Diversification : un autre avenir pour vos raisins
Le raisin se transforme en vin, mais pas que. On le retrouve déjà aujourd’hui comme ingrédient de produits alimentaires ou cosmétiques ou encore dans la mode. La crise traversée par la filière incite à explorer ses autres talents.
Le raisin se transforme en vin, mais pas que. On le retrouve déjà aujourd’hui comme ingrédient de produits alimentaires ou cosmétiques ou encore dans la mode. La crise traversée par la filière incite à explorer ses autres talents.
Selon un focus publié par l’OIV en 2019, les usages industriels (englobant la distillation) représentaient 13 % de la production mondiale de vin en 2016, et 18 % en France. Certains autres débouchés du raisin sont connus, d’autres naissants comme le marc séché transformé en alternative au cuir. Ce potentiel peut-il s’accroître et surtout mieux se valoriser ? Des vignerons ou des entrepreneurs explorent cette piste.
Le vinaigre artisanal, bien valorisé
Le vinaigre représentait 14 % des autres débouchés du vin en 2016 au niveau mondial, d’après l’OIV. « Le vinaigre ne fait pas rêver les jeunes vignerons mais ça se valorise bien », lance Guillaume Delevallez, responsable pédagogique de la licence professionnelle viticulture œnologie, innovation et mondialisation à l’EPLEFPA (1) Cahors. Dans le cadre de projets tutorés, il incite ses élèves à se pencher notamment sur ce produit. « On peut faire aussi des acidulés, entre le vin et le vinaigre, qui ont plus de douceur », suggère-t-il. Il constate que les rayons vinaigre et condiments s’élargissent et observe des prix autour de 10 euros la bouteille de 50 cl pour des vinaigres artisanaux.
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Côté process, le vinaigre ne nécessite pas d’investissements supplémentaires majeurs. Des formations sur son élaboration sont par exemple dispensées par l’ICV. « Côté administratif, le vin de base est déclaré dans la DRM. En revanche, si on veut le faire sur place, il faut avoir un local à part pour éviter les contaminations, pouvoir y dédier un fût (ou plusieurs) et attendre un an de vieillissement », indique-t-il.
Devenir fournisseur de moût ou de vin est aussi une piste. À côté des géants de l’agroalimentaire, il y a des entreprises de taille intermédiaire comme Martin-Pouret basée dans le Loiret ou Charbonneaux-Brabant d’origine champenoise qui se développent et revendiquent un « sourcing » en France. Il existe aussi une dizaine de maîtres vinaigriers en France transformant du vin à échelle artisanale.
Du jus de raisin au sucre de raisin
Élaborer du jus de raisin paraît facile d’accès, mais la valorisation n’est pas forcément évidente. Producteur de jus de fruits haut de gamme, Alain Milliat témoigne avoir fait différents essais pour débanaliser le produit. Il a finalement opté pour une approche monocépage. Il a travaillé avec son partenaire vigneron sur les dates de récolte pour atteindre un équilibre final du produit. S’y ajoute une maîtrise de la pasteurisation afin de « ne pas cramer » le fruit. L’approche cépage plaît surtout à l’export où part 70 % du volume. La gamme est conditionnée en 100 cl mais aussi en 33 cl. Cela double presque le prix au litre (14,99 euros le litre par rapport à 8,95 euros le litre) mais permet de répondre à l’individualisation de la consommation. Pour le raisin, il ne croit pas aux débouchés hors boisson comme les gelées ou confitures.
Le sirop de sucre de raisin positionné par certains comme du sirop de sucre de canne. Le rendement en sucre étant très inférieur à celui de la canne à sucre ou de la betterave, l’intérêt repose sur l’image noble du raisin et sur des qualités nutritionnelles et techniques spécifiques. « Son indice glycémique est inférieur à celui du sucre classique grâce à un équilibre glucose/fructose plus favorable. Il est anticristallisant et hydrophile ce qui permet aux gâteaux de capter le moelleux plus longtemps », expose Frédéric Bourgoin, vigneron charentais qui en produit.
