Cantine : en Normandie, les lycéens mangent normand
Le programme régional « Je mange normand dans mon lycée » est prolongé. Quelles sont les stratégies mises en œuvre pour relocaliser l’alimentation des lycéens ?
Le programme régional « Je mange normand dans mon lycée » est prolongé. Quelles sont les stratégies mises en œuvre pour relocaliser l’alimentation des lycéens ?


Chaque jour, 86 000 repas sont servis dans les cantines des lycées de Normandie, soit 13 millions de repas par an, « c’est donc un beau levier pour la politique agricole de la Région », s’enthousiasme Clotilde Eudier, 3e vice-présidente de la Région Normandie et chargée notamment de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Elle dresse un rapide bilan du premier volet du plan, lancé en 2017 : « Nous avons été très, trop, ambitieux, avec un objectif de 80 % de produits normands dans les cantines des lycées. Finalement, nous sommes arrivés en moyenne à 51 % en 2021, contre 41 % en 2018. » L’élue reconnaît les obstacles, « la commande publique, ce n’est pas évident, il faut une vraie volonté du lycée ».
La volonté, ce n’est pas ce qui manque au lycée Jean-François Millet à Cherbourg, qui sert 800 couverts chaque jour. « Grâce à un travail de fourmi des équipes, à la collaboration permanente entre l’intendance et l’équipe restauration, on atteint 63 % de produits normands, 54 % de produits Egalim sous label, dont 39 % de bio », se réjouit Quentin Fauchard, responsable de l’équipe technique de cuisine.
Lait, pommes, viande sont normands
« Pour les produits laitiers, nous nous fournissons ainsi auprès de plusieurs fermes locales, dont la ferme des Glycines qui propose une fontaine à yaourt nature, en poche », énumère Quentin Fauchard. Pour lui, l’intérêt du yaourt vrac, c’est « moins de plastique, des ramequins en verre en libre-service et un produit nature ». Il permet, en outre, de limiter les gestes répétitifs des personnels de restauration pour la séparation des yaourts.
Pour les fromages, « nous faisons appel à des grossistes, sinon ils n’auraient que nos AOP normandes, mais nous achetons uniquement des AOP et IGP, dans le cadre Egalim », assure-t-il. Du côté des produits de la mer, le lycée a un bel avantage géographique. « On travaille en gré à gré avec un poissonnier. Le poisson est pêché la nuit, fileté le matin et servi à midi », continue le responsable.
Toutes les pommes sont bio et locales, « mais il faut adapter son appel d’offres, allotir, utiliser les bons critères pour avoir ce résultat, et c’est un travail d’équipe, main dans la main entre l’intendance et la restauration », avance Quentin Fauchard.
Des cahiers des charges bien étudiés
L’exemple des pommes est éloquent. « Il faut adapter ses appels d’offres, si on fait un appel fruits et légumes, seuls les grossistes pourront répondre, un producteur normand n’a pas de bananes, il faut donc allotir spécifiquement », précise Clotilde Eudier. À Cherbourg, « tout part du sourcing, on construit spécifiquement nos cahiers des charges pour pouvoir travailler en local, dans le respect de la réglementation bien sûr », développe Quentin Fauchard, qui donne un exemple : « Si je fais un appel d’offres fromage, avec du comté, du morbier et du camembert, le producteur local ne pourra pas répondre, il me faut un lot spécifique camembert. » Et c’est ainsi que pour chaque produit, tout est pensé pour favoriser un approvisionnement local, si possible en circuit court.
« Il faut adapter les appels d’offres », Clotilde Eudier, 3e vice-présidente de la Région Normandie
« Nos charcuteries proviennent de La Chaiseronne, poursuit-il, comme nous savons que les porcs sont labellisés BBC et ont une alimentation à l’orge et au lin, nous avons fait figurer ces éléments en tant que critères techniques dans le cahier des charges. »
Parmi les leviers utilisés, le lycée prend en compte dans sa notation le temps de transport entre l’élevage et l’abattage, ou encore le fait que les contenants soient repris par le fournisseur, « une pratique vraiment spécifique des producteurs », précise le jeune homme, qui n’hésite pas à rappeler à ses partenaires de répondre à un appel d’offres.
« Les producteurs sont déjà bien occupés, ils produisent, ils commercialisent, la logistique est parfois compliquée », confirme Clotilde Eudier, pour qui la Région Normandie a un rôle à jouer, que ce soit pour mettre en relation les uns et les autres ou pour simplifier les livraisons.
Renforcer les circuits courts
« Pour l’heure, 60 % du chiffre d’affaires du programme est réalisé par 2 % des fournisseurs », regrette Clotilde Eudier qui souhaite voir les agriculteurs participer davantage. « Il y a des obstacles. Par exemple, que faire du lait ou des œufs pendant les vacances scolaires ? » soupire la vice-présidente, qui insiste : « Ce deuxième volet du plan, prolongé jusqu’en 2027, vise notamment à les accompagner. »
De son côté, Quentin Fauchard se réjouit à l’avance d’organiser des rencontres au self, entre des producteurs locaux et des lycées, ce qui n’a pas été possible à cause de la crise sanitaire. « C’est tout une éducation au goût ! C’est nécessaire, ça manque à nos enfants », appuie l’élue.
Faire des économies pour privilégier la qualité
La principale réticence des opérateurs des lycées pour entrer dans le programme est d’ordre économique. « Nous sommes à 2,20 euros de coût matière par repas, même 2,10 euros en ce moment, car nous avons peur d’épuiser trop vite le budget avec l’inflation », explique le responsable cherbourgeois qui liste ses stratégies pour limiter les dépenses.
En premier lieu, la lutte contre le gaspillage alimentaire. « En moyenne nationale, on est à 110 grammes par plateau, à Cherbourg à 56 grammes, et dans le meilleur lycée normand à moins de 30 grammes. Première astuce, on a changé nos assiettes. Elles font la même taille, mais avec un rebord plus grand. Visuellement, on a assiette qui paraît plus remplie, donc on sert moins, et c’est 20 % de gaspillage en moins, évoque Quentin Fauchard. On sensibilise les jeunes en bout de self, leur demandant s’ils ont vraiment envie de trois bouts de pain. On a aussi mis la sauce et les légumes en libre-service. »
Autre poste d’économie, le repas végétarien. « Nous cuisinons des bons plats végétariens chaque jour, ils ont un taux de prise de 10 %, assure-t-il, ça permet d’équilibrer le budget et on réinvestit dans de la qualité et du local. Nous faisons tout maison, c’est la meilleure manière de faire des économies ! »
Accompagner les nouvelles tendances de consommation
« Dans les villes, les lycéens aiment manger dehors. Au lieu de gaspiller leur argent dans des plats peu équilibrés, nous souhaiterions mettre en place une offre de repas normands à emporter », explique Clotilde Eudier. Pour l’heure, seuls 5 % des lycées le proposent, l’objectif est d’arriver à 25 % d’ici à 2027. Le déploiement de bars à salade veut aussi répondre à une demande de libre-service, qui permet également de soulager les équipes de restauration. Au lycée Jean Mermoz de Vire, on développe un concept de distribution des repas « responsable ». L’élève prend une seule assiette, pour les hors-d’œuvre et le plat chaud, qu’il composera à son goût (choix et volume). Moins de gaspillage et de lavage, tandis que le personnel est plus disponible pour informer et éduquer.
en chiffres
La restauration au lycée Jean Millet
800 couverts ;
54 % de produits Egalim,
dont 39 % de bio ;
63 % de produits normands