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Les ingrédients laitiers cherchent de la valeur dans la technicité

Alors que les marchés des ingrédients « commodités » connaissent des pics de prix, inconnus depuis 2014, des produits issus d’une séparation toujours plus fine des laits et lactosérums enrichissent régulièrement les gammes proposées par les spécialistes.

Les ingrédients laitiers représentent environ un quart de la valorisation de la collecte laitière française. Ici : des citernes de stockage du lait.
Les ingrédients laitiers représentent environ un quart de la valorisation de la collecte laitière française. Ici : des citernes de stockage du lait.
© Eurosérum

Issus des technologies de fractionnement, les ingrédients laitiers représentent environ un quart de la valorisation de la collecte laitière française. Ils se sont largement diversifiés, la première génération d’ingrédients de gros volumes comme les poudres de lait, le beurre ou les caséinates, avoisinant désormais des produits à très haute valeur ajoutée comme les immunoglobulines, béta-lactoglobulines, lactoferrines ou autres peptides d’intérêt. « À partir de la matière première très complexe des liquides laitiers que sont le lait, le lactosérum et le babeurre, les producteurs d’ingrédients isolent des composés d’intérêt pour trois objectifs, l’aspect nutrition, la fonctionnalité et l’usage », résume Frédéric Gaucheron, du pôle scientifique du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel).

Malgré la complexification du secteur engagé dans une course à la valeur ajoutée, les ingrédients laitiers continuent à s’organiser en quatre grandes catégories : les protéines, le lactose, les matières grasses et les autres matières minérales.

Les protéines totales du lait fournissent des ingrédients déjà anciens comme la caséine, généralement issue du lactosérum. Les marchés des isolats de protéines de lactosérum comme des protéines concentrées de lactosérum sont actifs, mais le marché chinois qui tirait les ingrédients de type lactosérum déminéralisé s’en détourne, donne comme exemple Sodiaal dans son plan de réorganisation de ses sites français rendu public le 1er février.

Plus la purification est poussée, plus la valeur ajoutée augmente. Les immunoglobulines extraites du lait ou du colostrum trouvent de nouvelles applications. Les caséines micellaires, connues dès la fin des années 1980, émergent en nutrition santé.

Obtenu surtout à partir du lactosérum des productions fromagères, le lactose est plus ou moins purifié, les applications en pharmacie exigeant toujours un plus grand degré de purification que l’alimentaire. Il est alors principalement utilisé comme agent excipient sur lequel sont fixés les principes actifs.

Du côté de la fraction lipidique des liquides laitiers, il existe actuellement moins de fractionnement, sauf pour la recherche de phospholipides spécifiques. Mais, crèmes et beurres sont installés dans des marchés internationaux avec de très fortes tensions actuellement, les prix relatifs n’incitant pas au barattage de la crème en beurre notamment.

Enfin, quatrième catégorie d’ingrédients, les minéraux sont récupérés essentiellement à partir du lactosérum et utilisés dans l’univers des compléments alimentaires.

Une production directement liée à la taille de la collecte

« Nous vivons tous la baisse de la collecte laitière. Il faut se projeter dans les 5 à 10 prochaines années », souligne Aurore Chemineau, directrice marketing d’Ingredia, filiale de la coopérative Prospérité fermière-Ingredia spécialisée dans les ingrédients laitiers 100 % issus du lait. « Nous avons engagé un gros travail avec nos éleveurs pour identifier l’avenir de nos approvisionnements ainsi que les tendances sous jacentes, précise-t-elle, que ce soit la rentabilité, le désamour du métier, les contraintes techniques comme économiques, mais aussi l’aspect transmission des exploitations. » Les opérateurs laitiers notent en effet une vraie rupture : si la hausse du prix du lait permettait en général de relancer la collecte, personne n’est absolument certain désormais que cela suffira.

La situation des marchés est actuellement très chahutée, avec des prix qui connaissent des poussées de fièvre sur une tendance à la hausse. Les cotations sur les plus volumineux de ces ingrédients qui font l’objet de marchés spots (poudre de lait écrémée, poudre de lait grasse, poudre de lactosérum, caséine) montrent toutes une courbe croissante depuis le début de la campagne, après une année 2020 plutôt calme. « En 2020, les échanges internationaux de produits laitiers ont globalement plafonné, malgré la légère croissance du commerce international des fromages et des poudres grasses, et le sursaut des poudres de lactosérum. Ceux de beurre et de matière grasse anhydre ont légèrement reflué après avoir rebondi en 2019. Et les échanges d’ingrédients secs (caséines et poudres de lait) se sont stabilisés », expliquaient ainsi les économistes de l’Idele dans leur ouvrage « Marchés mondiaux des produits laitiers » de mai 2021.