Le sans alcool ne se limite pas aux vins désalcoolisés
Les vins désalcoolisés ne sont pas la seule voie du créneau montant des boissons sans ou avec peu d’alcool (les « No-Low »). Le raisin y prend sa place via le verjus, désormais utilisé dans les cocktails ou des boissons gastronomiques d’un nouveau genre. Les Américains les nomment wine proxies parce qu’ils se positionnent sur l’accompagnement du repas. La marque Granith, créée dans la Drôme par Bertrand Michat, vise ce marché naissant. Ses trois premières créations sans alcool et peu sucrées, parfumées de plantes et de fruits contiennent du verjus. « Avec son pH de 2,6, le verjus apporte une acidité naturelle. Par rapport au citron, il y a l’atout local mais aussi gustatif car il n’écrase pas tous les autres arômes. Ce n’est pas seulement un acidifiant mais un vrai produit de gastronomie », apprécie-t-il. Même avis pour Nicolas Verstraete, qui sous la marque Nivers a inventé des boissons issues de grands crus de thés fermentés associés à des plantes, fleurs ou fruits. Elles sont vendues autour de 20 euros la bouteille et visent aussi la restauration étoilée. « Pour une boisson de table, il faut une certaine acidité. Le verjus permet qu’elle soit naturelle. Il apporte aussi du fruité et de la texture, de la rondeur », s’enthousiasme-t-il. Il vise « 30 000 à 50 000 bouteilles d’ici 2025 en France et à l’export ».
Même si ce n’est qu’un des ingrédients, l’usage du verjus implique un coût de production élevé. Bertrand Michat a calculé qu’il y avait 1 euro de verjus dans chaque bouteille de Granith. Il les commercialise de 12 à 14 euros. « Le verjus ne pourra jamais coûter le prix du jus de citron », souligne-t-il. La récolte est manuelle et le rendement en jus bien moindre qu’avec des raisins mûrs. Si quelques domaines viticoles sont déjà positionnés sur le verjus, l’essor des proxies pourrait accroître les besoins. Pour se lancer, il faut bien sûr s’assurer de débouchés.
Le kombucha, une autre boisson fermentée
Autre produit sans alcool, le kombucha. Cette boisson fermentée est issue du thé et jouit d’une excellente réputation nutritionnelle. Certains explorent le kombucha directement issu de raisin. Cette possibilité a même fait l’objet d’une thèse intitulée « Le kombucha de raisin : une solution de valorisation des sous-produits de l’industrie vitivinicole », soutenue par Nathalie Barakat en 2022, à l’Institut national polytechnique de Toulouse. La brasserie parisienne Archipel a exploré une autre option, celle de la cofermentation de kombucha et de moût, dans la lignée des vières (cofermentation de bière et de vin). Achille Miklitarian, cofondateur de l’entreprise, juge que le vin apporte une « notion de terroir très difficile à exprimer avec d’autres boissons ». Un marché de niche, certes, et nécessitant une grande maîtrise des process, mais prometteur pour Achille Miklitarian. « La bouteille de vin à midi se fait rare mais des produits comme le nôtre permettent au raisin de continuer à être présent avec d’autres techniques. » Le raisin compose 30 % du produit final. L'approvisionnement est issu de bouche-à-oreille et les volumes petits (800 bouteilles environ) mais il observe que le vigneron peut en tirer parti en termes de communication. Les produits sont distribués en restauration, bars et chez les cavistes.
Le vermouth en version française
Poids lourd des apéritifs à base de vin, le vermouth en contient au minimum 75 % et titre entre 14,5 % et 22 % d’alcool. Être sur le créneau porteur de l’apéritif et des cocktails dynamise ce produit. À l’export, selon les données de la FEVS (2), il est passé de 2,6 millions de caisses en 2019 à 3,5 millions de caisses en 2023, tandis que son chiffre d’affaires doublait, atteignant 125 millions d’euros. « Le Lillet est passé de 1 à 17 millions de bouteilles en dix ans », mentionne Augustin Chazal, directeur de la Fédération française des vins d’apéritif (FFVA). Il estime la surface du vignoble français actuellement dédiée aux vins aromatisés à 1 500 hectares, principalement pour les vermouths français comme Lillet, Noilly-Prat, Dolin. Les volumes sont d’environ 20 millions de bouteilles par an, soit 150 000 hl.
