« L’Union européenne ne peut pas se permettre d’abandonner le Mercosur, c’est maintenant ou jamais »
Face au protectionnisme des États-Unis de Donald Trump, l’Europe doit réagir et enfin finaliser l’accord avec le Mercosur. C’est ce que défend Jean-Luc Demarty, ancien directeur général de l’Agriculture (de 2005 à 2010) et du Commerce extérieur (de 2011 à 2019) de la Commission européenne. La vraie menace pour l’agriculture communautaire serait, selon lui, du côté des concessions accordées à l’Ukraine.
Face au protectionnisme des États-Unis de Donald Trump, l’Europe doit réagir et enfin finaliser l’accord avec le Mercosur. C’est ce que défend Jean-Luc Demarty, ancien directeur général de l’Agriculture (de 2005 à 2010) et du Commerce extérieur (de 2011 à 2019) de la Commission européenne. La vraie menace pour l’agriculture communautaire serait, selon lui, du côté des concessions accordées à l’Ukraine.

Les Marchés : L’agriculture européenne est la monnaie d’échange dans les nouveaux traités commerciaux, selon les syndicats. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Luc Demarty : C’est totalement faux !
J’ai négocié des traités de libre-échange pour l’Europe, surtout à partir de 2008 en tant que directeur général de l’Agriculture de la Commission européenne, puis à partir de 2011, quand j’étais au Commerce extérieur.
Nous n’avons jamais utilisé l’agriculture comme monnaie d’échange !
Nous n’avons jamais utilisé l’agriculture comme monnaie d’échange !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 15 ans, l’excédent du commerce agricole et agroalimentaire de l’Union européenne à 27 est passé de 10 à 70 milliards d’euros.
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Les Marchés : Mais alors pourquoi les opérateurs français tiennent-ils ce discours ?
Jean-Luc Demarty : Car ce n’est pas un secret que le commerce extérieur agro-alimentaire français, lui, stagne. Pour être plus précis, le commerce extérieur a progressé de 6 milliards d’euros vers les pays tiers… mais a chuté d’autant avec les pays de l’Union européenne. La France a un problème majeur de compétitivité avec l’Union européenne.
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La France a un problème majeur de compétitivité avec l’Union européenne.
Les Marchés : Dans les négociations des traités de libre-échange, comment sont prises en compte les fragilités du secteur agricole ?
Jean-Luc Demarty : Les secteurs les plus sensibles aux importations varient selon les pays. On peut retenir dans l’ensemble le bœuf, le sucre, la volaille. Nous veillons à ce que, si contingent il y a, sur ces produits, il reste faible au regard de la consommation.
Pour tous les accords conclus et à conclure depuis 2008, nous avons, en outre, un plafond implicite.
Pour tous les accords conclus et à conclure depuis 2008, nous avons, en outre, un plafond implicite. Sur ces trois produits, tous accords confondus, on ne doit pas dépasser 4 % de la consommation européenne en contingents additionnels.
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Les Marchés : Dans ce contexte, vous êtes favorable au Mercosur ?
Jean-Luc Demarty : Bien sûr ! Dans le contexte géopolitique actuel, avec le protectionnisme de Donald Trump, l’Union européenne ne peut pas se permettre d’abandonner le Mercosur, c’est maintenant ou jamais, Lula l’a fait savoir. Le traité n’aura un impact que très légèrement négatif sur nos échanges commerciaux agroalimentaires.
Ces effets sont sans commune mesure avec les énormes gains globaux pour l’UE
Les légères pertes sur le bœuf, le sucre et la volaille ne seront pas entièrement compensées par les gains attendus en produits laitiers, vins et spiritueux et produits dérivés des céréales. Mais ces effets sont sans commune mesure avec les énormes gains globaux pour l’UE évalués entre 0,2 et 0,4% du PIB.
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Les Marchés : Les filières s’inquiètent et ne parlent pas de légères pertes, avec notamment la déstabilisation du marché de l’aloyau en bœuf…
Jean-Luc Demarty : Les seules études fiables, une du Centre de Commun de Recherche de la Commission Européenne et deux autres émanant notamment d’un des plus respectés économistes agricoles européens, parlent d’effet négligeable sur les prix des volailles. Sur le prix du bœuf, une possible baisse de 1,5 % est envisagée, sans que l’on constate cet effet aloyau. Et elle sera, si nécessaire compensée par des aides européennes.
