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Interview du directeur exécutif achat de Lidl
« Le fameux ruissellement, je n’y crois absolument pas »

Michel Biero, directeur exécutif achat et marketing de Lidl France, répond aux Marchés Hebdo sur les enjeux liés à la loi Alimentation et ses conséquences probables sur l’enseigne de distribution.

Les Marchés Hebdo : Vous êtes directeur achat pour Lidl France, comment abordez-vous les négociations commerciales 2019 ?

Michel Biero : Nous nous sentons que très peu concernés par les « fameuses négociations annuelles » du 28 février. Nous n’avons que 10 % de marques nationales dans notre assortiment. Chez nous, une bonne partie de ces contrats sont déjà négociés avec les marques, sans attendre la date butoir du 28 février, qui pour moi ne fait aucun sens. Les MDD ou marques propres sont, elles, négociées au fil de l’eau, durant toute l’année. Les acheteurs ne travaillent pas qu’en janvier et février ! (rires) La probable application du relèvement du seuil de revente à perte de la loi Egalim, le 1er janvier 2019, va obliger tous les distributeurs à monter leur prix de vente pour avoir, sur chaque produit, au minimum 10 % de marge. Le mercredi 2 au matin, tous vont se regarder pour voir quels produits montent chez les uns et les autres et tenter d’estimer le prix d’achat.

10 % de notre assortiment va augmenter en moyenne de 4 à 5 %

LMH : Comment la loi Alimentation va affecter la stratégie de votre enseigne ?

M. B. : Concernant le relèvement du SRP, Michel-Édouard Leclerc parle de 3 000 références touchées. Pour nous, il s’agit d’environ 150 à 200 références soit 10 % de notre assortiment, qui vont augmenter en moyenne de 4 à 5 %. Nous respecterons bien évidemment la loi, mais regarderons très attentivement ce qui se passe sur le marché concurrentiel et ne serons jamais plus chers que nos concurrents. Lidl est n° 1 sur le rapport qualité/prix depuis quinze ans et nous le resterons !

LMH : Le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) va faire augmenter le prix du panier de la ménagère, selon Michel-Édouard Leclerc. Qu’en pensez-vous ?

M. B. : Michel-Édouard Leclerc évoque plus de 1 milliard d’euros de pouvoir d’achat perdu pour les Français. Chez Lidl, nous sommes moins alarmistes, même si l’on parle de plusieurs millions. Ce qu’il faut surtout préciser, c’est que cette mesure dans la loi, n’aidera en rien les éleveurs français. Car le « fameux ruissellement », je n’y crois absolument pas. Ce n’est pas parce que les Kinder vont augmenter de quelques centimes, que les éleveurs toucheront plus d’argent sur leur kilogramme de viande ou leur litre de lait.

Il aurait fallu interdire toutes les promotions sur le lait et la viande

LMH : L’encadrement des promotions influence déjà les prospectus, quelle politique promotionnelle allez-vous adopter ?

M. B. : On voit déjà la multiplication des promotions. Les distributeurs veulent montrer leurs muscles avant la mise en application de la loi au 1er janvier 2019. D’ailleurs, nous ne pouvons déjà plus utiliser le terme « gratuit » et tout le monde le remplace par « offert ». Mais pour l’heure, il y a encore beaucoup de flou autour de cette mesure : le cagnottage sur les cartes de fidélité n’est pas concerné, le e-commerce pas plus ? Il faut que la règle soit la même pour tous. Et là encore, cette mesure n’aidera en rien les éleveurs. Pour cela, il aurait fallu interdire tout simplement toutes promotions sur les produits d’élevage tels que le lait et la viande.

LMH : Et vous, vous allez vous y mettre à la carte de fidélité ?

