Chronique
Le statut juridique des insectes entiers clarifié
Les aliments composés d’animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels, y compris des insectes entiers, ne relevaient pas du champ d’application de l'ancien règlement des nouveaux aliments, vient de trancher la Cour de justice de l’Union européenne.
Les aliments composés d’animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels, y compris des insectes entiers, ne relevaient pas du champ d’application de l'ancien règlement des nouveaux aliments, vient de trancher la Cour de justice de l’Union européenne.
La Cour de justice de l'Union européenne a récemment clarifié le statut des insectes entiers, en confirmant que le règlement 2015/2283 (1) s’applique, sans nuances, aux insectes entiers et à leurs parties. (2)
Cette décision n’est pas, sans conséquences, pour les acteurs du marché, qui s’étaient, souvent, abrités, derrière les ambiguïtés de l’ancien règlement (CE) 258/97 relatifs aux nouveaux aliments (3), pour considérer que les insectes entiers n’étaient pas « nouveaux ».
Interprétations nationales divergentes
Il convient, en effet, de rappeler que celui-ci considérait comme « nouveau », tout aliment ou ingrédient alimentaire qui n’avait pas été consommé de manière significative au sein de l’Union européenne avant le 15 mai 1997 et qui relevait de l’une des catégories énumérées par le texte, et notamment les « ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux ». Mais il était silencieux quant au statut juridique des insectes entiers et des ingrédients qui pouvaient en être dérivés (par exemple, les farines d’insectes entiers broyés), conduisant à des interprétations nationales divergentes.
C’est dans ce contexte que la Cour de Luxembourg a été interrogée, à titre préjudiciel, par le Conseil d’État français : les insectes entiers relevaient-ils du champ d’application de l’ancien règlement sur les nouveaux aliments, applicable jusqu’en 2018 ?
Le Conseil d’État était, en effet, chargé d’apprécier la légalité d’un arrêté du préfet de police de Paris du 27 janvier 2016, suspendant la mise sur le marché d’insectes entiers commercialisés auparavant par la société Entoma, jusqu’à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché prévue par le règlement (CE) 258/97.
Combat judiciaire de la société Entoma
La société Entoma avait alors contesté – en vain – cet arrêté, jusqu’à former un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, en s’appuyant toujours sur une lecture stricte du libellé du règlement, excluant, selon elle, les insectes entiers de son champ d’application, tandis que l’auteur de l’acte attaqué soutenait qu’il n’y avait aucune raison sanitaire d’exclure les insectes entiers du règlement, leur consommation présentant autant de risques pour la santé du consommateur que celle d’ingrédients alimentaires isolés de ces mêmes animaux.
La Cour a tranché, en jugeant que des aliments composés d’animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels, y compris des insectes entiers, ne relevaient pas du champ d’application du règlement (CE) 258/97, l’expression « ingrédient alimentaires isolés à partir d’animaux » présentant un sens clair et précis.
Les décisions d’interprétation de la Cour de Justice s’imposent aux juridictions nationales de renvoi. Un recours en responsabilité de l’État pourra alors être formé par la société Entoma, afin d’obtenir la réparation de son préjudice, issu de la suspension illégale de la commercialisation de ses produits depuis 2016. En effet, même si les insectes entiers doivent être considérés comme des nouveaux aliments depuis l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2015/2283, des mesures transitoires avaient été prévues pour que la commercialisation d’aliments qui sont « devenus » nouveaux ne soit pas brutalement interrompue.
Une trentaine de demandes en attente
En vertu de ces dispositions, Entoma aurait pu commercialiser ses insectes, non seulement avant le 1er janvier 2018, mais aussi, jusqu’à ce qu’une décision soit prise par les autorités européennes, conformément à la procédure des nouveaux aliments. L’arrêté litigieux devrait donc in fine être annulé. Une trentaine de demandes concernant des insectes a été soumise à la Commission européenne depuis 2018, mais l’Efsa n’a toujours pas rendu d’avis, en raison du manque d’informations fournies par les demandeurs.
Cabinet Keller & Heckman
Keller & Heckman est un cabinet international de droits des affaires, spécialisé en droits agroalimentaires, matériaux en contact alimentaires, environnement et publicité, présent à Bruxelles, Paris, San Francisco, Shanghai et Washington. Katia Merten-Lentz est avocate associée au sein du cabinet Keller & Heckman. Elle est chargée de toutes les questions agroalimentaires, européennes et nationales, et ce, pour toutes les filières de la chaîne alimentaire. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, auprès des industries de l’agroalimentaire pour la mise en œuvre de la réglementation agricole et alimentaire de l’Union européenne.