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Quand l’œnologie se lance à l’eau (de mer)

La mer avec son image de milieu naturel préservé, de fraîcheur et de mystère, inspire l’œnologie comme lieu de stockage du vin mais aussi pour ses atouts aromatiques.

Le champagne Abyss de la maison Leclerc-Briant plonge à  60 m de profondeur pour un séjour d'un an.
Le champagne Abyss de la maison Leclerc-Briant plonge à 60 m de profondeur pour un séjour d'un an.
© Leclerc-Briant/Amphoris

Pour ceux qui se lancent, puiser dans la mer des idées pour façonner des vins ou spiritueux est avant tout une affaire d’intuition et d’expérimentation car les études scientifiques sont presque inexistantes. L’immersion est la plus médiatique des expériences œnologiques associant le vin et la mer, mais ce n’est pas la seule.

Un séjour sous la mer pour faire évoluer le vin

Pas de doute, l’immersion de bouteilles dans la mer est porteuse d’un imaginaire puissant, inspirant pour la communication. Elle est aussi avancée comme une méthode pour faire évoluer le vin. De là à parler de vieillissement prématuré, il y a un pas que certains ne franchissent pas.

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Denis Drouin, cofondateur d’Amphoris, société spécialisée dans l’immersion de vins et spiritueux, considère que l’immersion n’apporte pas de valeur ajoutée au vin à moins d’un an. Certains domaines se contentent toutefois de neuf mois.

Le premier effet se voit sur la bouteille ! Ornée de concrétions, elle acquiert un caractère mystérieux et photogénique propice à la communication. Pas question de la gratter ! Amphoris offre juste un lavage et un séchage. L’étiquette est attachée sur le col de la bouteille.

Des phénomènes difficiles à mesurer

Mais dans la bouteille, le vin est-il modifié d’un point de vue physicochimique par rapport à un stockage en cave, à terre ? « Ce qui se passe sous la mer est difficile à modéliser. On formule des hypothèses. Intuitivement, une agitation moléculaire peut favoriser le vieillissement mais à température constante avec un moindre apport d’oxygène, c’est compliqué à quantifier », avance prudemment Régis Gougeon, professeur et directeur adjoint à l’Institut universitaire de la vigne et du vin Jules Guyot, responsable groupe chimie/physico-chimie du vin.

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Dans un travail qu’il a mené avec Amphoris et la maison de champagne Leclerc-Briant, non encore publié, il s’est basé sur la métabolomique (étude à grande échelle de petites molécules et de leurs interactions au sein d’un système biologique). « L’analyse a montré une préservation de la composante soufrée non volatile, qui contribue à la stabilité du vin. On a observé le ralentissement de certains mécanismes de vieillissement dans les conditions proposées par Amphoris », résume-t-il.

L’idée d’un vieillissement prématuré relativisée

L’expérience de vins immergés menée par Karine Aliouane pour son mémoire de fin d’études à l’ESA d’Angers invite aussi à relativiser l’effet de vieillissement prématuré. Pour répondre à la question « Le vieillissement en mer apporte-t-il un vieillissement prématuré aux vins rouges ? », elle a observé l’évolution d’indicateurs de vieillissement tels que l’IPT (teneur en polyphénols totaux), l’intensité colorante modifiée (ICM), la teinte T, l’indice HCI (polymérisation des tanins) et l’éthanol. Ils ont été analysés à cinq, huit et douze mois sur deux cuvées d’anjou rouge de profil différent (grolleau peu tanique et assemblage cabernet franc et cabernet sauvignon).

 

 
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Pour son mémoire étudiant le vieillissement prématuré en mer, Karine Aliouane a opté pour une immersion des bouteilles à 25 mètres. © K. Aliouane

Si elle a constaté des signes de vieillissement sur certains indicateurs, « l’écart des mesures entre les vins mer et les vins cave reste faible et donc pas suffisamment significatif pour conclure à un réel vieillissement prématuré », considère-t-elle. Elle s’interroge sur ce qu’auraient donné vingt-quatre mois d’expérience. La dégustation sensorielle a montré une différence de perception plus marquée. « Les vins mer sont perçus comme étant plus épanouis, plus complexes, plus souples que les vins cave », pointe-t-elle. Un écart inexplicable avec les indicateurs physicochimiques choisis.

Quand le sensoriel dépasse le physicochimique

Tous les domaines interrogés confirment une différence sensorielle. Éric Billières, vigneron du domaine du Cassard, à Saint-Ciers-sur-Gironde, trouve que le vin qu'il a immergé a un goût iodé.

 

 
Le domaine du Cassard immerge un sauvignon à une dizaine de mètres.
Le domaine du Cassard immerge un sauvignon à une dizaine de mètres. © Domaine du Cassard

Il suppose qu’il y a des échanges avec le bouchon bien qu’il soit étanche. Il décrit son vin comme plus rond, frais mais avec une acidité plus douce. Florent Audibert, gérant œnologue du domaine La Courtade, sur l’île de Porquerolles dans le Var, juge « délicat de comparer à cause de la porosité variable des bouchons ». Mais il estime qu’en général les amertumes salines et les notes minérales présentes dans les blancs sont renforcées tandis que pour les rouges les éventuelles infiltrations d’eau salée renforcent la souplesse.

Frédéric Zeimett, directeur général de la maison de champagne Leclerc-Briant parle d’un « boost d’énergie » pour sa cuvée immergée douze mois Abyss. Cette énergie, mesurée avec une antenne de Lecher, serait 100 fois supérieure au témoin non immergé, avance-t-il. Il y voit l’effet des mouvements de la mer autour des bouteilles. « On n’est pas dans le physicochimique », admet-il. À la dégustation, le profil salé, iodé déjà présent au départ est « transcendé par la mer » sachant que le bouchon est parfaitement étanche.