Les produits très techniques ne sont pas cotés

Mais les marchés se sont totalement retournés à l’automne 2021. Ils restent difficiles à suivre en matière de statistiques car, comme l’explique Gérard You, économiste à l’Idele : « Il n’existe pas de cotation pour tous les ingrédients laitiers, certains n’ayant quasiment pas de vente en spot. Par ailleurs, les codes douaniers évoluent peu dans l’Union européenne qui ne différencie pas toutes les catégories de produits alors que les États-Unis vont identifier les différents composants du lactosérum. La seule évolution récente dans l’UE a été la création d’un code douanier pour les poudres de lait ré-engraissées avec des matières grasses végétales. Dans tous les cas, les produits très techniques ne sont pas cotés. »

Les marchés de tous les ingrédients « commodités » sont également liés à leurs usages. Ainsi, le marché des caséines semble-t-il complètement déconnecté des autres : les États-Unis en importent en effet beaucoup pour des usages industriels non alimentaires, notamment pour les peintures.

La quatrième génération d’ingrédients laitiers

Très volatils, les marchés mondiaux de commodités incitent les industriels à chercher de meilleures valorisations. Désormais, l’industrie des ingrédients laitiers en est plutôt à la troisième, voire la quatrième génération de produits. Les technologies mobilisées dépendent du type de produit recherché : la cristallisation pour le lactose, la coagulation pour les caséines, la précipitation pour certaines protéines, la filtration (ultrafiltration, voire microfiltration) pour les nouveaux ingrédients. Une fois la méthode d’isolement déterminée, la plus-value croît avec la spécificité du besoin auquel le nouvel ingrédient répond. Si certains essais peuvent s’effectuer au stade préconcurrentiel, comme les recherches sur la fonctionnalité des sphingomyélines, le secteur est hyperconcurrentiel.

Plus les ingrédients sont élaborés, plus leurs usages quittent le champ des autres industries agroalimentaires traditionnelles (chocolaterie, boulangerie-viennoiserie, charcuterie, confiserie, autres produits laitiers, notamment fromagers…) pour atteindre les secteurs à plus fortes valeurs ajoutées comme la nutrition infantile, la nutrition des sportifs, la nutrition des personnes malades ou âgées.

De manière générale, les ingrédients laitiers doivent apporter des réponses aux principales tendances des consommateurs dont, selon le dernier baromètre Euromonitor, certaines touchent directement l’alimentation, comme la sensibilité aux prix dans une économie instable, l’origine locale et la transparence/traçabilité, la prise en compte des changements climatiques avec toutes les composantes de la durabilité vers une économie « net zéro », notamment pour le carbone, la santé, mais aussi le bien-être/réconfort, la recherche de sens dans le cadre du retour à des vies normales « post-pandémie ».

Valobab, un projet de recherche sur le babeurre

Parmi les centaines de composants qui existent dans le lait, les triglycérides des membranes de globules gras intéressent de plus en plus les chercheurs et les nutritionnistes. Le projet Valobab, une collaboration de recherche entre le Cniel, l’Inserm et l’Inrae dirigé par Marie-Caroline Michalski, a publié en 2020 ses premiers résultats. Il s’agit de valoriser le babeurre en extrayant ces phospholipides d’intérêt, émulsifiants naturels, car ils sont amphiphiles et stabilisent la matière grasse. Le projet s’est notamment penché vers les usages d’une molécule dans des applications nutritionnelles et de santé, la sphingomyéline. Elle forme, dans l’intestin grêle, un complexe avec le cholestérol tant alimentaire qu’endogène et gène ainsi son absorption, au bénéfice de ses consommateurs. Et les résultats ont dépassé les espoirs, tout en soutenant la consommation de babeurre en France, notamment le lait ribot bien connu des Bretons. L’innovation est passée par la technologie à membranes (filtres tangentiels), car pour respecter ces molécules, la purification doit s’effectuer de manière douce et avec le moins de chauffage possible.

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