Quelles sont les conséquences de la chute de l’offre de bovins ?
Emmanuel Bernard - Le cheptel bovin allaitant subit une décapitalisation depuis plusieurs années. Nous avions alerté, les abattoirs comme la grande distribution, que la situation allait être critique ! Les éleveurs de bovins viande ont beaucoup souffert d’une rémunération insuffisante et d’un manque de visibilité. Les abattoirs vont être la seconde victime, après les éleveurs, de ce phénomène. Les outils d’abattage sont en surcapacité et le secteur risque une restructuration. Mais la France est le seul pays d’Europe à pouvoir répondre à la situation, car nous sommes les seuls à exporter autant d’animaux vivants.
Ces animaux peuvent-ils convenir au marché français ?
E. B. : Nous n’exportons pas que des mâles, loin de là, la France envoie 200 000 à 300 000 génisses se faire engraisser chaque année de l’autre côté de nos frontières. Il s’agit d’animaux qui conviennent à la demande des Français pour la viande de femelle. Par ailleurs, il existe actuellement un marché en France pour les jeunes bovins. Près de la moitié (45 %) de notre production est consommée ici. Je pense qu’il est important, collectivement, de prendre en compte l’intérêt de la filière. Garder davantage d’animaux pour l’approvisionnement des entreprises de la viande et, en face, contractualiser davantage pour sécuriser les éleveurs.
L’éleveur naisseur peut alors devenir engraisseur sous contrat. Ou alors un intermédiaire, un metteur en marché, contractualise lui-même. Au lieu d’exporter les animaux, il les met en place dans des ateliers dédiés, dans des zones plus céréalières. L’engraissement sur notre territoire, c’est aussi un apport de fertilisation. Avec la flambée des engrais, c’est un aspect non négligeable.
Face à l’inflation et aux changements d’habitudes de consommation, faut-il vraiment produire plus ?
E. B. - La consommation a résisté à l’inflation, les données par bilan indiquent qu’elle n’a reculé que de 1 % au premier semestre. Mais cette consommation bénéficie aux importations qui progressent de plus de 20 %. Il est temps de réagir. La filière fait un vrai travail qualitatif, sur le persillé notamment, notre objectif permanent est la satisfaction du consommateur. Or si l’on importe, ce n’est pas pour chercher de la qualité, mais du prix, il y a un vrai risque de décevoir le consommateur.
Le consommateur est prêt à payer plus cher, on le voit bien avec le haché. Depuis le début de l’été, avec l’inflation, les prix ont progressé de 25 % en frais, près de 30 % en surgelé. Pour autant, les ventes restent identiques à l’avant-Covid sur cette même période. Il faut dire que sur ce segment, la France avait du retard pour la revalorisation, c’était un produit d’appel.
Et pour la restauration, quelle démarche dans les achats alors ?
E. B. - Les acheteurs vont devoir remettre en cause leurs pratiques. Il y a moins de matière, la restauration ne peut plus passer des commandes de dernière minute, il faut de la visibilité. Là aussi, la contractualisation est une clé, l’équilibre matière en est une autre. Même enjeu pour le fast-food ! Le haché peut être français, il faut réorienter les flux. Un steak une étoile n’a pas sa place en rayon, il risque de décevoir le consommateur. Ces morceaux doivent être transformés en haché, grâce à des changements techniques pour améliorer le taux de matières grasses.