M. B. : On en fera probablement une un jour. Mais pour revenir à l’encadrement des promotions, chez Lidl, cela ne changera pas grand-chose pour le client. Nous n’avons jamais fait de promotions de plus de 34 % et aucune sur des produits d’élevage, lait ou viande. Je trouve vraiment ridicule de prendre ces produits comme des produits d’appel, alors que l’on sait que les éleveurs sont à l’agonie ! J’ose espérer que les ordonnances vont intégrer les cartes de fidélité et le e-commerce. On montera au créneau si ce n’est pas le cas, car c’est de la concurrence déloyale.

LMH : Comment Lidl peut tirer son épingle du jeu par à rapport à ses concurrents dans ce nouveau cadre ?

M. B. : Certainement pas en faisant une promotion sur le lait ! Ça ne fait pas vendre plus. Non, chez Lidl ce qui marche, c’est ça (il montre des pulls kitsch pour Noël sur un prospectus, ou encore une parure de lit avec l’image de Johnny Hallyday pour le premier anniversaire de sa mort, ou un robot de cuisine « Monsieur Cuisine », ndlr). C’est le non alimentaire en opération promotionnelle. Personne ne nous l’enlèvera.

LMH : La FNPL vient de dire que le coût de production de 1 000 litres de lait serait de 396 euros, qu’en pensez-vous ?

M. B. : Ça me paraît juste. Le coût de revient doit être de 0,35 euro, si on ajoute l’éleveur, on arrive à 0,39 euro. On ne négocie pas avec un éleveur, mais avec l’industriel dans nos contrats tripartites. Dans ces contrats, on s’engage auprès des éleveurs à leur rémunérer ce qu’ils demandent, c’est-à-dire le coût de production et leur salaire. Ensuite, on négocie avec l’industriel, qui adhère à ces démarches, pour le partage de la valeur. L’éleveur n’est plus la variable d’ajustement.

LMH : Aujourd’hui, Lild s’approvisionne auprès de combien de fournisseurs français ? Quel volume d’affaires cela représente-t-il ?

M. B. : Un magasin Lidl compte en moyenne 1 800 références. 72 % d’entre elles sont françaises et produites par 600 PME et industriels français. L’objectif est d’atteindre les 75 % d’ici à 2022. Au-delà, cela sera difficile.

LMH : Vous mettez en place depuis plusieurs années des contrats tripartites avec les filières animales notamment, qu’est-ce que cela représente dans vos achats ?

M. B. : Les contrats tripartites sont pour moi, la seule alternative pour garantir un revenu décent aux éleveurs, et ce, en toute transparence. Nous essayons de les multiplier et de proposer à terme du porc, du bœuf et du lait responsable sur chacun de nos 1500 magasins. Par exemple, Le Ch’ti Porc des Flandres, tripartite dans les Hauts-de-France, est transformé par un industriel belge, d’un commun accord avec les éleveurs, car les industriels français ne veulent pas jouer le jeu de la transparence. Dans les 200 magasins de cette région, c’est 100 % de la viande fraîche qui est sous contrat tripartite. Dans le porc, beaucoup de régions sont couvertes par ces contrats. Il nous manque encore l’Est et le Sud-Ouest. Pour le bœuf, nous avons de la limousine dans l’Est, la blonde d’Aquitaine dans le Sud-Ouest, du charolais, et bientôt de la normande dans l’Ouest. Et pour le lait, 100 % des magasins proposent un lait responsable. Soit sous tripartite avec l’unique industriel qui est d’accord : la Laiterie Saint Denis de l’Hôtel, soit à travers des initiatives telles que C’est qui le patron ? !, Montlait ou encore Faire France. On continue à travailler activement pour aller encore plus loin.

LMH : La nouvelle construction inversée des contrats dans le cadre de la loi Alimentation vous oblige-t-elle à revoir vos contrats ?

M. B. : Elle ne sert à rien, il n’y a aucune mesure contraignante dans la loi. Le seul moyen pour répondre à la demande d’Emmanuel Macron de revaloriser le revenu des agriculteurs ce serait d’obliger les contrats tripartites ou d’imposer un prix minimum généralisé pour l’éleveur. Pourquoi la vente à perte n’est-elle pas interdite en France pour les produits agricoles ? On peut différencier le coût de revient par catégorie de produits.

