Chronique
Appellations d’origine : une protection au-delà du nom ?
La Cour de justice de l’Union européenne est appelée à s’exprimer sur l’interprétation des interdictions introduites par les règlements de l’Union européenne concernant les AOP. Décryptage.
En droit de la consommation, une appellation d’origine s’entend de la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractéristiques sont dues au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains. Le droit des appellations d’origine, qui est une création française, s’est vu compléter, au fil du temps, par plusieurs règlements de l’Union européenne qui ont en commun de définir l’étendue de la protection du titulaire d’un tel droit.
Ainsi, sont interdits : toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l’enregistrement –dans la mesure où ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination, ou dans la mesure où cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée – ; toute usurpation, imitation ou évocation – même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que « genre », « type », « méthode », « façon », « imitation » ou d’une expression similaire – ; toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant – sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur les documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un récipient de nature à créer une impression erronée sur l’origine.
Est également interdite toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.
Question du syndicat du morbier
Cette protection se limite-t-elle au nom enregistré ou s’étend-elle aux caractéristiques du produit habilité à le porter ? C’est la question qui a été posée à la Cour de cassation par un pourvoi formulé par le Syndicat du morbier.
En 2000, un décret reconnaît l’appellation d’origine morbier et définit sa zone de production. Comme d’usage, une période transitoire est fixée, pour permettre aux utilisateurs du nom qui ne se situeraient pas dans la zone délimitée de cesser cette utilisation. Compte tenu de l’enregistrement de l’AOP morbier sur le registre des appellations d’origine en 2002, cette période transitoire courra jusqu’en 2007.
Un fromager situé en Auvergne, qui fabriquait de longue date des fromages qu’il appelait morbier avant le décret d’AOP, dépose aux États-Unis durant la période transitoire une marque complexe pour partie en langue anglaise, mais qui intègre le terme morbier. Ce fromager fabrique un fromage qui a l’apparence physique du morbier, mais dont le lait est pasteurisé, et dont la raie cendrée est remplacée par du polyphénol de raisin, compte tenu des exigences du marché américain. Ce même produit serait également proposé au consommateur français, sans référence au terme morbier.
Pour le Syndicat du morbier, la commercialisation par un tiers d’un fromage qui ne peut revendiquer la dénomination morbier, mais qui en présente physiquement les caractéristiques essentielles, porte atteinte à l’AOP morbier, même si le nom enregistré n’est pas utilisé. Un contentieux sera initié en vain, les juges du fond refusant d’accorder une protection au-delà du nom.
La CJUE à la rescousse
Par son arrêt du 16 juin 2019, la Cour de cassation admet que la question ne lui a jamais été posée.
Elle pose donc à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle de savoir si les règlements de l’UE concernant les AOP doivent être interprétés en ce sens qu’ils interdisent uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination protégée ou également la présentation d’un produit protégé par une AOP, en particulier la reproduction de sa forme ou de l’apparence le caractérisant, susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit, même si la dénomination protégée n’est pas utilisée.
Retenir la conception extensive et l’appliquer au produit dans son ensemble ne manquera pas d’occasionner des cloisonnements de marchés. Sera-t-il interdit de commercialiser des saucissons, parce que d’autres sont protégés par une AOP ?
Dans le conflit de plus en plus fréquent entre droit privatif et liberté de circulation des marchandises, le juge européen rappelle souvent son attachement à ce dernier principe.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire tant en droit national qu’européen ou international.
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