La stratégie des accouveurs face à l’influenza
Les accouveurs n’ont pas eu le temps de se remettre de l’H5N1 avant de se heurter à l’H5N8. La stratégie d’installer des grands-parentaux à l’étranger trouve ses limites face à des virus sans frontières.
Très en amont de la filière avicole, les sélectionneurs et les accouveurs sont les premiers affectés par l’influenza aviaire même s’ils en sont tous indemnes. Lorsqu’une mesure de restriction d’élevage ou de mouvement tombe, ils n’ont d’autres choix que de détruire les œufs mis en incubation, voire les animaux d’un jour, car le cycle de l’accouvage est de cinq semaines. Jean-Louis Zwick, directeur du pôle animal de Maïsadour, confirme avoir déjà dû faire euthanasier 250 000 canetons d’un jour impossibles à livrer dans les élevages mis en vide sanitaire ce début d’année. « Nos produits ne se stockent pas », rappelle Frédéric Grimaud, PDG de la société Grimaud, et le cycle est très long à partir des mises en place de grands-parentaux (18 mois).
Chômage technique, pertes de marché
Les entreprises sont également dans l’incapacité de sortir leurs productions lorsque leurs propres bâtiments se trouvent dans une zone de restriction : Orvia a déjà dû fermer ses deux couvoirs du Gers et des Landes, et mettre ses salariés au chômage technique. « Les pertes seront importantes, non chiffrables tant que la crise n’est pas connue dans la durée. À titre de comparaison, l’impact financier 2016 fut de l’ordre de 5 millions d’euros pour le groupe », explique Sophie Noblet, directrice de la communication d’Orvia. Ce montant équivaut au préjudice subi par les pertes de marché, les conséquences du dépeuplement dans les élevages de production, mais aussi les pertes à l’export, qui représente pour Orvia un peu plus de 20 % du chiffre d’affaires. Les accouveurs ne peuvent en effet plus exporter leur génétique dans les pays tiers lorsque la France perd son statut indemne. Or, l’export représente plus d’un quart du chiffre d’affaires du secteur. Chez Grimaud, deuxième mondial du secteur pour qui le marché international pèse 75 %, la crise 2015-2016 a induit au moins 20 M€ de perte de résultat.
La France a longtemps été considérée comme un pays d’excellence sanitaire. Elle a ainsi, surtout depuis la grosse crise de 2006, attiré des accouveurs étrangers notamment via des rachats. Ainsi, Aviagen, filiale du groupe allemand Erich Wesjohann (Allemagne) vient de reprendre Le Sayec. Hendrix, déjà propriétaire de Grelier, est entré en 2016 au capital de la Sasso aux côtés de ses actionnaires historiques.
Face aux différents aléas, la stratégie des plus gros est de disposer de troupeaux de grands-parentaux sur tous les continents, en propre ou en partenariat. La même stratégie a été tentée dans l’Union européenne pour répondre à la crise de l’an passé. Mais, plus aucun pays européen ne peut être considéré comme définitivement indemne, et l’Efsa considère le facteur humain comme le vecteur majeur de la dissémination.
« Avant même que nous puissions conduire une sortie de crise pour évaluer l’efficacité des mesures, nous sommes entrés dans une seconde crise », résume Ségolène Guerrucci, chargée d’étude au Syndicat national des accouveurs.
« Changer de paradigme »
« Face aux crises récurrentes auxquelles aucun pays ne peut prétendre échapper, et puisque le virus n’est pas dangereux pour l’homme, il faut changer de paradigme », estime Frédéric Grimaud. En plus des mesures de biosécurité, il propose la vaccination des volailles plein air, mais la non-vaccination des troupeaux en claustration qui sont destinés à l’export ou dont les issues y sont destinées avec un plan officiel de validation de leur statut indemne. Tous les opérateurs ne sont pas de son avis. Ainsi pour Orvia : « la vaccination ne présente pas aujourd’hui les garanties exigées par nos clients à l’export et ne présente aucunement l’assurance de la disparition du virus ou de son développement […] ».