Aviculture
La fin de l’élevage de poules pondeuses en cage est programmée
La révolution est en marche dans la filière œuf française. Afin de mieux répondre aux attentes sociétales, le nombre d’éleveurs abandonnant l’élevage de poules en cage progresse. Didier Carfantan et Élisabeth et Patrick Hamon sont de ceux-là. Reportage.
Le projet de loi Egalim vient d’être adopté. Pour la filière œuf française, cela signifie que « la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé de poules pondeuses élevées en cage est interdite ». Pour Philippe Juven, président du Comité national pour la promotion de l’œuf (CNPO), « c’est un compromis », l’amendement pour une interdiction de vendre aux consommateurs des œufs de poules élevées en cage à compter du 1er janvier 2022, n’a pas été maintenu, mais il y a un arrêt programmé de la cage. « Le parc de bâtiment est assez récent, on peut encore produire plusieurs années », nuance-t-il, regrettant toutefois de ne pas avoir été entendu. Plutôt que cela soit imposé par les députés, « on aurait préféré passer par le plan de filière » qui « s’appuie sur la demande ». À commencer par l’engagement de la filière de dépasser 50 % de la production en système alternatif à la cage à horizon 2022. Une révolution déjà en marche ; fin 2017, 37 % des poules pondeuses étaient déjà en élevage alternatif, quand elles n’étaient que 33 % en 2016.
Des investissements de 20 à 30 euros par poule
S’il reste de nombreux élevages de poules en cage à transformer, certains producteurs ont déjà franchi le pas. Didier Carfantan, éleveur à Hénansal dans les Côtes-d’Armor, a fait le pari dès 2009 de passer 70 % de sa production en œufs de poules au sol et 10 % en plein air. Son choix a été dicté par ses contraintes foncières, ne disposant que de très peu de terres. Pour lui, « l’élevage au sol est un bon compromis pour allier volumes produits, prix de revient et bien-être animal ». Les investissements nécessaires sont de l’ordre de 20 à 30 euros par poule. C’est près de 15 % de plus que pour la cage mais moins que le plein air qui a un coût 30 à 35 % plus élevé que la cage. Une solution qui pourrait être envisagée par bon nombre d’éleveurs n’ayant pas encore engagé leur transformation en raison d’encours toujours importants à la suite d’investissements réalisés avant 2012 pour l’adaptation des cages aux normes bien-être européennes. « On gagne notre croûte si on a les débouchés. On n’a pas fait ça tout seul, un partenaire nous a suivis, le centre de conditionnement CDPO à Esternay », souligne Didier Carfantan.
Un million d’euros pour faire du bio
Patrick et Élisabeth Hamon, éleveurs à Merléac dans les Côtes-d’Armor, viennent de passer une partie de leur production en cage en plein air et bio. Leur réflexion a débuté en 2016, constatant l’évolution de la consommation française et souhaitant valoriser leur élevage en vue de le vendre, l’âge de la retraite approchant. « Il est plus facile de transmettre quand on propose plusieurs codes d’œufs », soulignent-ils. L’idée première était de transformer une partie de la production en cage en plein air. « Mais ça ne passait pas économiquement, en raison des investissements réalisés en 2010 encore à rembourser. Nous avons donc eu l’idée de rénover un bâtiment vacant pour produire du bio », poursuivent-ils, puisque cela augmentait le nombre de poules pour limiter la perte de production, tout en produisant des œufs mieux valorisés.
Finalement, plus de 1 million d’euros auront été nécessaires pour mener le projet à bien, dont 60 000 euros seulement de subventions, « pas encore versées » précisent-ils. C’est avec l’appui du groupement de producteurs Armor Œufs (contrat sur sept ans comprenant reprise des œufs et soutien technique) qu’ils ont pu avoir l’accord des banquiers.
C’est une autre façon de travailler
Si le gain en matière de bien-être animal n’est pas remis en cause, les premiers retours d’expérience de ces professionnels sont mitigés. Chacun affirme que « c’est une autre façon de travailler » et apprécie le plus grand contact avec les animaux. Pour Didier Carfantan, c’est « plus passionnant car moins automatisé », en outre, « les pondoirs sont plus confortables, il y a moins d’œufs micro-fêlés. Le taux d’œufs déclassés est moins important ». « Il y a peu de différences entre le plein air et le bio, estime Élisabeth Hamon, si ce n’est la sensation car il y a moins de poules au mètre carré ». À l’inverse, tous reconnaissent une baisse des performances. « Avec la cage on était au top de la productivité », estime Didier Carfantan. De moindres résultats en partie liés à une moindre efficacité alimentaire.
Conditions et temps de travail affectés
Passer à l’alternatif change aussi la donne sur le plan humain. Conditions et temps de travail sont affectés. « Il faut s’approprier l’outil, apprendre. C’est une découverte », indique Élisabeth Hamon. Le temps passé dans l’élevage progresse. Une surveillance accrue est nécessaire, à laquelle s’ajoute la nécessité de ramasser les œufs pondus hors des pondoirs. Il y a également plus de nettoyage à faire que dans un bâtiment cage. Élisabeth Hamon estime le surcroît de travail à quasiment une personne supplémentaire à temps plein sept jours sur sept. Un investissement humain qui n’est pas forcément bien appréhendé par l’aval de la filière, contrairement aux surcoûts liés au prix de l’aliment ou des poulettes. Or, il contribue à l’augmentation du coût de production qui justifie en partie les écarts de prix avec l’œuf de poules élevées en cage.
Les centres de conditionnement doivent aussi évoluer
La croissance de la production d’œufs d’élevage alternatif fait aussi évoluer le travail des centres de conditionnement. Elle complique la logistique, estime David Gassin, directeur du centre Matines à Trémorel. Les élevages alternatifs ont moins de poules et moins d’œufs, obligeant les centres à travailler avec un plus grand nombre de sites de production et d’y passer plus souvent. En outre, les palettes d’œufs sont plus petites, ce qui nécessite une plus grande surface de réception. Enfin, « la segmentation explose », selon lui ; aux différents modes de production s’ajoutent les références liées aux calibres, aux marques et à l’aliment (sans OGM, Bleu-Blanc-Cœur…). De quoi complexifier l’activité calibrage dont l’objectif est de « mettre le bon œuf dans la bonne boîte et avec la bonne étiquette, tout en assurant la traçabilité ».