Expert scientifique en génie des procédés scientifiques, Gilles Trystram a dirigé pendant dix ans l’établissement supérieur et de recherche AgroParisTech. Il vient d’être nommé directeur général du groupement d’intérêt public Genopole. Il est également impliqué dans plusieurs groupes de travail, commissions sur l’alimentation et les systèmes alimentaires, conseil national de l’alimentation et était coordinateur du concours Ecotrophélia 2022.
Que recouvre pour vous la notion de transition alimentaire ?
Gilles Trystram - La notion de transition alimentaire recouvre beaucoup de thématiques en même temps. D’abord, il y a eu une transition nutritionnelle, du fait de la bascule de prééminences de maladies virales vers des maladies liées aux comportements alimentaires. On le sait, des études épidémiologiques ont conclu à des liens entre certaines maladies et la manière dont on se nourrit. Deuxième élément : faire face à l’impact environnemental de l’alimentation. Quand on sait que 25 à 30 % des gaz à effet serre proviennent de l’agriculture et de l’alimentation, il faut qu’on change les choses, donc on est en transition. Troisième composante, plus discrète mais tout aussi importante : les comportements alimentaires changent pour diverses raisons, parfois communautaires, parfois nutritionnelles, parfois budgétaires. Il y a une grande diversité dans les comportements alimentaires, qui n’est pas toujours facile à définir d’ailleurs. Et le Covid a bien montré que ces comportements changent très vite. La précarité alimentaire entraîne aussi des transitions alimentaires. Je ne suis pas exhaustif sur les causes qui impliquent cette transition. Dans les réponses, on évoque une bascule vers plus de protéines végétales. Pour certains, c’est ça la transition alimentaire.
Passe-t-elle forcément par la réduction de la consommation de viande ?
Gilles Trystram - Il y a un élément qu’il faut garder en tête : la proportionnalité entre le coût alimentaire et l’énergie. Cette notion est toujours complexe et dépend des productions. Mais si on prend les extrêmes, l’alimentation végétale demande 5 fois plus d’énergie par rapport aux quantités ingérées, contre 18 fois plus pour l’alimentation animale à base de bœuf par exemple. De manière générale, moins on consomme de calories, moins nos comportements ont des effets sur l’environnement. Pour autant, je pense que la réalité n’est pas là. Certes, les protéines végétales sont intéressantes, et on va savoir faire de plus en plus, en matière de fonctionnalités technologiques, de texture, de foisonnement. Néanmoins, je pense que mixer les protéines est une réponse. D’autant plus que la consommation des protéines animales est peut-être en baisse en France, mais est en hausse dans d’autres pays, d’où la question de savoir quel effet cela produit si nous sommes les seuls à aller vers cette voie-là. Il faut raisonner cela à l’échelle globale.
Projetons-nous ! Quelles pourraient être les innovations alimentaires dans la décennie à venir ?
Gilles Trystram - Tous ces sujets sont avant tout une fantastique somme d’opportunités. Je suis convaincu que les réponses se trouvent dans la diversité des comportements, des ressources, donc il y aura une grande diversité de réponses. Il y a beaucoup de choses que l’on peut changer en reformulant, mais il est aussi intéressant de revoir les procédés. Les industriels se concentrent beaucoup sur les reformulations, il est vrai qu’après deux-trois mois d’essais, on arrive à obtenir un produit « amélioré ». En travaillant sur les procédés, on ouvre encore le champ des possibles. Une des ruptures est sans doute la fermentation. Elle a un effet formidable par la mise en œuvre des micro-organismes, de champignons dans des conditions variées sur liquide ou solide. Son avantage est qu’elle se travaille à température ambiante, donc limite ses conséquences énergétiques. La fermentation lactique, par exemple sur les légumes, apporte de nombreux nutriments, c’est très intéressant. La fermentation est un axe de rupture le plus évident, mais cette rupture est longue à installer.