Chronique
Bio : encore des textes à (re)positionner
Si le projet de loi Alimentation fixe des objectifs à la croissance du bio en France, il n’intègre pas pour autant de manière raisonnée l’agriculture biologique dans notre législation rurale. Explications.
Depuis quelques années, l’agriculture biologique est présentée comme une sorte de martingale pour les exploitants agricoles français. Et le message est si bien porté que tous nos concitoyens et ceux qui les administrent sont aujourd’hui pleinement convertis à leur tour, parant le bio de tous les bienfaits réels ou supposés.
Dernier témoignage textuel en date de cette appétence pour le bio, le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable », actuellement en ultime discussion devant le Parlement. Outre l’objectif affiché de 15 % de la surface agricole utile au 31 décembre 2022 (article 11 undecies), la disposition la plus emblématique à cet égard est cette obligation qui serait faite aux établissements publics de restauration collective de servir, dans certaines proportions, des mets élaborés avec des ingrédients notamment issus de l’agriculture biologique (article 11).
L’agriculture biologique n’est pourtant pas encore intégrée de manière raisonnée dans notre législation rurale.
Statut en fermage et conversion
Prenons, en premier lieu, le statut en fermage, lequel couvre quand même près des trois quarts des surfaces agricoles françaises. La situation d’un locataire désireux, en cours de bail, de convertir au bio l’exploitation louée n’a pas été du tout envisagée par le législateur. Et nul ne peut dire aujourd’hui, au regard de l’ambivalence de l’article L 411-29 du Code rural et de la pêche maritime, si un locataire peut réaliser librement un tel projet ou s’il doit en passer par l’autorisation préalable du bailleur (et, en cas de refus, par une autorisation du tribunal paritaire). Des arguments d’égale valeur, juridique et économique, pourraient être avancés en faveur des deux thèses.
Inversement, toujours dans le silence des textes, la rare jurisprudence déjà intervenue en la matière invite à douter fortement qu’en dehors du bail environnemental jusqu’à présent délaissé par les praticiens, un bailleur puisse exiger de son locataire qu’il se convertisse au bio ou qu’il serait en droit de sanctionner, par la résiliation du bail, un locataire qui aurait pris l’initiative de rendre à l’agriculture traditionnelle (une « déconversion », une « abjuration » ?) des terres bénéficiant de la certification bio au moment de son entrée en jouissance.
Contrat coopératif
Si la réglementation des coopératives agricoles se caractérise à l’inverse, aujourd’hui, par une absence du bio, cela n’est pas choquant. À la différence du statut du fermage qui prohibe ce qu’il ne permet pas expressément, le droit des coopératives repose fondamentalement sur une (relative) liberté conventionnelle. Pour peu que les coopérateurs le décident majoritairement, la coopérative devra leur offrir des conditions de rémunération particulières, a priori plus avantageuses, s’ils décident de lui apporter une production issue de l’agriculture biologique. Force est d'ailleurs de constater que nombre de coopératives ont emprunté cette voie de la « discrimination positive » entre les apports bios et ceux qui ne le sont pas.
Lors de la disussion du projet de loi évoqué plus haut, les parlementaires ont voulu aller plus loin que le gouvernement en préconisant que les coopérateurs puissent quitter sans pénalité la coopérative avant le terme de leur engagement si ce départ a pour cause leur volonté de convertir son exploitation au bio (article 8).
Une telle entaille légale dans le contrat coopératif serait susceptible d’affaiblir les coopératives, y compris celles non rétives à l’apport biologique, sans réelle possibilité de contrôle. Si un coopérateur se heurte au conservatisme de sa coopérative, il attend le terme de son engagement pour la quitter s’il n’a pas réussi, dans l’intervalle, à convertir ses homologues…
Entre oubli et excès, un bon dosage du bio s’impose aussi dans nos institutions.
LE CABINET RACINE
Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Samuel Crevel, associé, y traite des questions relatives à l’agriculture et aux filières agroalimentaires. Magistrat de l’ordre judiciaire en disponibilité ayant été notamment chargé des contentieux relatifs à l’agriculture à la Cour de cassation, il est directeur scientifique de La Revue de droit rural depuis 2006.
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