Des choix de bouchage à opérer

Car l’emplacement, l’immersion implique une réflexion sur le bouchage. Denis Drouin, cofondateur d’Amphoris, souligne qu’il n’y a pas d’adaptation à prévoir pour les effervescents du fait de la forme du bouchon qui évite les infiltrations. Pour les vins tranquilles, il prévient que compter sur l’épaisseur de cire n’est pas suffisant. Au domaine La Courtade, Florent Audibert a essayé plusieurs options. Il a finalement opté pour un bouchon liège un peu plus large et plus long que ses bouchons habituels. Il ne cherche pas à éviter d’éventuelles infiltrations. À l’inverse de Karine Aliouane qui, avant d’immerger des bouteilles de deux cuvées d’anjou rouge du domaine Clau de Nell, a troqué les bouchons liège pour des bouchons techniques. Ses critères ont été la porosité contrôlée et la future facilité d’extraction du bouchon.

Le fort impact de la profondeur

La profondeur est également à réfléchir. Éric Billières confie à la mer 150 à 200 bouteilles de son blaye-côtes-de-bordeaux blanc prestige. Les bouteilles sont entreposées à une dizaine de mètres de profondeur dans la Manche. Mais à marée basse, elles peuvent n’être plus couvertes que par 2 mètres d’eau. La température de l’eau reste basse. C’est sans doute pour cette raison qu’il trouve que la Manche réussit mieux à son vin que ses essais en Gironde et Atlantique. 

À Amphoris, on défend une profondeur bien supérieure. « À 5 mètres, il n’y aura pas la même stabilité de température », explique Denis Drouin. Avec ses emplacements choisis dans l’archipel de Molène, il garantit 10 ° à 15 °C de température à 20 mètres et 60 mètres. La pression varie : à 60 mètres, elle est de 6 bars, ce qui correspond idéalement à la pression interne d’une bouteille de champagne

À 20 mètres, la pression de 2 bars convient aux vins tranquilles. Karine Aliouane, qui a immergé ses bouteilles test à 25 mètres, estime qu’à 5 mètres on soumet le vin à un rayonnement UV « qui l’exposerait au risque de goût de lumière, avec une accélération des phénomènes d’oxydoréduction du fait de la riboflavine ».

 

 
Les caissons étant ouverts, les bouteilles sont confrontées directement au milieu marin.
Les caissons étant ouverts, les bouteilles sont confrontées directement au milieu marin. © Amphoris

Le prix fait évidemment partie des critères à examiner. Les coûts logistiques sont importants. Ils comprennent le transport jusqu’au port, souvent éloigné du domaine, puis l’acheminement en bateau sur le lieu d’immersion, la fourniture des casiers ou encore la manutention. L’immersion suppose également l’obtention d’une autorisation d’occupation temporaire (AOT) et d’un accord préfectoral. Une redevance doit être versée à la direction générale des Finances publiques (DGFP). Amphoris annonce par exemple un tarif de 16 euros HT par col pour un an de séjour en mer. Une note… salée.

Des merrains affinés en ambiance marine

 
Les merrains utilisés pour la barrique Océan sont stockés chez un ostréiculteur.
Les merrains utilisés pour la barrique Océan sont stockés chez un ostréiculteur. © Tonnellerie de Jarnac

Une barrique qui apporterait au vin une trace d’air et d’eau de mer, c’est l’idée de la barrique Océan développée par la Tonnellerie de Jarnac, en Charente. Pendant un an, les merrains sont entreposés en bord de mer chez un ostréiculteur, après vingt-quatre mois de stockage extérieur sur le site de la tonnellerie. Ils sont régulièrement arrosés à l’eau de mer. L’objectif est d’apporter de la fraîcheur et des notes minérales et salines.

Un premier essai concluant a été mené par le cognac Fanny Fougerat, fin 2021. La deuxième expérimentation montrant également une réelle différence a été conduite sur sauvignon en appellation blaye-côtes-de-bordeaux, avec six mois d’élevage dans cette barrique. Les premiers retours d’utilisation sur une marsanne au Domaine Alloïs, en Ventoux, révélaient bien un apport de fraîcheur alors que l’élevage était en cours. 

La barrique est testée sur du chardonnay en Californie et prochainement sur le cépage godello en Galice (Espagne). « Ce cépage possède un fort potentiel aromatique ainsi qu’une très belle acidité. Le mariage pourrait être vraiment intéressant », projette Matthieu de Pannemaecker, directeur commercial de la tonnellerie. L’impact du cépage est un point qu’il cherche à approfondir, sachant qu’un essai sur sémillon n’a pas révélé de différence marquée.

Les formats disponibles sont de 225 à 400 litres. Les chauffes « légère longue à cœur » et « légère normale » sont préconisées. Le surcoût est de 100 euros HT par barrique.

Une vinification en partie sous la mer

Egiategia, société fondée par Emmanuel Poirmeur, réalise depuis 2008 des fermentations en cuve dans la baie de Saint-Jean-de-Luz. Elles se déroulent à 15 mètres de profondeur, selon un brevet de vinification et d’élevage de vins sous l’eau qu’il a déposé. Il concerne notamment la forme des cuves. C’est une seconde fermentation qui est réalisée. « Dans le milieu sous-marin, cet environnement aux conditions physiques extraordinaires, le métabolisme des levures et leurs autolyses sont modifiés », écrit Emmanuel Poirmeur. Son but est de révéler de « nouveaux profils aromatiques qui n’apparaissent pas à terre dans des conditions plus classiques ». Egiategia élabore deux gammes de vin bénéficiant qu’une fermentation sous-marine de trois à quatre mois.

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