Au cœur de l’inoxydable géant du bœuf
JBS : l’empire du bovin s’étend au poisson et au végétal
Le Brésilien JBS, à peine lavé d’affaires de corruption, repart aux acquisitions. Le numéro un mondial de la viande bovine s’intéresse maintenant au poisson et aux protéines végétales.
JBS repart à la conquête du monde. Comme au mitan des années 2000, quand la multinationale brésilienne est devenue numéro un mondial du bœuf en rachetant des abattoirs aux quatre coins du monde ; et comme à la fin des années 2000 quand elle est devenue numéro deux américain du poulet en mettant le grappin sur Pilgrim’s Pride.
Depuis le début de l’année 2021, JBS prend d’assaut le secteur aquacole, au Brésil et bientôt en Australie, ainsi que celui des aliments végétaux en Europe. En mars dernier, JBS a intégré à sa marque-phare Seara des produits de la mer brésiliens. Puis, en avril, le conquérant a annoncé le rachat pour 341 M€ du Hollandais Vivera, un fabricant d’aliments végétaux d’envergure (3 usines). Le groupe avait récemment amorcé une diversification dans le végétal par la création de la marque Incrivel au Brésil et par le rachat d’Ozo aux États-Unis. Enfin, en juin dernier, JBS a repris aussi le transformateur de porc australien Rivalea pour 135 M$ australiens, selon l’agence EFE.
« Nous sommes l’une des deux seules multinationales du Brésil. Songez à la richesse et aux écosystèmes de prospérité… »
L’annus horribilis que fut 2017 pour JBS semble bien loin. « JBS a payé très cher » son implication dans de multiples affaires de corruption avérées, selon l’analyste brésilien Alcides de Moura Torres Júnior. L’expert rappelle que le groupe a dû se défaire de tous ses actifs en Argentine, en Uruguay et au Paraguay (une dizaine d’abattoirs), et éjecter de son board les fameux frères Batista, Joesley et Wesley, membres de la famille fondatrice de JBS.
La compromission ne tue pas. « 2017 fut pour JBS ce que 1945 fut pour Volkswagen, n’hésitait pas à dire Calluf Filho, le porte-voix de J & F Invest - le holding contrôlant JBS -, dans une tribune publiée en 2018 dans la revue brésilienne Veja. Le constructeur automobile allemand fut préservé malgré sa collaboration au régime nazi », poursuivait-il dans sa tribune. « Nous sommes l’une des deux seules multinationales du Brésil. Songez à la richesse et aux écosystèmes de prospérité… », plaidait-il.
Un accès illimité aux crédits de la banque publique brésilienne BNDES
Les frères Batista ont avoué leurs fautes et fait tomber au passage le gouvernement de Michel Temer, impliqué dans ces affaires de pots-de-vin, et quelque 1 800 membres de la classe politique brésilienne… JBS finançait presque toutes les campagnes politiques et s’octroyait ainsi un accès illimité aux crédits de la banque publique brésilienne vouée au développement des entreprises, la BNDES. De quoi bâtir un empire international quand de multiple PME du Brésil étaient privées de telles ressources.
L’expert argentin Víctor Tonelli a vécu l’arrivée et le départ de JBS en Argentine. C’est depuis ce pays que JBS s’était lancé à la conquête du monde, en 2005. Le Brésilien y a occupé la place de premier exportateur de bœuf. Puis il l’a subitement déserté en 2017, vendant tous ses actifs à un autre Brésilien, Minerva. « L’arrivée de JBS en Argentine a été quelque peu désordonnée avec le rachat de certains abattoirs qui ne se justifiait pas à l’aune des investissements annoncés, mais que la révélation des affaires de corruption a expliqué par la suite, relate Víctor Tonelli. Ceci dit, ni l’arrivée ni le départ de JBS n’a entraîné de turbulences sur le marché des bestiaux argentin, qui est très atomisé. Et jamais JBS n’a tenté d’y faire sa loi. Son compatriote Minerva a pris la relève sans discontinuité », constate-t-il.
La conquête redémarre comme si rien ne s’était passé. On notera quand même un changement positif : JBS s’adresse à la presse… De façon très contrôlée cependant. Ainsi, le n’a pas accédé à notre demande d’entretien mais il a répondu à notre questionnaire envoyé par e-mail. Un peu frustrant mais l’acceptation de s’exprimer est rarissime de la part de groupes tels que JBS, Marfrig, AB Inbev, BRF et consorts, foi de journaliste agricole.
