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Ressources coquillières, un sacré potentiel à valoriser

La bioéconomie « bleue » recèle un potentiel très important de revalorisation, en particulier les coproduits des coquillages. Reste à maîtriser les flux de ressources et à stabiliser les débouchés.

Longtemps considérées comme des déchets, les coquilles d’huîtres, de moules et de Saint-Jacques profitent de la vague RSE. Les rejets sur l’estran de coquilles ou de moules sous-taille sont de plus en plus souvent verbalisés et les déchetteries intercommunales cherchent à réduire l’incinération quand de nombreuses structures d’aval veulent s’inscrire dans une économie circulaire.

Deux opérateurs historiques sont toujours en pointe, comme Ovive qui s’est lancé, dès 1989, dans la valorisation des coquilles d’huîtres collectées auprès d’ostréiculteurs à Perigny (Charente-Maritime), près de la Rochelle, et la société Usine de Kervellerin (Cléguer, Morbihan), fondée en 2006. Le premier concentré de poudre de coquilles d’huîtres de celle-ci, Ostrécal, a été mis au point dès 2007 par sa dirigeante, Martine Le Lu : « Nous étions peu nombreux quand je me suis lancée. Ce qui est important pour moi, c’est la pérennité de nos emplois et la valorisation de notre territoire. »

Les coquilles font feu de tout bois avec une explosion d’initiatives plus ou moins structurées, au-delà des usages historiques que restent l’alimentation des volailles et les amendements : remplacement de matières non renouvelables comme dans les bétons coquilliers, arts de la table, bioplastiques comme à Natureplast en Normandie, réalisations d’artistes…

Les produits finis sont portés par la R&D aval, qu’elle soit privée ou publique. Ainsi, l’école d’ingénieurs Builders de Caen (Calvados), ex-ESCIT, travaille depuis 2015 sur la mise au point de pavés drainants pour lutter contre l’artificialisation des sols et atténuer le changement climatique au travers de projets de recherche successifs (Vecop, Vecop-Exp, Fresh Eco-Pavers). Des entreprises, comme Colas à Sète (Occitanie), mettent aussi au point des ciments composés à 30 % de coquilles d’huîtres.

Les coquilles peuvent enfin revenir à la mer, non pas en rejet, mais pour la fixation maîtrisée des larves d’huîtres sur des brisures d’huîtres ou pour la fabrication de biomatériaux marins.

Les initiatives s’accélèrent

Les années 2010 ont vu l’accélération des projets. Stéphanie Dabin s’est lancée en 2014. Elle est à la tête de la marque de cosmétique Perlucine, portée par Entre Mer et Terre qui a fusionné avec le laboratoire Aquatonale d’Allaire (Morbihan) en 2017. « Aujourd’hui, explique-t-elle, nous valorisons dans nos cosmétiques une dizaine de tonnes de coquilles ramassées à la main sur les plages par notre équipe de collecteurs. » Plus largement, grâce à son outil de broyage, l’entreprise se positionne comme un facilitateur de recyclage en identifiant des gisements et en transformant les coquilles en produits calibrés.

« Depuis quelques années, les initiatives se multiplient », confirme Olivier Denoual, chargé de mission bioressources marines au Pôle Mer Bretagne Atlantique qui a organisé, le 12 mai 2022, une journée pour ses adhérents à Pénestin (Morbihan) sur la valorisation des coproduits conchylicoles. Il cite ainsi Alegina, fondée en 2014 (Le Poiré-sur-Vie, Vendée) et sa porcelaine très blanche Kaomer, Algo Paint (Rennes, Ille-et-Vilaine) et ses peintures, mais aussi Bysco (Nantes, Loire-Atlantique) qui valorise un autre coproduit de la moule, le byssus, en textile. Mais des filières peinent aussi à se mettre en place comme l’ont montré, pour la Bretagne Nord, Tag22 et Rich’ESS dans leur étude Alpa de 2022 sur la valorisation des coquilles Saint-Jacques.

Sécuriser l’approvisionnement

L’une des difficultés de la valorisation réside dans la saisonnalité et la dispersion des points de collecte. Les principaux gisements de coquilles en volume sont les élevages pour les moules et les huîtres (mortalité, sous-taille) et la pêche (coquilles Saint-Jacques) avec des initiatives dispersées d’apport volontaire des coquilles. Quelques opérateurs sont spécialisés dans le décorticage comme Celtarmor (groupe Le Graët), fondée en 1995 à Saint-Quay-Portrieux (Côtes-d’Armor), pour les coquilles Saint-Jacques ou Mussella, créée en 2016 par Axel Brière à Pénestin (Morbihan) avec une association de producteurs, pour le décorticage des moules de bouchot.

