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Accord UE Mercosur : « les mobilisations agricoles peuvent changer la donne »

La Commission européenne a publié 16 nouveaux textes à la suite de l’annonce de la conclusion des négociations entre l’UE et le Mercosur. Plus de 360 pages à analyser pour répondre à la communication enthousiaste de Bruxelles. Maxime Combes, économiste, a décrypté ce traité qu’il juge alarmant pour l’environnement et révélateur de la place de l’agriculture... une variable d’ajustement. 

tracteurs bloquant un rond point lors d'une manifestation agricole
La pression des agriculteurs européens peut pousser les États membres à s'opposer à l'accord UE Mercosur tel que négocié par la Commission, explique l'économiste Maxime Combes
© FDSEA13

L’UE et le Mercosur ont conclu vingt ans de négociations et le texte de l’accord commercial et politique a été publié. Maxime Combes, économiste à l’AITEC (Association de solidarité internationale engagée pour la justice économique, sociale et écologique), spécialiste du commerce international et des accords de libre-échange revient dans les Marchés sur le contenu du traité et sur ce qu’il peut désormais se passer alors que plusieurs filières agricoles françaises s’alarment sur les risques qu’elles encourent. 

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Les Marchés : y-a-t-il des surprises dans le texte de l’accord UE-Mercosur qui vient d’être publié ?

Maxime Combes : Nous avions réussi à obtenir l’accord en négociation en 2023. Quand on compare, la différence est nette. On y trouvait alors une annexe sur le climat, la déforestation et la biodiversité. Maintenant elle est organisée sur le commerce, la philosophie est claire, le commerce prime.

 Il y a un vrai mensonge de la Commission

 Il y a un vrai mensonge de la Commission qui avait plusieurs fois affirmé « ne pas rouvrir les négociations sur le contenu de l'accord » depuis deux ans. De mon point de vue, la Commission européenne veut un accord de libre-échange, pour libéraliser les marchés et les gains attendus ne doivent pas être remis en cause par des préoccupations environnementales. Le tout pour des gains économiques négligeables : l'étude d'impact de la Commission européenne tablait sur 0,1 point de PIB supplémentaire sur 10 ans au sein de l'UE. La prise en compte des nouvelles garanties apportées aux pays du Mercosur devrait encore réduire ce gain espéré.

Lire aussi : Accord Mercosur : « c'est pire que ce que l'on pensait », s'alarme Mathilde Dupré de l’Institut Veblen

L. M. : La Commission met pourtant en avant la prise en compte de l’Accord de Paris ?

M. C. : L'ajout d'une annexe sur le développement durable et les références à l'Accord de Paris et à la lutte contre la déforestation relèvent plus du greenwashing que d'une transformation de la nature de l'accord de libre-échange. Faire de l'Accord de Paris une « clause essentielle » à l'accord n'apporte que peu de garanties, puisqu’un État peut ne respecter aucun engagement mais rester membre de ce cadre.

L'ajout d'une annexe sur le développement durable relève plus du greenwashing 

 L'annonce selon laquelle les pays du Mercosur auraient pris des « engagements légalement contraignants » en matière de lutte contre la déforestation « d'ici à 2023 » paraît infondée à la lecture des textes. Les politiques publiques qui nécessiteraient d'échapper aux dispositions commerciales prévues par l'accord (clauses de contenu local, favoriser les acteurs locaux, restrictions au commerce, etc) sont par principe considérées comme exclues du panel des politiques publiques à disposition des pouvoirs publics !

Lire aussi : Viande bovine, volaille, sucre, maïs, ces produits qui vont souffrir de l'accord UE-Mercosur

L. M. : Et pour l’agriculture, quels sont les nouveaux éléments à remarquer ?

M. C. : On voit vraiment que l’agriculture est une variable d’ajustement, jusqu’au bout, ainsi la Commission a accordé des concessions supplémentaires au bénéfice du Paraguay : un quota supplémentaire de 1500 tonnes de porc et un quota supplémentaire de 50 000 tonnes de biodiesel, qui s'ajoutent aux quotas déjà négociés. 

 un quota supplémentaire de 1500 tonnes de porc et un quota supplémentaire de 50 000 tonnes de biodiesel

La Commission a annoncé qu'elle allait créer un fonds d'un milliard d'euros pour indemniser les agriculteurs touchés par les conséquences de l'accord, cela reste à confirmer tant sur la forme, le montant que les modalités de fonctionnement. Et c’est vraiment un aveu que l’on est prêt à sacrifier l’agriculture pour les voitures thermiques et la chimie.

