Le déclin de l’élevage allaitant français
Alors que la plupart des signaux de marché sont positifs pour l’élevage allaitant, des marges serrées et une démographie vieillissante devraient conduire à une forte baisse de la production française dans les prochaines années.
Alors que la plupart des signaux de marché sont positifs pour l’élevage allaitant, des marges serrées et une démographie vieillissante devraient conduire à une forte baisse de la production française dans les prochaines années.
La barre symbolique – et historique – des 4,50 euros le kilogramme a été franchie fin janvier pour la cotation FranceAgriMer de la vache viande R, entrée abattoir. Depuis, les cours ont encore grimpé. Cette flambée est multifactorielle : baisse du cheptel bovin allaitant français ; creux des réformes laitières alors que le marché du lait est favorable ; recul général de la production en Europe et bonne demande dans un contexte de renationalisation de la consommation avec la crise sanitaire.
Tous les indicateurs sont au vert. Tous ? sauf un ! Le revenu des agriculteurs. Car si les prix des vaches ont augmenté tout au long de l’année 2021, les coûts de production ont suivi le même chemin. L’indice des prix d’achat des moyens de production agricole (Ipampa) viande bovine, calculé par l’Institut de l’élevage (Idele), a ainsi bondi de 7 % en un an.
Pour les exploitants agricoles, les revenus varient du simple au triple selon les systèmes. Ainsi, d’après les calculs de l’Idele qui s’appuie sur le réseau de fermes Inosys, « la situation reste tendue en 2021 chez les naisseurs spécialisés extensifs », avec seulement 13 700 euros par unité de main-d’œuvre (UMO). Grâce à de bons rendements et des prix élevés pour les céréales, les exploitants en polyculture élevage ont, quant à eux, vu leurs revenus s’améliorer l’an dernier : 38 000 €/UMO pour les naisseurs avec cultures et 46 000 €/UMO pour les naisseurs engraisseurs avec cultures.
584 000 vaches de moins en 2030
Alors que la part des cultures dans les comptes des exploitations progressent, certains éleveurs sont incités à jeter l’éponge et à se consacrer uniquement aux cultures. « La décapitalisation est très prononcée dans les régions mixtes, où il y a des alternatives, et moins dans les bassins montagneux, où il est difficile de faire autre chose », explique Caroline Monniot, économiste des filières à l’Idele.
Entre décembre 2020 et décembre 2021, les effectifs de vaches allaitantes ont reculé de 105 000 têtes, à 3,64 millions (-2,8 %). En cinq ans, la baisse est de 388 000 vaches allaitantes. Seul le bassin rustique du sud du Massif central a résisté à cette érosion. « Quand on effectue une projection démographique, avec les départs en retraite et les reprises qui se font sur des exploitations plus extensives, on estime qu’à l’horizon 2030 il pourrait y avoir 584 000 vaches de moins qu’en 2021 », alerte Caroline Monniot. C’est l’équivalent de 16 % du cheptel actuel !
Le bassin qui devrait perdre le plus de vaches allaitantes est celui des zones herbagères du nord du Massif central. Le recul sera aussi net dans le Grand Ouest, le Centre et le bassin parisien, trois zones où les terres labourables offrent des alternatives à l’élevage.
Une filière dépendante de l’exportation
Alors que les Français apprécient la viande de vache, l’équilibre économique des élevages – et de la filière – dépend aussi de la valorisation des mâles. Or près de la moitié d’entre eux est destinée à l’exportation ! Le marché du jeune bovin s’est montré dynamique en 2021, tiré par la faiblesse de l’offre européenne. Cependant, les opérateurs français restent prudents sur le moyen terme, car la concurrence s’est intensifiée sur ce segment avec deux opérateurs majeurs. La Pologne a dépassé la France en tant que premier fournisseur de viande bovine à l’Italie en 2019, « mais sa production tend à plafonner depuis », nuance Caroline Monniot.
L’Espagne est aussi un concurrent redoutable. « Les engraisseurs espagnols se sont spécialisés dans des petites carcasses bien conformées, ce qui correspond tout à fait à la demande de la boucherie traditionnelle en Italie. Cette viande est de bonne qualité et moins chère que l’origine France », relève l’économiste. Quant aux envois de viande bovine vers les pays tiers, ils restent peu dynamiques. Si la Chine a suscité des espoirs pour les exportateurs, ils ont dû renoncer à l’eldorado attendu ; « la viande française, maigre, ne convient pas aux attentes des Chinois », précise Caroline Monniot.
Pour les broutards, les perspectives sont sereines. « L’origine France des animaux est inscrite dans les cahiers des charges des filières qualité en Italie », rappelle la spécialiste. La concurrence est très faible sur ce marché et les Italiens ont fait de forts investissements dans le biogaz pour lequel ils ont besoin de fumier. La demande devrait donc rester présente à moyen long terme. « C’est même le contraire, ce sont les engraisseurs italiens qui s’inquiètent de voir la décapitalisation française », complète Caroline Monniot.
La seule ombre au tableau est plutôt à chercher du côté des directives bien-être sur le transport d’animaux vivants. Car si la Commission européenne sévit, les exportations vers les pays tiers pourraient s’arrêter, privant la France d’un débouché, certes limité, mais qui permet de ne pas dépendre du seul client italien et de faire levier sur les prix, comme cela a été le cas début 2022.
Les races à viande, des produits de luxe ?
La viande bovine issue d’animaux de race allaitante va donc devenir de plus en plus rare. Néanmoins, le porte-monnaie du consommateur est resté encore à peu près épargné. Le prix moyen d’achat de la viande bovine communiqué par Kantar ne progressait que de 1,7 % en 2021. « Si la hausse des prix des gros bovins est répercutée au consommateur, il est possible que la viande bovine devienne un luxe, soupire Caroline Monniot. Si les Français apprécient tant le haché, ce n’est pas simplement pour son prix, loin de là. Son succès est multifactoriel, il plaît pour son goût, il correspond aux nouvelles habitudes de consommation. En tant qu’ingrédient, il est pratique. Il est possible d’augmenter le prix du haché sans baisser la consommation, en développant la segmentation. »
Ce positionnement haut de gamme est aussi à travailler pour les ventes en piécé, ce que va permettre le développement du label Rouge comme promis dans le plan de filière. Avec un gage de qualité supplémentaire, le consommateur pourrait mieux comprendre le prix demandé.
« La race n’est qu’un des facteurs explicatifs de la qualité »
Si chaque bassin d’élevage français se targue d’avoir la meilleure race allaitante, « c’est plus compliqué ! » sourit Christophe Denoyelle, responsable du service qualité des carcasses et des viandes à l’Institut de l’élevage. « Il y a une très forte variabilité des animaux au sein d’une même race, parfois plus qu’entre animaux de différentes races allaitantes : la race n’est qu’un des facteurs explicatifs de la qualité », précise-t-il. Ainsi, la tendreté de la viande, qui est un des facteurs majeurs pour le consommateur, dépend avant tout de la maturation et de la cuisson, non de la race. Le gras, facteur organoleptique important, est en revanche en partie corrélé à la précocité, qui dépend de la race, mais aussi de la finition. « Toutes les races ont leur place, et c’est le rôle du milieu de filière de faire le tri pour répondre aux différents besoins », conclut le spécialiste.