Le raisin pour « premiumiser » des alcools blancs
Le raisin se fraye également une place dans le monde des alcools blancs. Une origine vinique crée la différence comme en témoignent les succès du gin G’Vine parfumé à la fleur de raisin, lancé en 2006, ou de la vodka Cîroc, née en 2001, deux produits venus du raisin et du savoir-faire en distillation de la Maison Villevert basée en Charente. Si la plupart des gins sont issus de marcs et d’alcools viniques, la Distillerie des Deux Mers emprunte une autre voie. À sa tête, Boris Générat joue la carte de son implantation dans le vignoble pour installer « un pont entre les vins et les spiritueux ». Il a conçu deux gins issus de la distillation d’alcool neutre de blé, lequel alcool est réduit avec du vin blanc ou rouge. Il sélectionne des vins frais, fruités, non élevés en barrique et bio « en extra-local ». Il élabore également de la fine de Bordeaux et des eaux-de-vie de marc. L’utilisation de vins et marcs locaux lui permet de se distinguer en termes de goût et d’image.
Un projet à réfléchir sous tous ses aspects
Qu’il s’agisse de se lancer soi-même dans un nouvel atelier ou de fournir une entreprise qui développe des produits dérivés du raisin, la diversification implique une réflexion marketing et économique.
Pour Guillaume Delevallez, responsable pédagogique de la licence professionnelle viticulture-œnologie, innovation et mondialisation à l’EPLEFPA Cahors, se poser la question de la polyvalence et de la diversification est essentiel alors que « le marché du vin se referme ». L’un des objectifs de la licence est donc de permettre aux jeunes diplômés de diriger des unités non seulement de production et de commercialisation du vin mais aussi de développement de nouveaux produits et débouchés. « Il faut d’abord s’interroger sur le marché, se demander si c’est un produit dans l’air du temps, quel va être le réseau de vente », recommande-t-il.
Définir les débouchés et le modèle économique
« La construction d’un modèle économique viable est essentielle dans la réflexion globale de ces démarches de diversification, tout comme l’analyse des débouchés en amont du lancement du projet », abonde Lola Lerceteau, animatrice-conseillère filière végétale au sein de l’association Agribiovar. Cette structure accompagne notamment des viticulteurs dans des projets de diversification économique. Le temps, la main-d’œuvre et l’espace disponibles, les besoins en trésorerie, la distribution sont autant de questions à se poser.
Bien définir les objectifs du projet
« Chercher la niche demande de la maîtrise », prévient aussi Guillaume Delevallez. « La plupart des produits ont une faible marge opérationnelle compte tenu des petits volumes », pointe Frédéric Bourgoin, vigneron et producteur de cognac, qui développe, depuis 2018, d’autres produits issus de ses vignes d’ugni blanc. Il souligne que les produits dérivés sont souvent coûteux à fabriquer et en concurrence avec des produits industriels bien moins chers. Lui développe une logique de gamme et se sert de ses produits (huile de pépins de raisin, balsamique, verjus, sirop de sucre de raisin) pour s’ancrer dans l’univers de la restauration et pâtisserie haut de gamme. Il conditionne, stocke et commercialise lui-même pour limiter les coûts.
zoom sur
Combien de raisin par produit ?
1 litre de verjus = 10 kilos de raisin
1 litre de balsamique = 7 kilos de raisin
1 litre de sirop de sucre = 10 litres de jus de raisin
Quel encadrement juridique pour les sous-produits de la vinification ?
La règlementation sur l'élimination des marcs de raisins et lies de vin a évolué en 2014. Ces sous-produits peuvent être valorisés par livraison à la distillation ou à une unité de méthanisation ou un centre de compostage. Les seuls marcs de raisins peuvent aussi être orientés sur son exploitation pour de la méthanisation ou du compostage. Ou encore épandus sur l’exploitation ou sur celle d’un tiers mais sous réserve de certaines conditions. FranceAgriMer édite des fiches sur les règles en vigueur.
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