L’agneau de Patagonie a du mal à se faire une place en Europe
L’échec provisoire du label argentin auprès des opérateurs du marché de l’agneau démontre qu’ils n’en ont pas besoin. La seule évocation du pays d’origine suffit à valoriser ce produit sur le marché français. Mais, l’évolution des systèmes d’élevage en Argentine donne tout son sens à cette IGP. Au Chili, Marfrig est sur le coup.
L’indication géographique protégée (IGP) agneau de Patagonie a été créée en 2014, en Argentine, par décret ministériel, sous l’impulsion de la filière ovine.
Il s’agit de la plus vaste IGP au monde. Elle englobe l’intégralité des territoires de cinq provinces de l’Argentine : Terre de Feu, Santa Cruz (épicentre de la filière export), Chubut, Río Negro et Neuquén. Soit 800 583 km2 ! Au passage, la région a sommairement été classée « zone de production alimentaire bio ». Pourquoi se gêner.
De façon bien plus circonscrite, cette IGP certifie sur cette immense région les systèmes d’élevage ovins herbagers extensifs menés sur des pâtures autochtones, en interdisant tous recours aux phytosanitaires chimiques.
Un projet en gestation
Huit ans plus tard, le projet reste en gestation. Les provinces de Río Negro et de Neuquén n’ont même pas monté leur propre comité régional de surveillance, pourtant prévu. Plus significatif, ledit label ne séduit toujours pas les opérateurs du marché. Ni en Argentine ni en France où de maigres volumes sont importés, car cette IGP ne leur apporte rien de plus.
La seule évocation de la provenance de ces carcasses, soit patagone, soit argentine, voire sud-américaine (en incluant l’Uruguay), attestée par le protocole sanitaire, leur va. Selon Patrice Rétif, directeur d’Ovimpex, installé à Rungis, qui importe de l’agneau néo-zélandais en frais – pas du surgelé en provenance d’Argentine –, la Nouvelle-Zélande « jouit d’une très belle image en viandes, surtout en bœuf, laquelle est associée aux grands espaces sauvages », rappelle-t-il.
Florent Pagny a fait connaître la Patagonie aux Français bien davantage que tout label,
Max Cohen, président de MC Foods
Pour le négociant Max Cohen, président de MC Foods, qui, lui, importe des agneaux d’Amérique du Sud, « [lesquels] n'ont pas besoin de label. Florent Pagny a fait connaître la Patagonie aux Français [en y achetant une exploitation agricole et en y tournant des clips, NDLR] bien davantage que tout label, constate-t-il. Nous découpons ces carcasses pour en vendre les côtes et les gigots aux distributeurs de la restauration commerciale du Grand Paris. »
Un parcours identique au bœuf argentin ?
Osons la comparaison avec le bœuf argentin. Sa cote mondiale repose, elle aussi, sur une image séculaire associée aux vastes prairies sauvages de la Pampa, alors que depuis deux décennies déjà, l’essentiel des bovins abattus en Argentine pour l’export est fini aux grains et en enclos. Là non plus, nulle AOC ni IGP n’ont été nécessaires pour entretenir une réputation bien gagnée mais quelque peu frelatée. À l’exception du contingent Hilton, bien sûr, qui impose un engraissement à l’herbe.
Un parcours identique attend-il l’agneau sud-américain sur le marché mondial ? Mieux vaut pour lui. Car il ne peut y revenir en force que depuis une autre région que la Patagonie et à condition d’intensifier les systèmes de production par l’usage de suppléments fourragers, à en croire Miguel O’Byrne, le président de l’Institut d’élevage de la province de Santa Cruz. C’est-à-dire tout le contraire du système défendu par l’IGP agneau de Patagonie.
Là réside tout l’enjeu derrière son succès ou la poursuite de son échec.
Un contingent « jamais couvert »
Au Chili, qui dispose aussi d’un vaste territoire en Patagonie, le groupe Marfrig a flairé le coup dès 2007 en rachetant l’abattoir d’ovins Patagonia, situé en Terre de Feu. En janvier 2022, la multinationale brésilienne a intégré l’agneau de Patagonie dans sa ligne gourmet, baptisée Bassi Patagonia, lancée sur le segment de la RHD au Brésil. Marfrig a, par ailleurs, annoncé une déclinaison « bio » de l’agneau de Patagonie disponible dès cette année…
Que ce soit au Chili ou en Argentine, l’offre d’agneau provenant de Patagonie restera, de toute façon, extrêmement limitée par l’aridité de son climat et les problèmes liés aux prédateurs (le puma) et aux concurrents alimentaires (guanacos, sangliers) des moutons.
Aussi, l’Argentine n’exporte-t-elle que 4 000 tonnes de viande d’agneau par an. Le débouché européen est d’ailleurs approvisionné depuis une seule et même ville, Río Gallegos, à Santa Cruz, où se trouvent les trois seuls abattoirs d’ovins agréés par l’Union européenne. Ce volume d’exportation est dérisoire eu égard à la part du contingent d’importation d’agneaux argentins en Europe (23 000 tonnes), « jamais couvert ces dernières années », selon Miguel O’Byrne.
Si le cheptel ovin argentin est passé de 70 millions de têtes il y a un demi-siècle à environ 14 millions aujourd’hui, ne l’oublions pas, c’est à cause de l’effondrement des prix du marché mondial de la laine de mouton. Mais la Patagonie reste ce semi-désert qui produit l’herbe qu’il peut. Preuve en est : le petit gabarit moyen des agneaux de Patagonie, de 10-12 kg. À comparer aux 18-19 kg des carcasses d’origine australienne et aux 22 kg de celles d’origine néo-zélandaise.
Les exportations argentines
4 000 tonnes de viande d’agneau exportées par an.
3 abattoirs agréés par l’Union européenne.
14 millions de têtes pour le cheptel ovin argentin.