Développement durable
Filière cacao : l’Afrique sort ses griffes
Pour lutter contre la pauvreté des producteurs de cacao et la déforestation, la Côte d’Ivoire s’est alliée à son voisin, le Ghana, pour imposer des prix de subsistance aux industriels du cacao et du chocolat. Les entreprises françaises sont volontaires.
La Côte d’Ivoire et le Ghana, deux pays voisins pourvoyeurs d’au moins 60 % du cacao mondial, commencent à se coordonner sur le marché. Ils instituent communément un différentiel de revenu décent (DRD), également nommé le « living income differential » (différentiel de revenu vital). Celui-ci s’appliquera à compter du 1er octobre 2020 aux achats de la récolte de 2020-2021.
En résumé, les deux pays refusent les contrats en dessous de 2 700 dollars la tonne, alors que le cours à New York est inférieur à ce niveau. En Côte d’Ivoire, le but est d’offrir aux planteurs un minimum de 1 000 francs CFA au kg, d’un côté, grâce au prix minimum institutionnel et, de l’autre, grâce à un surplus versé par les acheteurs allant jusqu’à 400 dollars la tonne, soit environ 240 francs CFA le kg. À titre de repère, le prix garanti, pour la récolte 2019-2020 qui s’engage, est de 825 francs CFA le kg. Les planteurs le considèrent comme insuffisant.
Cette disposition est prise dans un contexte de cours très bas du cacao, depuis une chute de plus de 30 % en 2017-2018.
Programmes de durabilité
Cette position des deux pays producteurs n’est tenable qu’avec l’accord des sociétés acheteuses de la filière chocolat. Elle a été entérinée lors de la réunion de partenariat de la Fondation mondiale du cacao, qui s’est tenue à Berlin les 23 et 24 octobre. « Toutes les entreprises se sont résolument engagées à appliquer le différentiel de revenu décent et à prendre les mesures nécessaires pour la mise en œuvre effective immédiate », déclarent dans un communiqué conjoint publié le 23 octobre le Conseil du café-cacao (Côte d’Ivoire) et le Ghana Cocoa Board (Ghana).
Ces deux organismes y réaffirment la complémentarité de ce système avec les programmes de durabilité ; des programmes que les industriels mettent trop en avant alors qu’ils concernent une minorité de planteurs, déplorent les gouvernements des deux pays. Aussi, menaçaient-ils de les interrompre en cas de désaccord, bien que déterminés à lutter contre la déforestation et le travail infantile.
Afin de démontrer leur force commune, la Côte d’Ivoire et le Ghana avaient suspendu en juin 2019 les ventes de la récolte 2019-2020 (encore sur l’arbre).
La norme Afnor est parue
En France, le Syndicat du chocolat a applaudi la décision des deux grands fournisseurs lors de la journée mondiale du cacao, le 1er octobre. Reçu au ministère de la Transition écologique et solidaire, son président, Patrick Poirier, a estimé que ce choix ferait date. Le syndicat français, qui représente quatre-vingt-dix entreprises de toutes tailles, se félicite d’une seconde « avancée majeure » : la publication de la norme Iso 34101 sur le cacao durable, qui « permet de doter les fabricants en Europe d’un cadre commun et ambitieux », selon son communiqué.
Cette norme porte sur l’organisation socio-économique des planteurs, la culture et la traçabilité. Elle était annoncée pour la précédente journée mondiale du cacao, mais le protocole de contrôle restait à déterminer. Ce cadre normatif étant posé, le Syndicat du chocolat souhaite mettre en place une plateforme d’engagements communs, sur laquelle il invitera les gouvernements, artisans, distributeurs et ONG.
Nouvelle stratégie forestière
La pauvreté des planteurs de cacaoyers ainsi que le vieillissement et la maladie des plantations sont des facteurs de déforestation. Une déforestation, observée par l’ONG Mighty Earth, qui menace l’équilibre climatique de la région, de l’aveu même des États. Selon un rapport édité par la Banque mondiale en juillet 2019, plus de la moitié des producteurs ivoiriens vivent en deçà du seuil de pauvreté, avec moins de 757 francs CFA (1,3 dollar) par jour.
La Banque mondiale estime que ce secteur stratégique pour le pays doit se transformer. Le pays y procède doucement, ayant accru de 8 % en 2019 sa capacité de broyage pour s’établir à 566 000 tonnes (à comparer aux 4,5 Mt produites dans le monde).
La Côte d’Ivoire va par ailleurs organiser en janvier 2020 une table ronde en vue de freiner la déforestation. Le pays cherchera à mobiliser 616 milliards de francs CFA (près de 1 milliard d’euros) en vue de financer sur la période 2020-2030, faisant appel aux bailleurs de fonds internationaux et aux industries chocolatières.
Le Syndicat du chocolat préconise de nombreuses actions pour rendre la filière plus durable. Pour améliorer la production sans empiéter sur la forêt, ses entreprises adhérentes travaillent sur l’agroforesterie, la réhabilitation des plantations ; elles luttent contre l’appauvrissement des sols et développent des nouvelles variétés. Et elles forment les planteurs aux bonnes pratiques.
Pour lutter contre la pauvreté, elles suggèrent d’améliorer les infrastructures et les services, ce que l’État ivoirien entend bien. Elles développent aussi l’expertise des planteurs, font construire des écoles et favorisent l’accès aux financements. Pour améliorer le statut économique des planteurs, les entreprises concourent à développer la certification et à fonder des coopératives.
La tendance « bean to bar »
Le Salon du chocolat compte une dizaine d’exposants qualifiant leur produit de « bean to bar », c’est-à-dire « de la fève à la tablette ». Leur point commun est le suivi complet de la production depuis la méthode de culture. Si l’un d’eux (San José) représente une hacienda d’Équateur, la plupart s’affichent comme des artisans dénicheurs de terroirs, soucieux d’un commerce équitable et transparent. Trois exemples typiques : la marque de grands crus équatoriens Pacari (photo), Manoa chocolate d’Hawaï, Latitude Trade d’Ougada. La démarche des fabricants du chocolat Yêrê est particulière. Ce sont des entrepreneurs français qui ont créé une société de fabrication en Côte d’Ivoire, estimant qu’il est nécessaire de transférer la valeur ajoutée sur place. Ils prennent sur ce point le contre-pied des labels, dont Max Havelaar.