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Production
Les filières bios doivent changer de braquet

L'enjeu pour les filières carnées est de répondre à la demande croissante en bio, tout en s'inscrivant dans la durée et en préservant un équilibre offre/demande. Un défi de taille pour les professionnels d'autant plus que l'alimentation animale peine à suivre.

Les achats des ménages de viande de boucherie bio (bœuf, veau, agneau et porc) ont encore progressé l’an dernier, affichant une croissance de 10 % selon Interbev, alors que le rayon conventionnel était en berne. En volailles bios — dominées par le poulet —, « la tendance est à la croissance, ce qui reste une exception favorable au sein d’un marché difficile », souligne-t-on au Synalaf. La part du bio dans les ménages des ménages atteint 10,5 % pour le poulet prêt à cuire (PAC), en hausse de 0,9 point en un an, et 4 % pour les découpes (+0,1 point).

La grande distribution s’est saisie de la question du bio pour profiter de cet engouement et a commercialisé 52 % des volumes de viandes de boucherie bios en 2017, loin devant les magasins spécialisés (17 % de part de marché). Même tendance en volaille, 87,8 % des achats de poulet PAC bio et 75,8 % des découpes de poulet bio ont été réalisées dans les circuits généralistes, dont 78,4 % et 66,3 % respectivement en hyper et supermarchés.

Trouver le bon rythme

« Le défi du bio, c’est de faire correspondre la production avec cette hausse des besoins, tout en préservant un équilibre offre/demande », explique Jean-François Deglorie, animateur technique à la commission bio de l’Interprofession bétail et viande (Interbev). Les objectifs des plans de filière sont ambitieux. En viande bovine et en volaille, il s’agit de doubler les volumes à l’horizon 2022. La filière porcine a l’intention de faire passer la part du bio de 0,5 % de la production en 2017 à 5 % en 2022. Un objectif très politique, reconnaît Didier Delzescaux, directeur d’Inaporc, qui rappelle que la proposition initiale était de 2,5 % ; « le plus important pour l’interprofession c’est que chaque pourcentage gagné soit consolidé. Il faut s’inscrire dans la durée ». Un avis partagé par les autres filières, aucune ne souhaitant voir la production s’accroître plus vite que la demande, ce qui mettrait les prix sous pression et la viabilité des filières en question.

Personne ne souhaite non plus que l’essor du marché français ne profite aux importations, qui, souvent plus compétitives, pourraient mettre les prix sous pression, à tous les maillons de la filière. « La régionalisation des approvisionnements est fondamentale dans la bio », détaille Jean-François Deglorie, qui se réjouit que, pour l’heure, les acteurs français jouent la carte bleu-blanc-rouge, mais envisage « le développement d’une filière viande bio avec garantie de l’origine, pour être cohérent aux yeux du consommateur, et limiter les risques de crise ».

Un défi d’autant plus de taille que les actes d’applications du nouveau règlement européen de l’agriculture — publié au journal officiel au printemps et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2021 — sont en cours de négociation et pourraient changer la donne.

Le lien au sol, un facteur limitant

Les secteurs de la volaille et du porc attendent d’autant plus ces actes secondaires qu’il existe un possible frein au développement de l’offre : l’alimentation animale. La notion de lien au sol, soit la part des matières premières entrant dans l’alimentation produites sur l’exploitation ou à proximité, vient accentuer les inquiétudes quant aux disponibilités globales en céréales et oléagineux bios. « Va falloir s’arranger entre monogastriques ! » a alerté André Le Dû, président de la Commission élevage de l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) en conclusion de la journée porc bio organisée mi-novembre par l’Itab et l’Institut du porc (Ifip). Volaille et porc sont en concurrence, en particulier sur leur besoin en protéines. À cela s’ajoute une compétition de l’alimentation humaine bio, en pleine croissance également. « Il n’est pas sûr que la France ait assez de surface pour tout le monde », souligne André Le Dû.

Outre le frein au développement de l’offre s’ajoute en arrière-plan un risque de hausse des prix des matières premières, déjà plus élevés que dans le conventionnel. Or, la part de l’alimentation dans les coûts de production est estimée entre 60 et 65 % en volaille et entre 65 et 75 % en porc.

Valoriser toute la carcasse

Autre défi à relever pour l’ensemble des filières : l’équilibre carcasse. En volaille, selon le Synalaf, « il y a plus de demande sur le filet que la cuisse, plus pour les découpes que l’entier ». 60 % de la viande bovine bio est consommée sous forme de viande hachée, selon Interbev. Une catégorie en plein essor, puisque les ventes de steak haché bio ont bondi de 17 % entre 2016 et 2017 et la progression est du même ordre au premier semestre 2018, selon Jean-François Deglorie. Mais pour valoriser au mieux la carcasse, « il faut élargir, proposer de nouveaux produits, notamment en trouvant un nouvel équilibre entre les rayons libre-service et boucherie traditionnelle des GMS », explique Jean-François Deglorie. En viande bovine, cela implique une meilleure conformation et une plus grande homogénéité des carcasses.

La demande est cantonnée au jambon et aux lardons

C’est en viande porcine que la gestion de l’équilibre matière est particulièrement cruciale. « La demande est cantonnée au jambon et aux lardons d’une part et aux traditionnels rôtis, côtes et saucisses d’autre part », déplore Jean-François Deglorie. D’où la nécessité d’agrandir la gamme pour valoriser toute la carcasse.

Il faudrait parfois créer de nouvelles filières. Les veaux mâles ne sont pas correctement valorisés, les animaux allaitants partant rejoindre les broutards conventionnels en Italie, il n’y a pas de filière spécifique bio. Plusieurs solutions peuvent être envisagées pour valoriser correctement ces animaux : l’élevage de bœufs qui valorise bien l’herbe ou encore la création d’une filière veau de boucherie bio pour les mâles allaitants. Selon Jean-François Deglorie, « 15 à 20 % des mâles pourraient être élevés sous la mère pour fournir les boucheries traditionnelles, et le reste serait complémenté et destiné au rayon libre-service de la GMS et à la RHD ». Restauration commerciale ou collective, produits élaborés et plats préparés sont aussi des pistes de développement à ne pas négliger, toutes filières confondues.

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