L. M. : Y-a-t-il des garanties pour les agriculteurs face aux exportations du Mercosur ?

M. C. : Les pays du Mercosur ont réussi à rajouter des conditions pour la protection de leurs industries, qui pouvaient être mis à mal par l’accord, l’UE n’a rien ajouté pour les agriculteurs, au contraire. 

L’UE n’a rien ajouté pour les agriculteurs, au contraire

Ainsi la Commission européenne a consenti l'introduction dans l'accord d'un mécanisme jusqu'ici jamais utilisé dans les accords de libre-échange négociés par l'UE. Il est intitulé « mécanisme de rééquilibrage » (« rebalancing mechanism »). Si un pays du Mercosur considère qu’une nouvelle loi européenne, par exemple sur la déforestation ou la sécurité sanitaire, compromet l’avantage qu’il tire de l’accord pour l’exportation de ses produits agroalimentaires, il peut solliciter un arbitrage qui se traduit souvent par une augmentation des droits de douane sur les produits européens. C’est une arme de dissuasion massive pour une évolution réglementaire en Europe. On sait que pour lutter contre le dérèglement climatique il faut mettre en place des restrictions aux importations. Avec ce dispositif, on va aller vers un froid réglementaire. C’est bien joué de la part de l’agrobusiness du Mercosur !

C’est bien joué de la part de l’agrobusiness du Mercosur !

L. M. : Quelles sont les prochaines étapes, peut-on encore bloquer l’accord ?

M. C. : Ce n’est pas la fin de l’histoire. Pour le moment, la Commission est dans une phase de révision juridique et de traduction, on a donc un peu de temps. Mais le coût politique pour s’y opposer est plus fort maintenant que la Commission a claironné dans la presse internationale qu’un accord a été trouvé. Néanmoins, s'il y a un front d’opposition, si on sait que l’accord va être rejeté, alors la Commission pourrait bien ne jamais présenter l’accord devant le Conseil européen. La Commission espère encore convaincre la France ! Et même si le Conseil valide, il y a encore le Parlement. Les précédents députés étaient majoritairement opposés à l’accord. Il y a une division très forte au cœur de l’Union. Pourquoi Ursula von der Leyen a-t-elle commencé sa nouvelle mandature par une telle décision clivante ?

 la Commission pourrait bien ne jamais présenter l’accord devant le Conseil européen.

A noter que la Commission envisage le « split », scinder le pilier commercial de l’accord UE-Mercosur du reste de l’accord, qui supprimerait le droit de véto. Pour tout État désireux de « bloquer » les négociations avec le Mercosur, il faut alors constituer au sein des 27 membres de l'UE une minorité de blocage, seule en mesure d'écarter ce risque : 4 États minimum comptant pour 65% de la population européenne. 

Lire aussi : Mercosur : Produits laitiers, vins et spiritueux, ces filières ont-elles un intérêt à l’accord ?

L. M. : Que peuvent-faire les agriculteurs opposés à l’accord ?

M. C. : Les mobilisations agricoles peuvent changer la donne ! C’est ce qui s’est passé en Pologne et en Irlande où les agriculteurs ont mis la pression à tous les partis de gouvernement. L’Italie était favorable à l’accord, la pression agricole a changé les choses. En France, il faut pousser les partis à maintenir leur opposition même si compte tenu de la crise politique c’est complexe. Les agriculteurs doivent s’unir et manifester à Bruxelles. 

Les agriculteurs doivent s’unir et manifester à Bruxelles

Mais ils ne seront pas aidés par le calendrier si l’accord passe devant le Conseil en juin, la période n’est pas propice aux mobilisations. Toujours est-il que les raisons qui justifiaient la mobilisation des agriculteurs avant la signature du traité n’ont pas été supprimées par les modifications, bien au contraire. 

Carte : Position des États membres sur l'accord UE-Mercosur
Position des États membres sur l'accord UE-Mercosur, carte réalisée par l'Aitec

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