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Les viandes AOP veulent faire entendre leur voix

Douze AOP viandes ont été reconnues, dont la plupart ont moins de 15 ans. Si les volumes commercialisés restent confidentiels, les filières qui les représentent entendent bien défendre un modèle écologiquement vertueux et économiquement rentable.

« En dépit de nos différences de cultures, de régions, d’espèces, quelque chose d’important nous rassemble, c’est la passion de défendre nos terroirs et donc nos territoires », s’est enthousiasmé Michel Oçafrain, président de la Fédération des viandes AOP de France (Fevao), lors de l’assemblée générale de l’association qui s’est tenue en septembre à Castelnau-Magnoac (Hautes-Pyrénées). Les éleveurs AOP, venus des quatre coins de la France, ont affiché leur ambition de faire franchir un cap à leur jeune association créée en 2019, et d’en faire un outil de représentation de leurs intérêts à Paris et à Bruxelles, à l’image du Cnaol pour les produits laitiers.

« Nous avons une voix singulière à faire entendre, notamment sur l’ancrage des productions agricoles sur leur territoire, mais aussi sur les questions de durabilité », a poursuivi Michel Oçafrain, également président de la filière porc basque Kintoa. Forts de la mise en commun de leurs expériences respectives en matière d’environnement, les douze appellations ont défini une douzaine d’enjeux et une trentaine d’objectifs et d’engagements en matière de RSE, répondant à l’appel à réflexion lancé par l’Inao sur les démarches environnementales des AOC. « Derrière la préservation de la ressource en eau ou le stockage du carbone, c’est aussi l’avenir de notre modèle qui se joue », a-t-il argumenté.

Un volume cumulé de 4 600 tonnes

Le « modèle » de l’appellation bénéficie incontestablement d’une dynamique dans le secteur de la viande. Après la reconnaissance de la volaille de Bresse en 1957, il aura fallu attendre près de quarante ans pour voir une deuxième appellation, le Taureau de Camargue, obtenir son précieux décret en 1996. Mais depuis, le rythme des dépôts de dossiers sur les bureaux de l’Inao s’est accéléré, permettant à des productions locales bovines, ovines et porcines de voir certifier leurs particularités et leur attachement à un terroir, du mouton de Barèges-Gavarnie en 2003 aux porc et jambon Kintoa en 2016. À la veille de l’assemblée générale de la Fevao, le ministère de l’Agriculture annonçait même la reconnaissance d’une 12e AOC : la volaille du Bourbonnais, qui devrait rejoindre les rangs de l’association.

« Quelque chose d'imortant nous rassemble, c'est la passion de défendre nos terroirs et donc nos territoires », Michel Oçafrain, président de la Fevao

Au-delà de l’aspect patrimonial et culturel, les représentants des AOP du secteur viande entendent bien faire valoir les perspectives économiques intéressantes qu’offrent les appellations, alors même que le secteur de l’élevage peine à recruter, faute de revenus suffisants. Même si les productions adhérentes à la Fevao sont parfois confidentielles, elles représentent tout de même un volume cumulé équivalent à 4 600 tonnes, pour un chiffre d’affaires estimé à 30 millions d’euros. De quoi faire vivre environ 700 producteurs et entreprises, mais aussi de faire rayonner l’image de ces terroirs bien au-delà de leurs frontières.

Bigorre, une organisation bien rodée

L’exemple des AOP Porc noir et Jambon noir de Bigorre qui recevaient cette année ses « confrères en appellation » est particulièrement spectaculaire. Alors que la race porcine gasconne menaçait de disparaître, la constitution de l’Association des éleveurs de porcs noirs de Bigorre en 1994, celle de la Société « Le Porc noir » qui réalise la découpe, la transformation des carcasses et la fabrication des différents produits en 2001 et, enfin, la reconnaissance de l’AOP en 2015 ont non seulement permis de sauver la souche, mais de faire prospérer une filière entière.

En quelques années, le nombre de carcasses commercialisées est passé de 1 800 à presque 10 000. « Malgré cette augmentation, la production manque parfois pour répondre à la demande, en jambon, mais aussi en viande fraîche », témoigne Pierre Sajous, charcutier et salaisonnier, membre du consortium du Porc noir. L’année prochaine, au moins deux nouveaux éleveurs vont rejoindre les rangs des producteurs, permettant à la filière de poursuivre une croissance raisonnée. « L’objectif n’est pas de faire entrer à tout prix de nouveaux éleveurs, mais qu’ils vivent principalement ou complètement de cette production », précise Nicolas Duboe, technicien du consortium, qui se réjouit « des 45 ans de moyenne d’âge » des éleveurs.

La Société du Porc noir, qui maîtrise l’ensemble de la chaîne de production de la naissance des porcelets à la commercialisation, contrôle aussi le maillon de l’abattage. Viandes de Bigorre, dans lequel elle est associée avec trois autres acteurs locaux, a repris en 2020 l’abattoir multi-espèces de Tarbes (Hautes-Pyrénées) que gérait Arcadie Sud-Ouest. L’outil, vieillissant, va être modernisé grâce aux crédits du plan de relance dédié aux abattoirs.

Comme la plupart des filières AOP, le consortium privilégie la vente aux circuits traditionnels via les grossistes plutôt que le circuit de la grande distribution par souci d’indépendance et de maîtrise des prix et du produit final. « Dans notre filière, les ventes sont réalisées au sein d’un cercle composé d’un collège de producteur et d’un collège d’acheteurs, précise Bernard Bonnefoy, président de l’Association Fin gras du Mézenc. Ce sont donc des micro-transactions directes entre éleveurs et acheteurs. Cela nous permet de contrôler les transactions, mais aussi de nous réapproprier la vente de nos animaux. »

Les plus petites filières ne sont cependant pas à l’abri des coups durs. En juin 2013, les éleveurs de moutons de Barèges-Gavarnie, dans les Hautes-Pyrénées, ont vu leur outil d’abattage emporté par une crue. Le nouvel « Abattoir du pays Toy », situé le long de la route du Tourmalet, n’a rouvert ses portes qu’au printemps dernier. « Cela confirme la résilience de nos productions », sourit Sylvain Broueil, président des éleveurs de cette AOP.

Le défi de la valorisation

L’un des défis des viandes AOP est de valoriser l’ensemble de la carcasse d’animaux aux coûts de production élevés. « L’une des réussites de l’AOP Noir de Bigorre tient à la bonne valorisation de la viande, hors du seul jambon », souligne Pierre Sajous, dont l’entreprise de transformation de Beaucens (Hautes-Pyrénées) est l’un des porte-drapeaux de l’appellation (27 salariés dans un atelier de 1 200 m2). « Nous n’avons plus besoin de la mettre en avant, ce sont les chefs qui viennent nous demander les découpes », poursuit l’ancien boucher. Pour mieux valoriser le gras abondant du porc gascon (40 % de maigre, contre 60 % pour un porc blanc), le charcutier et salaisonnier lance une knack de porc noir au génépi et au piment.

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