Après avoir validé sa technologie, ce dernier a produit 40 tonnes de chair de moules et le jus correspondant en 2022 (plus 120 t de coquilles). La pérennité de cet outil est toutefois liée à la décision des IAA françaises de s’engager à s’y approvisionner. Un autre projet pourrait émerger en 2024 à Cancale (myrtiller).

Autre ressource coquillière, l’ESAT d’Auray (Morbihan) s’est spécialisé dans la valorisation des creux de coquilles Saint-Jacques vers le marché des traiteurs, générant ainsi un gisement avec ses écarts (creux colorés, ébréchés, hors cotes, plats des coquilles).

Il reste les gros volumes de la consommation : restaurateurs, poissonniers mais surtout particuliers. Plusieurs initiatives sont mises en place, avec une mise à disposition de bacs par exemple pour les déchetteries d’intercommunalité (Alegina) ou auprès de poissonniers comme Providentiel Coquillages (Ramonville-Saint-Agne, Haute-Garonne), près de Toulouse, qui a démarré la collecte en 2021. Pour son dirigeant Daniel Moukoko, cette collecte doit se généraliser. La société vient d’ailleurs de remporter l’appel à manifestation d’intérêt de la Vallée de Seine : les coquilles collectées dans le Grand Paris auprès des restaurateurs par camion cargo électrique seront ensuite transportées par barge jusqu’au nouvel outil qu’elle compte installer au Havre (Seine-Maritime).

Un cadre réglementaire à apprécier

Plusieurs facteurs freinent les valorisations, la dispersion des ressources mais aussi la réglementation : un bioplastique n’aura ainsi pas la certification alimentaire s’il est obtenu à partir de coquilles même si une porcelaine à base de poudre d’huître n’a pas cette difficulté. La réglementation distingue deux statuts aux coquilles selon la présence ou non de matière organique : sous-produit inerte ou SPAN C3. Une demande existe pour les produits inertes, par exemple pour les produits de peinture, comme revêtement de sol ou intégrés dans la matière de fabrication de récifs artificiels, explique FranceAgriMer dans son rapport de 2022 sur la bioéconomie bleue.

Les coproduits mytilicoles émettent, quant à elles, des odeurs qui rendent leur stockage et leur transport plus difficiles que pour les huîtres ou les coquilles Saint-Jacques. Certains gisements sont donc mis à disposition gratuitement, notamment vers l’amendement.

Du sable coquillier aux coquilles, Écailles de mer réinvente ses approvisionnements

L’entreprise familiale diversifie son activité grâce au recyclage de coquilles d’huîtres et de coquilles Saint-Jacques.

Entreprise familiale, Écailles de mer (Killem, Nord) est historiquement spécialisée dans la valorisation de sables coquilliers dragués en mer pour l’oisellerie et l’animalerie (fond de cage d’oiseaux, terre à bain pour chinchillas, fonds d’aquarium) et l’alimentation animale (complément calcium pour l’aviculture). Avec sept salariés, elle commercialise 6 300 tonnes de produits par an. « Notre matière première est très variable, tant du point de vue des taux de substances indésirables que des matières elles-mêmes, coquillages, cailloux et sables », expliquait Anneliese Prouvost, directrice de l’entreprise, lors du récent salon Vractech au Mans (Pays de la Loire), le 6 décembre 2022. De plus en plus difficile à obtenir, car il existe peu d’exploitants, le prélèvement a un impact écologique à proximité de zones marines protégées comme le transport de cette matière première jusqu’à l’unité de production. L’entreprise s’est donc engagée en 2016 dans le recyclage de coquilles d’huîtres et de coquilles Saint-Jacques.

Objectif : 3 500 tonnes en 2027

À ses opérations unitaires classiques de séchage, criblage, tamisage, mélange et ensachage, elle ajoute une phase d’inertage (disparition des matières organiques) et le broyage des coquilles. « Mais les contraintes administratives sont lourdes », constate la dirigeante avec, notamment, des disparités dans l’interprétation de la réglementation selon les différentes administrations. Les déchets coquilliers étant considérés comme des sous-produits animaux de catégorie 3, l’entreprise doit disposer d’un agrément sanitaire. « Nous avons ajouté cette nouvelle activité à notre certification Feed Chain Alliance ». Intéressantes pour leur coût d’approvisionnement, ces nouvelles ressources ont aussi imposé des investissements : adaptation de la ligne de traitement, construction d’un hangar de stockage de 1 200 m2 équipé d’un auvent pour les coquilles à réception, dépoussiérage, broyeur. « Nous avons également dû mettre à jour notre système de lutte contre les nuisibles », complète Anneliese Prouvost. En 2022, l’entreprise a valorisé 500 t de coquilles et compte atteindre les 3 500 t annuelles d’ici à 2027. « Nous avons l’objectif de démultiplier nos zones de collecte et d’étendre les revalorisations au-delà de l’alimentation animale, par exemple pour des paillis, la production de béton ou les amendements », conclut la dirigeante.

Y. B.

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