Société
Aliments ultra-transformés : de quoi parle-t-on ?
Le qualificatif « ultra-transformé » est de plus en plus couramment utilisé pour désigner un aliment à la fois éloigné du naturel et malsain. Mais que recouvre-t-il officiellement ? Historique et perspectives.
Le qualificatif « ultra-transformé » est de plus en plus couramment utilisé pour désigner un aliment à la fois éloigné du naturel et malsain. Mais que recouvre-t-il officiellement ? Historique et perspectives.
En 2009, l’université brésilienne de São Paolo a classifié les aliments selon leur degré de transformation. La classification Nova était née. Elle a initialement servi à faire le lien entre la progression de l’élaboration des aliments et de l’obésité au Brésil. Puis elle a permis aux organismes internationaux comme la FAO de caractériser les régimes alimentaires de différentes populations. La classification Nova distingue les aliments ultra-transformés (AUT), traduction du portugais alimentos processados.
De nombreuses équipes de recherche médicale se sont emparées de ce concept pour établir des corrélations entre ces AUT et différents effets délétères sur la santé (dont l’Eren, cf colonne p 12). Le site Internet mangerbouger.fr de Santé publique France souligne que les produits gras, sucrés ou salés « sont souvent ultra-transformés », invoquant de nombreux additifs dont « on ne connaît pas encore précisément l’impact sur la santé humaine ».
Classification insatisfaisante
Le Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS) rappelle que Nova a fait évoluer sa catégorie AUT entre 2019 et 2016. Sa réflexion sur la classification Nova aux fins de recommandation de santé publique (coordonnée par le Pr Bernard Guy-Grand, publiée en décembre 2018) résume ainsi la dernière définition : « des formulations industrielles contenant au moins cinq ingrédients, souvent beaucoup plus, huiles hydrogénées, graisse, sucre, sel, antioxydants, stabilisateurs et conservateurs, utilisant des technologies comme la cuisson extrusion et les cuissons à haute température, ajoutant des micronutriments (fortification) et des additifs (arômes, colorants, édulcorants, émulsifiants) non utilisés dans les préparations culinaires domestiques dans le but d’imiter les saveurs naturelles ou de cacher des saveurs désagréables… dans le but de fournir aux consommateurs des produits bon marché, agréables, denses en énergie, prêts à l’emploi ».
Cette classe est universellement illustrée par des sodas, des parts de pizza, des pâtes à tartiner chocolatées, des snacks et des charcuteries, symboles de la malbouffe. Cependant, elle comprend un très large spectre d’aliments : margarine, pâtisseries, pain de mie, plats cuisinés, brioches, soupes lyophilisées…
La classification Nova s’oppose au Nutri-Score
Le FFAS déplore le manque de discernement de cette classification et en particulier l’absence de référence à la composition nutritionnelle. « En l’état, Nova ne peut servir de base à l’établissement de recommandations valides, différenciées et appropriables », conclut son rapport de décembre 2018. Il déplore en outre « la diffusion sans nuance auprès du grand public de la classification Nova, qui s’oppose à la classification nutritionnelle, dont le Nutri-Score est l’exemple », ce qui « ne peut qu’accroître la cacophonie alimentaire ».
Le comité scientifique du Club Siga, jeune organisme agissant pour une alimentation plus saine, élabore une classification concurrente à Nova à des fins de recommandations nutritionnelles. En retirant certains critères arbitraires comme les « 5 ingrédients » des AUT, en introduisant des critères nutritionnels ainsi que les substances à risque pouvant contaminer les produits peu transformés. Se faisant, elle ne stigmatise pas les produits industriels et vise également les préparations domestiques ou artisanales.
Son projet de classification nommé Siga considère, au sein des produits peu transformés (classe 1 de Nova) l’effet « matrice » ou de déstructuration, introduit parmi les ingrédients (groupe 2 de Nova), un critère d’apport nutritionnel, et enfin, distingue parmi les aliments ultra-transformés, les équilibrés et les gourmands, et différents niveaux de risque d’« effet cocktail » relatif aux additifs. Ce comité est présidé par Anthony Fardet, notamment chargé de recherche à l’unité de nutrition humaine de l’Inra et de l’Université Clermont Auvergne. Il défend l’approche de la nutrition préventive qu’il définit comme « une science holistique par essence incluant à la fois des dimensions physiologique, comportementale, technologique, environnementale, économique, sociale, culturelle et religieuse ».
Malgré ses écrits grand public contre les aliments ultra-transformés, il déplore l’« approche réductionniste associant un composé alimentaire à un effet physiologique ».
Vers un indice « formulation » ?
Le Nutri-Score expérimenté aujourd’hui laissera-t-il place à d’autres indices ? Le succès de l’application Yuka (qui introduit le critère additifs) pourrait le suggérer. L’UMR Génie et microbiologie des procédés alimentaires de l’Inra a développé en 2017 un indicateur de processing (IDP). Par ailleurs, le RMT Nutriprévius de La Rochelle et Carnot Qualiments encadrent une thèse, mobilisant le CTCPA, visant à établir un tel indicateur.