Chronique
Nouvelle jurisprudence sur la gérance-mandat
Un arrêt du 2 octobre 2019 de la Cour de cassation vient de remettre en cause la jurisprudence imposée par la cour d’appel de Paris sur les conditions de rupture de la gérance-mandat.
La gérance-mandat est un contrat spécial par lequel une personne physique ou morale gère un fonds de commerce pour le compte d’un tiers qui missionne le gérant-mandataire à cet effet. Le statut du gérant-mandataire est régi par les dispositions des articles L146-1 et suivants du Code de commerce, et, en particulier, ce dispositif renvoie au seul contrat la détermination des conditions de la rupture, et donc de la durée du préavis de rupture. Il prévoit une indemnité minimale pour le gérant-mandataire dont le contrat est résilié sans faute grave de sa part.
Il est à noter que lorsque le contrat est non pas résilié, mais non reconduit à son échéance, l’indemnité n’est pas due, sauf meilleur accord des parties. Or, l’on sait que sur le terrain du droit de la rupture brutale de relations commerciales établies, ce n’est pas parce qu’un préavis contractuel de rupture aura été respecté que celui-ci ne sera pas regardé comme insuffisamment long par le juge.
En effet, la réglementation d’ordre public de la rupture brutale impose d’accorder un préavis qui tienne compte de la durée de la relation à laquelle il est mis fin. Si le préavis ainsi accordé est suffisant, aucune indemnisation n’est due au partenaire évincé, sauf préjudice(s) distinct(s) de ce dernier. Mais si ce n’est pas le cas, la jurisprudence accorde en moyenne un mois de préavis par année d’ancienneté, sauf circonstances exceptionnelles, et fixe l’indemnité correspondant à ce préavis non effectué.
Brutalité de la rupture
Par conséquent, on peut comprendre la tentation d’un mandataire-gérant évincé d’invoquer l’insuffisance de son préavis et la brutalité de la rupture, pour venir « chercher » une indemnité. Mais la cour d’appel de Paris a fermé cette porte par une jurisprudence d’autant plus constante que la cour est unique, en considérant que les articles L146-1 et suivants du Code de commerce instaurent un régime spécial au profit des gérants-mandataires, lequel est exclusif du bénéfice du droit de la rupture brutale.
C’est ce bastion que vient d’anéantir le Cour de cassation par un arrêt du 2 octobre 2019. Un gérant-mandataire dont le contrat n’avait pas été renouvelé à son échéance, après trois ans de relations, avait contesté la durée de son préavis contractuel de trois mois devant le tribunal de Bordeaux qui avait accueilli ses demandes sur le fondement de la rupture brutale. La cour d’appel de Paris lui avait opposé sa jurisprudence.
La Cour de cassation observe, pour sa part, que si le dispositif légal dédié à la gérance-mandat accorde dans certaines circonstances une indemnité au gérant-mandataire évincé, il ne dit rien en ce qui concerne la durée du préavis. Ce dont elle déduit que les dispositions protectrices du droit de la rupture brutale sont applicables dans une relation de gérance-mandat.
Préavis suffisant ?
Ce secteur se retrouve exactement dans la situation créée lorsque la jurisprudence est venue préciser que le respect d’un préavis contractuel, ou même d’un accord interprofessionnel, n’empêche pas le juge de vérifier si le préavis accordé est suffisant.
Cette solution nouvelle s’applique immédiatement aux contrats en cours, ce qui peut imposer de revoir dans l’urgence la durée des préavis contractuels prévus par les contrats de gérance-mandat. Elle peut aussi tout simplement poser la question de l’utilité de prévoir un préavis contractuel, si celui-ci peut, à rebours, être dénoncé et jugé insuffisant, et dans ce cas, comment concilier les règles spéciales rappelées ci-dessus, et celles, d’ordre public, qui gouvernent la rupture brutale ?
Il ne semble pas anodin d’observer que c’est justement au moment où le législateur vient de s’interroger sur la responsabilité encourue en cas de rupture brutale (en posant, par l’ordonnance du 24 avril 2019 que l’opérateur qui aura accordé un préavis d’au moins 18 mois ne pourra plus voir sa responsabilité engagée), que la Cour de cassation offre cette ouverture à la gérance-mandat.
Et si la Cour de cassation considérait qu’il faut plutôt élargir le droit de la rupture brutale ?
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire tant en droit national qu’européen ou international.
56, av. Victor Hugo, 75116 Paris - www.dlegoff-avocat.fr