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Filière meunerie
Farine : rayons dévalisés, marché chamboulé

La tension sur les sachets de farine a mis les distributeurs et meuniers sous pression. Les ventes aux boulangers et industriels se réorientent. La période est propice aux marques et à la segmentation selon certains.

Les consommateurs ont pris de court la chaîne d’approvisionnement des grandes surfaces en sachets et boîtes de farine. À l’issue de la cinquième semaine de confinement, le rayon demeurait presque vide. Les foyers, où l’on doit préparer deux repas par jour et occuper les enfants, confectionnent tartes, quiches, crêpes et même leur propre pain. Pourquoi les rayons tardent-ils à se remplir ? Les distributeurs et meuniers ont la réponse.

Les distributeurs, dont les marques et premiers prix représentent 40 % des ventes sous conditionnements d’un kilogramme, importent une majeure partie de la farine ordinaire. Ils importent d’Allemagne, des pays de l’Est ou d’Italie ; des pays qui connaissent les mêmes achats de précaution et n’exportent plus. Les meuniers français, pour leur part, disposent de stocks importants et approvisionnent sans difficulté leurs lignes de conditionnement. Mais ils ont dû commander et se faire livrer des sachets ou boîtes supplémentaires.

Les lignes d’ensachage n’étant pas extensibles, ils ont mobilisé des salariés en renfort pour atteindre les 3x8 sur 6 ou 7 jours et en toute sécurité. Grands Moulins de Paris (groupe Vivescia), dont la marque Francine est numéro un, a réduit de moitié ses références à une dizaine. Axiane Meunerie (groupe Axéréal) a « multiplié par deux le volume sur ce segment de marché au mois de mars », informe son directeur général, David Hubert.

1 800 % de commandes en plus

Bellot Minoteries, dans les Deux-Sèvres, a vu les commandes de sachets de farine progresser de… 1 800 % ! Des demandes par camions complets et non plus par palettes. Sa ligne d’ensachage fonctionnait en 1x8 sur 5 jours. Elle est passée en l’espace de deux semaines aux 2x8 sur 6 jours, puis a atteint les 3x8 sur 6 jours dès le lundi de Pâques. « Des chauffeurs livreurs en boulangerie artisanale, des caristes sont venus aider », indique son président, Louis-Marie Bellot, se réjouissant de « ce bel esprit de cohésion ». Mais « même avec ça, on n’arrive pas à répondre aux clients historiques », s’étonne-t-il.

Les prestations de transport vers les plateformes des distributeurs de la région ne manquent pas. « Quelques rares transporteurs ont proposé des hausses de prix mais ça s’est tassé », signale Louis-Marie Bellot. Le dirigeant n’augmente pas ses prix : « je pense que ce n’est pas le moment de compter. On ne va pas profiter de la situation », considère-t-il. L’avantage qu’il voit dans la ruée vers la farine est la mise en lumière des marques régionales ou nationales.

Les consommateurs vont se rappeler des marques des meuniers présents

« Les consommateurs vont se rappeler des marques des meuniers présents », pense-t-il. Aussi, la minoterie Bellot a-t-elle conservé ses trois références de farines pour particuliers : la farine équitable C’est qui le patron ?! issue de blé CRC (culture raisonnée contrôlée), la farine bio ainsi que label Rouge de blé CRC. « Nous n’avons d’autre choix que de conserver nos labels », affirme Louis-Marie Bellot.

Autre acteur en blé CRC Minoterie Girardeau (Les Moulins associés), en Loire-Atlantique, a saturé son conditionnement en froment bio et en sarrasin, et conditionne la farine conventionnelle en sac de 10 kg pour la GMS.

La frénésie de farines met aussi en lumière la marque numéro 2, Gruau d’or, des Grands Moulins de Strasbourg devenus Les Moulins Advens en 2019. Il en est de même pour les différentes farines d’Axiane Meunerie, Cœur de blé, Treblec pour le sarrasin, Lemaire en bio ou encore Savoir Terre, farine issue de blés cultivés selon des bonnes pratiques (Cultiv’up) et sous contrat trisannuel. La filiale de la coopérative Axéréal valorise ainsi les filières qu'elle a montées.

Moins de pains, mais aussi variés

Les achats de farines dans les grandes surfaces, drives et magasins de proximité sont loin de compenser le recul du marché des artisans boulangers. « Les volumes de farines livrées aux artisans boulangers diminuent depuis le début du confinement de façon significative », témoigne le directeur général d’Axiane Meunerie.

« Après deux ou trois jours d’euphorie, ça a chuté. Le volume s’est stabilisé à la baisse, d’environ 20 % », calcule Erick Roos, directeur général de Moulins Soufflet, dont les huit moulins français continuent de fonctionner. « Les boulangers souffrent beaucoup », constate Erick Roos, expliquant qu’ils ont perdu une part importante de leur chiffre d’affaires en menus du midi, sandwiches, viennoiseries et gâteaux. Ils ont aussi moins de rotations dans la vente de pains et font des pertes.

Moulins Soufflet n’est qu’au début du lancement de l’application qui permet aux boulangers de développer leur commerce en ligne, www.maboulangerie.com. La situation varie selon les régions et zones de chalandise. Dans les Deux-Sèvres, Bellot Minoteries perd moins de volume et maintient l’ensemble de ses références. Louis-Marie Bellot estime que le confinement n’a pas d’effet sur la segmentation par labels dans les pains artisanaux. Quant aux industries du secteur, la moindre consommation en restauration hors domicile est partiellement rattrapée par les productions de pâtons surgelés et de produits emballés comme les brioches ou pains de mie.

Épilogue dans les affaires de cartel

En juillet 2019, la cour d’appel de Paris a mis un point final à trois affaires de cartel dans la farine pour particuliers. Cette décision a conduit à des réductions très substantielles d’amendes pour plusieurs entreprises. Le géant allemand Good Mill (ex-VK-Mühlen) et le numéro 1 français Grands Moulins de Paris, qui avaient participé à un cartel de répartition de marché de 2002 à 2008, ont bénéficié de ces réductions. Par ailleurs, la cour d’appel a rétabli le caractère anticoncurrentiel de deux ententes historiques sur les prix entre meuniers français. Mais cinq d’entre eux – Grands Moulins de Strasbourg, Cautin, Axiane, Euromill Nord et Grands Moulins de Paris – ont bénéficié de réductions, en partie du fait de leur faible capacité de contribution.

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