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Sécheresse : la dernière crise viticole pour les Pyrénées-Orientales et le sud de l’Aude ?

Le sud de l’Aude et les Pyrénées-Orientales s’enfoncent dans une crise inédite. Et personne ne sait ce qu’il en sortira.

Sécheresse et mortalité de pieds de vigne vers Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales.
Voilà maintenant près de trois ans que ce territoire, vers Rivesaltes, connaît un déficit de pluie majeur, qui le met au niveau d’Amman, la capitale de la Jordanie.
© Y. Kerveno

N’en déplaise aux mathématiciens, les chiffres ne font guère de poésie cette année dans les Pyrénées-Orientales et le sud de l’Aude, frange littorale comprise. Voilà maintenant près de trois ans que ce territoire connaît un déficit de pluie majeur, qui le met au niveau d’Amman, la capitale de la Jordanie. 250 mm en 2022 sur les Pyrénées-Orientales, 250 mm en 2023, 250 mm depuis le début de l’année 2024 seulement. Contre 600 en temps normal, si ce terme a encore du sens. Des Corbières à la frontière espagnole, les rivières connaissent des assecs forcés conséquents ; le long des cours d’eau, les arbres sont déjà morts. Les vergers, privés d’eau, sèchent sur pied. Et la vigne ? Elle survit tant bien que mal.

Après le cataclysme de 2023 où l’on croyait avoir touché le fond, les pluies de fin avril et début mai avaient donné le coup de fouet nécessaire pour que les ceps puissent faire de la végétation et avaient entretenu l’espoir. « On a vu des choses très étranges cette année. Avec la sécheresse de l’an passé, la taille a été compliquée et on a des sarments aujourd’hui qui sont plus épais que les bois sur lesquels ils sont repartis » témoigne Marc Benassis du château des Hospices, à Canet-en-Roussillon, dans les Pyrénées-Orientales. Ainsi, jusqu’aux fortes chaleurs de début août, peu avaient vu cette nouvelle catastrophe venir. On se dirigeait avec fatalisme vers une vendange grosso modo semblable à celle de l’an passé.

Une vendange 2024 de l’ordre de 500 kg/ha

« Je crois que le découragement a un peu joué, les vignerons sont un peu moins allés à la vigne d’où la surprise, avance Julien Thiery, chef du service viticulture à la chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales. La végétation était jolie, mais il n’y avait rien dessous. » Dans les secteurs les plus arides, un triangle allant de Perpignan à Fitou en passant par Estagel, on peine à savoir si la machine est passée ou pas. « Les vignes sont dans l’état où elles étaient quand les vieux venaient 'grapillonner' avant, poursuit Julien Thiery. Ça fait 500 kg à l’hectare. » Et quand il y a du raisin, il est souvent presque sec. Début septembre, les chardonnays au soleil avaient déjà parfois un arrière-goût de Corinthe. Et cette année, il faut 170 ou 180 kg de raisins pour faire un hectolitre au lieu de 120.

La moyenne départementale devrait s’établir autour de 20 hectolitres à l’hectare selon les chiffres présentés lors de la tournée des vendanges dans les Pyrénées-Orientales. Contre 26 l’an passé. Dans les Corbières, le président de l’appellation Olivier Verdale dresse le même constant. « Depuis le pied de l’Alaric jusqu’à la frontière espagnole nous perdons beaucoup de pieds, les mortalités atteignent 60 ou 70 % dans certains secteurs. Les vignerons sont habitués à faire le dos rond, mais là c’est trop », lance-t-il. Comme dans les Pyrénées-Orientales, la vendange 2024 devrait être la moitié de ce qu’elle fut l’an dernier. À Fitou, Alain Gleyze, président du cru, essaye de faire bonne figure, lui qui voit ses vignes dépérir par hectares, mais le découragement pointe à chaque coin de phrase.

Les caves coopératives à bout de souffle

Alors que les vendanges sont quasi achevées, les conjectures reprennent de plus belle sur la perte de vignoble à venir. Avant l’été, on parlait de 6 000 ou 7 000 hectares pour les Pyrénées-Orientales. Aujourd’hui, la fourchette avancée par les responsables professionnels s’étale de 5 000 à 10 000 hectares. Pour un vignoble qui en compte, sur le papier, peu ou prou 18 000. Sur le papier, parce que la sécheresse a déjà prélevé « peut-être 10 ou 15 % des ceps dans les parcelles et c’est difficile à évaluer », précise Julien Thiery. Il est certain que la prime à l’arrachage va créer un appel d’air. Depuis au moins deux ans, il n’y a pas de marché pour des vignes sans irrigation confirme-t-on à la Safer. Les installations en viticulture sont aussi rares que les trombes d’eau. Alors 4 000 euros peuvent représenter une aubaine pour solder une carrière. Le secteur est au bord du gouffre, les drames vont être nombreux assurent tous les acteurs.