Réponses exclusives aux questions de Viande Mag’par le porte-parole de JBS, Juliano Chaves da Nobrega
« Nous avons fait notre premier pas vers la production de poisson »
Viande Mag’ : Vous avez lancé en mars dernier votre toute première gamme de produits à base de poisson vendus au Brésil sous la marque Seara. Les produisez-vous ?
Juliano Chaves da Nobrega : La consommation mondiale de poisson devrait augmenter de 5 % par an d’ici à 2030. Nous y répondrons. Notre marque phare au Brésil, Seara, a ouvert son portfolio aux produits de la mer avec notamment des steaks de saumon certifiés ASC, mais aussi une paëlla, des moules et des anneaux de calamar frit. Nous comptons devenir leader sur ce marché. Grâce à notre réseau logistique et de vente, nous pouvons offrir ces nouveaux produits à grande échelle, et ils possèdent tous les attributs de la marque Seara au niveau qualité, innovation, santé et durabilité. Nous voulons aussi étendre cette activité à l’international. Notre offre de rachat du groupe Huon Aquaculture, le plus gros éleveur de saumon indépendant d’Australie, constitue notre premier pas vers la production de poisson.
VM : Quelle est votre stratégie de diversification globale à l’aune de vos rachats récents d’unités d’aliments végétaux dans plusieurs pays ? Y en a-t-il d’autres à venir ?
J. C. da N. : Nous développons constamment de nouveaux produits pour donner davantage de choix aux consommateurs. Nous serons 10 milliards d’habitants sur Terre en 2050, or nous savons qu’il sera impossible de produire la quantité de viande suffisante pour répondre à de tels besoins. Les végétaux combleront ce manque.
Le rachat de Vivera a été un pas important dans cette direction et nous explorons de nouvelles options qui pourraient contribuer à notre succès en tant que global player du secteur alimentaire.
VM : Votre cœur de métier est le bœuf. Quelle est votre stratégie globale sur ce segment ? Quelles régions sont les principales exportatrices de bœuf ? Quels marchés sont les plus dynamiques ?
J. C. da N. : Dans le bœuf, nos deux bras sont JBS USA Beef et JBS Brasil. JBS USA Beef est le plus gros producteur de bœuf du monde avec ses unités aux États-Unis, au Canada et en Australie. Cependant, le Brésil, qui possède le plus grand cheptel commercial du monde, a toute sa place dans notre stratégie.
Aujourd’hui, nous exportons du bœuf vers 180 pays. En 2020, onze pays sont devenus de nouveaux débouchés pour nos filiales au Brésil que sont Seara et Friboi : l’Indonésie, le Liberia, Antigua-et-Barbuda, le Sénégal, l’île Maurice, le Kazakhstan, Trinité-et-Tobago, l’Ouzbékistan, le Nigeria, le Viêtnam et l’Éthiopie.
VM : Parlez-nous de votre Fonds pour l’Amazone.
J. C. da N. : Il s’agit d’une association à but non lucratif vouée à la protection du biome amazonien. Elle vise à nouer des partenariats avec des privés ainsi qu’avec nos actionnaires. Ce fonds recevra des apports à hauteur de 250 millions de réaux de la part de JBS lors des cinq premières années, pour lancer les premiers projets. Ce fonds est dirigé par Joanita Karoleski, ex CEO de Seara. Un conseil consultatif comprend parmi ses membres le climatologue Carlos Nobre et le CEA de Carrefour Brésil, Noël Prioux.
VM : Parlez-nous de votre but de zéro émission de gaz à effet de serre d’ici 2040.
J. C. da N. : Nous sommes la première entreprise majeure du secteur alimentaire à se fixer un tel objectif. C’est dans la lignée des objectifs les plus ambitieux de l’accord de Paris. Nous allons investir plus d’un milliard de dollars dans ces projets lors de la prochaine décennie et 100 millions de réaux dans des projets de R & D pour assister les éleveurs de bovins dans leurs efforts pour améliorer leurs pratiques. En Amérique du Nord, JBS a réduit son empreinte carbone de 20 % depuis 2015. Au Royaume-Uni, Moy Park a diminué ses émissions de GES de 77 % depuis 2010, et Pilgrim’s Pride au Royaume-Uni s’est fixé l’objectif de zéro carbone en 2040. Le revenu de nos dirigeants est désormais déterminé en partie en fonction de nos objectifs environnementaux.