Chronique
La distribution sélective toujours plus encadrée
La distribution sélective, qui s’est fortement développée à la fin du XXe siècle, donne régulièrement lieu à des décisions riches d’enseignement du point de vue du droit de la concurrence. Dernière en date : une décision de l’Autorité de la concurrence.
La distribution sélective qui s’est fortement développée dans les vingt dernières années du XXe siècle – mode de commercialisation original pour l’époque – lie dans l’esprit du consommateur, un produit à son mode de distribution, en y associant un service que seuls certains distributeurs sélectionnés seront en mesure de rendre, par opposition à d’autres.
Très rapidement se dégageront deux idées-forces pour justifier ce concept : la préservation de l’image de marque d’un produit, et donc, la nécessité de ne le commercialiser que par l’intermédiaire de professionnels à la compétence reconnue.
Mais puisqu’il en résulte qu’un produit déterminé ne peut pas être vendu par n’importe quel commerçant, la question de savoir si un tel système est compatible avec le droit de la concurrence se posera tout de suite.
En 1983, la jurisprudence européenne fournira une réponse subtile : un tel système peut être conforme aux règles qui gouvernent le droit des ententes, ce qui invite tout de même à penser qu’intrinsèquement, il ne l’est pas, et que cette conformité devra être vérifiée au cas par cas.
Critères objectifs et application non discriminatoire
Comme pour toute sélection, la jurisprudence imposera à la tête de réseau de définir des critères objectifs, et de les appliquer de manière non discriminatoire.
Ainsi, on peut comprendre par exemple que la nécessaire préservation de l’image d’une marque d’horlogerie de luxe conduise à retenir des distributeurs qui sont accessibles à la technicité de tels produits, pour pouvoir leur associer un service.
La tête de réseau peut-elle interdire ou limiter par le contrat de distribution sélective les ventes par Internet de ce type de produit par le distributeur ?
Oui, nous a dit la jurisprudence européenne, dans l’affaire Pierre Fabre en 2011, si les restrictions de concurrence contractuelles sont proportionnées aux objectifs poursuivis de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage.
C’est donc avec cet arrière-plan qu’une société néerlandaise qui commercialise par un réseau de distribution sélective des bicyclettes haut de gamme avait inséré dans ses conditions de vente, des dispositions qui dans un premier temps, restreignaient la vente sur Internet en imposant aux distributeurs une livraison en magasin agréé, avant d’interdire purement et simplement dans un second temps toute vente en ligne.
Pour la tête de réseau, ces restrictions étaient justifiées par une réglementation française de 1995 qui impose de livrer intégralement montés et réglés, les vélos au consommateur final.
À partir de 2012, des rappels à l’ordre seront envoyés aux distributeurs agréés, avec menace d’éviction du réseau.
L’Autorité de la concurrence se saisissait en 2013, et notifiait un grief d’entente visant à interdire toute vente sur Internet par ses distributeurs agréés.
Comme d’usage, l’Autorité constate d’abord la matérialité de l’accord de volontés nécessaire à tout grief d’entente, avant de s’attacher à la raison de cette restriction.
Pour l’Autorité de la concurrence, le décret de 1995 concernant la vente des cycles n’interdit aucun mode de vente.
En particulier, il n’impose pas que l’acheteur soit présent lors des montages et réglages exigés par ce texte, ni même qu’il se déplace dans un lieu spécifique, tel le magasin du vendeur, pour prendre livraison.
Clauses non proportionnées à l’objectif poursuivi
Par conséquent, de telles exigences ne sont pas considérées par ce texte comme nécessaires pour garantir une bonne utilisation du produit et la sécurité du consommateur, et ce, d’autant moins que, durant la période en cause, le marché de la vente de cycles sur Internet s’est développé.
Au cas d’espèce, l’Autorité en conclut donc logiquement que les clauses imposées n’étaient pas proportionnées à l’objectif poursuivi, et sont restrictives par l’objet, mais avec l’Autorité, il faut toujours se demander si cette décision (19-D-14 ; 1er juillet 2019) n’est pas la marque d’une nouvelle approche visant à minimiser la technicité des produits dans la distribution sélective.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire tant en droit national qu’européen ou international.
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