Pour Guy Jaubert, président des Vignerons indépendants des Pyrénées-Orientales, le calcul est simple : « il faut une aide qui soit semblable à celle de l’an dernier, qui nous a permis de garder la tête hors de l’eau, mais il y a aura cette année beaucoup plus de candidats donc l’enveloppe doit être plus importante ! Si nous n’avons pas de réponses d’ici la fin de l’année ce sera catastrophique ». Le secteur coopératif est en première ligne. « Avant nous avions de la visibilité sur plusieurs années, là c’est à peine quelques semaines tant la situation est tendue, alerte Guillaume Ribes, président de la fédération de coopératives des Pyrénées-Orientales. Sans réponses, des vignerons vont aller au RSA faute de pouvoir faire le métier qui est aussi leur passion. » Dans le système coopératif, les pertes s’élèvent à 2 500 euros par hectare cette année. Et les vignerons ont perdu de l’argent sur les quatre de ces cinq dernières années.

L’irrigation, vrai serpent de mer

« Dans les Pyrénées-Orientales, la coopération va représenter 200 000 hectolitres, analyse un responsable professionnel qui tient à garder l’anonymat. 200 000 hectolitres, c’est la production d’une cave. Dans les Corbières, il ne devrait rester que deux caves, ce sont les conditions de la survie. » Que de temps perdu, juge pour sa part Jean-Philippe Mari, président de l’appellation côtes-du-roussillon. « Lors de la précédente crise, en 2004, on disait déjà qu’il faudrait tomber à quatre ou cinq caves dans les Pyrénées-Orientales, et il ne s’est rien passé. Aujourd’hui, on n’a plus la trésorerie pour avancer, il va falloir faire tout ça en catastrophe », regrette-t-il. Les filières réclament les mêmes aides que l’an passé, lors de la deuxième année de sécheresse, plus 45 millions pour les Pyrénées-Orientales et 20 millions pour l’Aude.

Dans ce contexte, l’irrigation revêt une importance particulière… Dans les Pyrénées-Orientales, les ministres avaient prévu de « tout transcender » au printemps. Le préfet devait accorder avant la fin de l’année l’autorisation de commencer les travaux d’une retenue collinaire avant la fin 2024, alors que le dossier est sur les rails depuis treize ans. Ce ne sera pas le cas. Il manque une étude qui a pourtant été réalisée dans un autre cadre selon le maire de la commune concernée. De quoi faire dire à David Drilles, président du syndicat des vignerons des Pyrénées-Orientales, que l’on « vit peut être la dernière crise viticole dans le département ». Parce que si l’eau arrive, ce sera trop tard.

Dans les secteurs les plus arides, un triangle allant de Perpignan à Fitou en passant par Estagel, on a peine à savoir si la machine est passée ou pas.

Dans les Pyrénées-Orientales, une situation incomparable

Si les chiffres ne font pas de poésie, ils permettent de traduire des réalités, aussi rudes soient-elles. Julien Thiery, chef du service viticulture de la chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales a ainsi comparé les tendances des quatre départements de la façade méditerranéenne de la région Occitanie. Et les Pyrénées-Orientales sont largement en tête quand il s’agit de perdre quelque chose. Ainsi la vendange est restée tendanciellement stable depuis dix ans dans l’Hérault, le Gard et l’Aude quand elle a reculé de 54 % dans les Pyrénées-Orientales, avec une perte de 5 % par an depuis dix ans.

Une commercialisation également en berne

L’an dernier, le rendement moyen fut de 59 hectolitres par hectare dans le Gard, 47 dans l’Aude, 56 dans l’Hérault et 26 dans les Pyrénées-Orientales. Si la sécheresse occupe tous les esprits, ce n’est pas la seule calamité ; la commercialisation a aussi dévissé. La toute petite récolte, historiquement basse, de 2023 – on n’avait pas alors idée de ce qui se passerait cette année – s’était soldée par un volume de 480 000 hectolitres. Mais durant la campagne achevée, seuls 344 000 hectolitres ont été commercialisés. Soit un recul de 10 % par rapport à la campagne précédente, 130 000 hectolitres de perdus depuis la campagne 2018-2019. Un recul majoritairement porté par les AOP rouges (- 86 000 hectolitres), les vins doux naturels (- 37 000 hectolitres) et les AOP rosés (-37 000 hectolitres). Olivier Verdale trouve encore le moyen d’espérer et table sur l’arrachage temporaire pour que le vignoble se restructure. « Il faut que nous puissions recalibrer le vignoble avec la demande du marché, amener des cépages résistants, mais pour cela il faut que nous puissions faire évoluer l’encépagement rapidement dans nos cahiers de charges et que l’Inao (1) soit plus réactif sur ce sujet », argue-t-il.

(1) Institut national des appellations d’origine
Rédaction Réussir

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