lancement d’un pacte « pour un engagement sociétal » s’appuyant sur la norme Iso 26000 et privilégiant le dialogue avec la société, et notamment avec les associations. Sans pour autant chercher à masquer les différends sur le fond. Explications.
Cernée de toutes parts sur les questions de société, la filière élevage-viande a choisi de passer à l’offensive en entamant une démarche de progrès collective et en promettant d’approfondir le dialogue avec ses différents interlocuteurs. Le président d’Interbev, Dominique Langlois, a ainsi annoncé la semaine dernière que les professionnels du secteur avaient convenu de se fédérer autour d’un « pacte pour un engagement sociétal ». « Une initiative collective et de long terme qui doit permettre de trouver un contrat social avec les consommateurs », a-t-il promis lors d’une conférence de presse.
L’interprofession, qui a créé en son sein une commission « enjeux sociétaux », il y a un an, entend ainsi structurer les différents travaux, réflexions et démarches de progrès entrepris dans la filière ces dernières années sur les sujets liés au bien-être animal, à l’environnement et à la nutrition. Elle compte s’appuyer pour cela sur une démarche de responsabilité sociétale, encadrée par la norme internationale Iso 26000, une référence qui s’est imposée dans l’agroalimentaire. Dans une première étape entamée en 2016 et qui sera terminée en 2017, Interbev va recenser les bonnes pratiques et démarches de progrès collectives existantes en matière d’alimentation et de nutrition humaine, d’entreprises et de salariés, d’environnement, de bien-être animal et de santé animale. Viendra ensuite le moment de présenter cet état des lieux en vue « de consolider et d’ouvrir plus largement le dialogue et construire ainsi les nouveaux axes de progrès de la filière », écrit Interbev.
« Face aux nouvelles questions sociétales, nous avons fait le choix de changer de logiciel », a expliqué l’éleveur Bruno Dufayet, le président de la commission enjeux sociétaux d’Interbev et nouveau président de la FNB, en première ligne sur ce projet. « Il s’agit d’écouter les consommateurs, de comprendre ses attentes et de proposer une viande française qui y réponde. Il s’agit aussi de toujours mieux expliquer et décrire nos pratiques. »
Les responsables de l’interprofession ont illustré la méthode qu’ils préconisent désormais avec la présentation d’une synthèse des connaissances sur « l’élevage bovin allaitant français et le climat ». Cette publication présentée en février 2017 est le fruit d’une démarche de concertation menée entre 2014 et 2016 entre la filière élevage et viandes (Interbev) et quatre ONG de protection de l’environnement : France Nature Environnement, la Fondation Nicolas Hulot, Green Cross et WWF.
Des différences assumées
Lors de la présentation du document, les responsables des différentes organisations, parfois sévères avec les filières de l’élevage et de la transformation de la viande, ont salué le caractère constructif de la démarche et leur souhait de poursuivre la concertation. « Le dialogue s’était délité depuis le Grenelle de l’Environnement. Il nous a paru intéressant de partager une vision en lien avec les attentes de la société, sans effacer les divergences », a estimé Amandine Lebreton, directrice du pôle scientifique et technique. « Il faut donner des perspectives à l’élevage pour qu’il puisse faire preuve de durabilité et s’inscrive dans le projet agroécologique », a renchéri Jean-Claude Bévillard, élu chargé des questions d’agriculture à la FNE.
La concertation a ainsi fait apparaître un certain nombre de points d’accord importants pour la filière allaitante avec les ONG : le constat de l’autonomie alimentaire des exploitations et la capacité à la développer encore ou la reconnaissance des nombreux services « éco-systémiques » rendus par cet élevage (biodiversité, paysage, stockage de carbone, qualité de l’eau). Bruno Dufayet s’est ainsi réjoui d’avoir pu faire admettre que 50 litres d’eau étaient nécessaires en moyenne pour obtenir un kilogramme de viande et non pas « 15 000 litres », comme cela a pu être avancé.
Mais les deux parties n’ont pas pour autant cherché à effacer leurs points de désaccords, clairement exprimés dans le document. L’un d’eux porte sur la baisse de la consommation de protéines animales à laquelle appellent les ONG. « On en consomme deux fois plus en France que les recommandations de l’OMS », a par exemple assuré Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires. « Mais la consommation de viande bovine reste inférieure aux recommandations », lui a répondu Bruno Dufayet. « Certes, nous parlons de protéines animales, et nous ne souhaitons pas pointer du doigt le bœuf », a admis Nicolas Imbert.
Interbev entend décliner la méthode du progrès et du dialogue sur le bien-être animal, un thème autour duquel l’interprofession a constitué un groupe de travail. « Nous allons lancer une concertation comparable au mois de mars avec quatre organisations : CIWF, Welfarm, OABA et LIDA. Ce sont des ONG de protection animale, qui se définissent comme welfaristes. Elles ont pour objectif d’améliorer les conditions de vie des animaux d’élevage, sans remettre en cause l’élevage des animaux, notamment à des fins nourricières », a précisé Dominique Langlois. Aurélia Warin, éthologue et consultante en protection animale, sera chargée de l’animation des concertations.
Les méthodes d’évaluation en débat
Le CIV - Viandes, sciences et société (Centre d’information sur les impacts sociétaux de l’élevage et des viandes), a engagé de son côté un débat avec la communauté scientifique sur les méthodes d’évaluation des effets environnementaux de la filière élevage-viande. La semaine dernière, le CIV a ainsi présenté une analyse critique de 79 méthodes d’évaluation des effets environnementaux des produits agricoles. Estimant que les méthodes actuelles d’évaluation comme l’analyse du cycle de vie (ACV) ne prennent pas en compte les spécificités de l’activité agricole et n’en retiennent que les effets négatifs sur l’environnement, les auteurs de l’étude préconisent de « changer de paradigme » et d’opter pour une vision plus systémique, englobant les interactions de la filière avec son environnement. Une analyse très étayée qui remet en cause l’inadaptation des méthodologies en vigueur.