Bio : nous sommes ouverts à toute proposition

LMH : Vous parlez peu du bio. Qu’est-ce que cela représente dans vos références ? Allez-vous développer l’offre ?

M. B. : Le bio représente 8 % de nos ventes en PGC. On dénombre 100 références bios (80 en PGC et 20 en fruits et légumes). On en avait 10 il y a trois ans. En valeur, les ventes en bio chez Lidl ont crû de 30 % sur un an. Nous essayons de soutenir la conversion, pour nous assurer des volumes dans un à deux ans. Comme dans l’endive par exemple, où nous payons quelques centimes de plus sur l’endive conventionnelle pour aider à la conversion et avoir de l’endive bio dans deux ans. À ce jour, nous vendons également des produits bios non français, car la production n’est pas suffisante sur le territoire. Dans la viande, c’est beaucoup plus compliqué encore. Nous avons un steak haché bio et un jambon bio. Nous voulons fortement développer le bio et sommes ouverts à toute proposition.

LMH : Quels sont vos engagements en matière de bien-être animal ?

M. B. : On a défini un cahier des charges avec notre responsable RSE et on fait des audits réguliers chez nos fournisseurs. On est toujours en discussion avec les producteurs. Le bien-être animal est au cœur de nos discussions. Certaines enseignes ont arrêté du jour au lendemain l’œuf de cage, mettant des élevages en difficulté. Nous avons discuté avec les producteurs en leur disant : « l’œuf de cage est en perte de vitesse, au profit de l’alternatif d’un commun accord : on stoppera les œufs de cage en 2025 », et d’ici là, on a mis en place des contrats d’accompagnement de 7 ans avec les producteurs en définissant des indicateurs pour les accompagner. Quant à eux, ils s’engagent à fournir 100 % de nos commandes.

LMH : Que faites-vous en matière de nutrition ? Quid du Nutri-Score ?

M. B. : Cela fait un an que l’on parle du Nutri-Score. Il arrivera sur nos étiquettes au printemps 2019. Nos acheteurs scannent tous les produits sur l’application Yuka pour, en permanence, améliorer leur qualité. À ce jour, on a plus de vert que de rouge.

Parcours de Michel Biero

« Je suis né dans un chou », aime dire Michel Biero, 45 ans. Cet Alsacien natif de Krautergersheim a baigné durant son enfance dans la choucroute. « Mes grands-parents puis ma mère étaient choucroutiers, dès 5 ou 6 ans, j’étais sur le tracteur pour ramasser le chou, dont on creuse le cœur avec un geste bien précis », se souvient-il. Une licence de tourisme en hôtellerie en poche, il fait ses armes chez Bernard Loiseau à la réception des clients : « une super expérience, j’ai pu goûter tous les plats », se rappelle-t-il avec plaisir. Deux ans plus tard, il met le cap sur Saint-Tropez puis Bora-Bora avant de s’expatrier en Argentine pour monter un restaurant de grillades. Quand les Argentins descendent dans la rue, en pleine crise d’inflation, en 2001, ils retournent à Paris. « Là, j’ai vu une annonce Lidl comme chef de magasin à Colmar », raconte-t-il. Il retourne dans sa région natale et rapidement il devient chef de secteur : « le métier le plus excitant de Lidl, on fait tout et on gère 100 personnes ». En 2003, il passe responsable approvisionnement dans un entrepôt à Nancy, puis acheteur spécialisé dans les fruits et légumes, puis dans l’hygiène féminine. Il accède à la direction des achats en 2009. Deux ans plus tard, il est promu gérant achat et marketing, comptant parmi les six gérants sous le gérant France, Friedrich Fuchs. Lidl étant passé récemment à une organisation en Comex, il est désormais directeur exécutif achat et marketing.

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