À 47 ans, cet Alsacien ingénieur agronome a hérité du sens des affaires et du service client de sa famille, depuis toujours dans le commerce. Sorti major de promotion de l’ECAL en 1998, il est passé par la grande distribution, Super U, E.Leclerc, Aldi France, avant de choisir de lancer sa propre enseigne de produits alimentaires à prix « juste ».
Vous venez de lancer l’enseigne Toujust, avec un premier magasin à Alès. Quel a été l’élément déclencheur ?
Fabrice Gerber – Je suis un acteur de la distribution depuis 25 ans, mes grands-parents étaient dans la distribution, mes parents aussi, j’ai toujours baigné dans ce milieu. J’ai aussi connu les balbutiements de la distribution. Dans les années 2000, il y a eu la loi Galland, avec ses contrats-cadres et ses marges arrières. On a alors appris un nouveau métier où il fallait exiger un montant lié à un chiffre d’affaires sur la mise en place des opérations en magasins. C’était louable, les fournisseurs s’y retrouvaient aussi. Ce système allait à tout le monde. Les marges des distributeurs ont même explosé à cette période, en passant de 18 % dans les années 1990-1995 à 25 % avec cette méthode. Mais le modèle s’est fait rattraper. Et aujourd’hui, la situation se tend avec la guerre des prix, le pouvoir d’achat et l’inflation. Il y a aussi de grands industriels qui ont pris le monopole sur certaines catégories et imposent leurs tarifs. Et le Covid a aussi changé la donne. J’ai vécu une période chez E.Leclerc où il fallait trouver d’autres fournisseurs, d’autres réseaux parce que certains n’arrivaient plus à nous livrer à cause de la pénurie de matières. Je parle du sucre, de la farine, des pâtes. C’était très chaotique, et on disait à nos fournisseurs : « Ne vous inquiétez pas, quand la situation se régularisera, on vous "re-référencera". » À la fin du Covid, cela n’est évidemment jamais arrivé. Lors d’une réunion commerciale, j’entendais certains s’extasier : « On vient de piquer 5 millions de pénalités aux fournisseurs. » Ce modèle ne me convenait plus. Je voulais du commerce qui redonne le pouvoir aux fournisseurs.
Quel rôle doivent jouer vos fournisseurs ?
F. G. – Je leur demande d’entrer au capital en contrepartie de leurs meilleurs prix – l’investissement n’est pas lourd, d’environ 50 000 euros – et qu’ils aient la production pour répondre aux unités de besoin avec des produits sains et de qualité. C’est tout. On signe des contrats sur 20 ans. Nous sommes dans un partenariat de moyen, voire long terme. Cela apporte de la visibilité pour tout le monde. Au moins 70 % de notre offre sera en marque blanche.
Comment peut-on préserver le pouvoir d’achat en proposant des prix « bon marché » tout en maintenant une valeur dans les filières alimentaires ?
F. G. – En supprimant les intermédiaires. Mon objectif est d’aller au plus près des producteurs. Je vois dans la presse que mon modèle est « discount ». Mais non, ce n’est pas cela. Nous sommes sur des produits aux justes prix, un prix décidé par le fournisseur, même s’il y a bien sûr une négociation. L’idée est d’avoir un fournisseur pour chaque unité de besoin. À date, 100 fournisseurs nous ont rejoints. J’en cherche encore 150, notamment dans les produits frais crémerie, le fromage, mais aussi l’épicerie. Je ne suis pas satisfait de notre assortiment, il y a encore des évolutions à venir. Nous voulons vendre en tout cas des produits bon marché, mais aussi de bonne qualité. En distribution, les produits les moins consommés sont les premiers prix et ils représentent 10 % des volumes. Nous allons nous comparer à la qualité des marques de distributeur. Nous avons aussi un panier anti-inflation. Il y a un nouvel équilibre à trouver entre l’offre et la demande sans rogner sur la qualité des produits. En retrouvant les fondamentaux du commerce.