Blanche Segrestin travaille depuis plus de 10 ans sur le concept de sociétés à mission. Elle a coécrit de nombreux ouvrages, dont la sortie en 2020 de Entreprises, Responsabilités et Civilisations. Vers un nouveau cycle du développement durable, avec Kevin Levillain, Armand Hatchuel et Stéphane Vernac. Un livre édité par Les Presses des mines.
Il existe presque 1 500 entreprises à mission dans l’Hexagone aujourd’hui. Comment expliquer un tel succès ?
Blanche Segrestin - Le statut de société à
mission a été officialisé en France par loi Pacte de mai 2019. Il y avait un vide juridique dans le droit des sociétés et ce dernier n’était peut-être plus en phase avec les attentes de certaines entreprises. Choisir d’être une société à mission diffère des actions de la responsabilité sociétale des entreprises qui ne sont pas engageantes. La société à mission, c’est choisir un objectif en termes social, sociétal ou environnemental et l’inscrire dans ses statuts. C’est un moyen pour les entreprises de protéger quelque chose dans la durée comme un patrimoine ou des métiers, ou bien de s’engager à conduire des recherches pour changer une situation ou progresser dans certains domaines. C’est aussi un pari sur l’avenir, notamment pour les start-up qui effectuent leurs premières levées de fonds. Elles connaissent les investisseurs qui sont autour de la table aujourd’hui mais pas ceux de demain. Devenir société à mission peut donc constituer un avantage stratégique et envoyer un signal fort aux différentes parties prenantes, même si cela oblige à un contrôle du respect des engagements par un comité de mission. Ce dernier doit tracer la feuille de route, évaluer les avancées et rédiger un rapport avec des alertes si nécessaire.
Lire aussi : Société à mission : « Ce sont de véritables efforts à fournir »
Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui veut devenir une société à mission ?
B. S. - Le premier serait de se rapprocher de la Communauté des entreprises à mission [CEM]. La CEM réunit des chefs d’entreprise qui partagent leurs bonnes pratiques et peuvent donner des conseils. Le second est de bien formuler la mission choisie et de bien l’expliquer aux collaborateurs pour les impliquer. Enfin, lors de la création du comité de mission, il faut bien réfléchir à sa composition et aux expertises dont l’entreprise aura besoin.
Lire aussi : Quel nouveau statut pour Bio Conquête ?
Le cas Danone fait école. C’est une des premières entreprises à choisir le statut de société à mission en 2020 et un an plus tard, son PDG, Emmanuel Faber est évincé. Que prouve cette histoire ?
B. S. - Danone est passé en société à mission avant la crise sanitaire et son dirigeant a été révoqué dans un contexte de fortes turbulences financières. Mais cela prouve la robustesse du dispositif de la société à mission. Le PDG est parti, mais les statuts restent. Danone n’a pas renoncé, et le comité de mission est là pour vérifier que la nouvelle équipe de direction va poursuivre ce qui a été décidé.
Lire aussi : Teract devient à son tour société à mission
La communauté des entreprises à mission a avancé le chiffre de 10 000 entreprises à mission en France dès 2025. Est-ce vraiment possible ?
B. S. - Le rythme de croissance a été très important depuis l’introduction de la société à mission dans le droit. Si on continue sur cette lancée, les perspectives sont élevées. L’autre élément d’optimisme est que le dispositif français suscite beaucoup d’intérêt et de discussion dans les autres pays européens, aussi bien parmi les chercheurs que les entreprises et les politiques. La société à mission reste encore peu connue, mais on peut penser qu’elle va progressivement gagner en visibilité et qu’elle n’en est encore qu’à ses débuts.
Lire aussi : Agri-Éthique devient société à mission pour ses 10 ans