Le système est archaïque
Il faut comprendre qu’on en importe déjà, de cette viande du Mercosur, et pas en France ! Il y aura un contingent ; et même des droits de douane. Les syndicats qui s’inquiètent, comme la FNB, n’ont aucune crédibilité. Les prix de la viande bovine n’ont jamais été aussi élevés en Europe, il y a des aides et pourtant, on ne relance pas la production car le système est archaïque !
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Les Marchés : Que répondez-vous aux critiques qui parlent d’un accord d’il y a 20 ans, dépassé ?
Jean-Luc Demarty : Les accords que signe l’Union européenne sont, au contraire, très ambitieux, avec un chapitre dédié à l’environnement et au droit du travail. Le respect de l’accord de Paris en est aussi une clause essentielle, c’est une idée que j’ai lancée en 2017. C’est très important, si cet accord n’est pas respecté, il peut être suspendu unilatéralement, et l’accord de Glasgow sur la déforestation en fait aussi partie.
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Les Marchés : La qualité sanitaire des produits importés pose pourtant question ?
Jean-Luc Demarty : Les États membres sont responsables des contrôles individuels, les services vétérinaires de la Commission sont responsables de l’audit des systèmes de contrôle des pays tiers. Dans la dernière communication de l’UE sur sa vision sur l’agriculture, on parle justement d’une task force de contrôle entre la Commission et les États membres. C’est donc dans la bonne voie. La Commission européenne a mené récemment un audit sur ses importations en provenance des pays tiers, c’est globalement satisfaisant. Et surtout, quand il y a des problèmes, par exemple avec le Brésil en 2009, on n’a pas hésité à fermer les frontières.
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Les Marchés : Pourquoi ne pas mettre en place les mesures miroirs ?
Jean-Luc Demarty : Les mesures miroirs, c’est une fausse bonne idée, inventée par Emmanuel Macron pour tuer l’accord avec le Mercosur, car il sait que c’est irréalisable. Tout d’abord tous les produits importés dans l’UE doivent respecter ses normes sanitaires et phytosanitaires, ainsi que l’interdiction des hormones et des antibiotiques à des fins d’engraissement. Concrètement, on ne peut pas imposer aux pays tiers de respecter toutes nos autres règles de production, notamment environnementales pour un accès avec de si faibles contingents.
Les mesures miroirs, c’est une fausse bonne idée, inventée par Emmanuel Macron pour tuer l’accord avec le Mercosur, car il sait que c’est irréalisable.
Ce ne serait concevable que dans le cadre d’une libéralisation totale qui n’est pas souhaitable parce que notre production de bœuf de volailles et de sucre serait balayée par le Mercosur même avec des clauses miroirs intégrales. En outre les agriculteurs européens bénéficient annuellement de 40 milliards d’euros d’aides au revenu pour compenser les écarts de coûts de production avec les pays tiers les plus compétitifs, notamment imputables à certaines règles de production plus strictes. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre qui, par définition, n’est pas négociable.
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Les Marchés : Tous les accords de libre-échange sont-ils donc sans danger pour l’agriculture européenne ?
Jean-Luc Demarty : L’accord avec le Canada a été très bénéfique, malgré les grands cris de panique de la filière viande. Parmi les accords en cours de négociation, il y a l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, aucun problème pour l’agriculture. L’Inde, qui est offensive sur le sucre. La Thaïlande, offensive sur le sucre et le poulet. Et l’Australie, offensive, mais qui est aussi la preuve de notre vigilance, la négociation a été suspendue fin 2023 car ils voulaient trop de contingents.
La vraie menace, c’est la renégociation du traité commercial avec l’Ukraine.
La vraie menace, c’est la renégociation du traité commercial avec l’Ukraine. L’Union européenne a fait n’importe quoi en 2022, notamment sur le sucre et la volaille. On doit aider l’Ukraine face aux Russes, mais pas comme ça ! Il faut revenir à l’accord de 2014.
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