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« On peut faire des cocktails avec tous les types de vins »

Spritz, soupe champenoise, sangria rose ou blanche, beaujolais playa, claret cobbler… Et si vous investissiez vous aussi le créneau des cocktails ? Dimitri Basevi, œnologue conseil chez Enosens, en Gironde, vous livre ses conseils.

Dimitri Basevi, œnologue conseil chez Enosens, en Gironde
Dimitri Basevi, œnologue conseil chez Enosens, en Gironde
© D. Basevi

Pourquoi se lancer dans les cocktails à base de vin ?

Dimitri Basevi : Cela permet de désacraliser les vins. À Bordeaux, nous sommes sur une image de tradition, de terroir. Les cocktails permettent de rajeunir et décomplexifier le vin, de faire en sorte que le vin soit intégré dans les moments festifs. Ce type de boisson touche les jeunes, c’est tendance.

Les cocktails à base de vin peuvent être une alternative intéressante, entre le cocktail sans alcool et celui à base d’alcool fort. On obtient des recettes légères mais avec la complexité du vin. Et on peut vraiment se rapprocher de cocktails traditionnels, c’est bluffant. J’ai par exemple confectionné une piña colada avec un vin blanc, c’était très proche d’une classique, très intéressant.

Quels vins font une bonne base de cocktail ?

D. B. : Tout est possible. On peut faire des cocktails avec tous les types de vins, que ce soient des blancs, des moelleux, des rosés, des clairets, des rouges, des orange, des effervescents, et de tous types de textures. On peut partir sur des sangrias avec du vin rouge ou du vin blanc, du bordeaux zeste blanc avec du blanc, de la glace pilée, du sirop de fleur, de la menthe et un zeste d’agrume, du beaujolais playa avec un rouge fruité léger, de la crème de mûre, du jus de banane et du jus d’ananas, du Spritz avec un crémant, de l’Apérol et de l’eau pétillante.

Faut-il vinifier son vin différemment ?

D. B. : Pas spécialement. Les vins blancs et rosés dont on dispose actuellement conviennent déjà très bien. Ils sont sur le fruit frais, légers, acidulés, voire moelleux pour certains. Il est facile de les associer à des jus de fruits, à des sirops. Pour jouer sur la texture, on peut apporter de l’eau pétillante, des crèmes de fruits. Avec des moelleux et des liquoreux, on peut par exemple faire des mojitos, à l’instar de ce que réalise Sweet Bordeaux sur huit AOC du Bordelais.

Les vins sans soufre se prêtent aussi bien à l’exercice puisqu’ils sont naturellement plus gourmands et aromatiques. Ils sont prêts tôt.

Pour les rouges, il est intéressant de privilégier le fruit, la légèreté et l’absence de notes végétales. Cela correspond à des profils de type vins primeurs. Cela implique de récolter les raisins à maturité aromatique, avec un degré alcool maximal de 13-13,5 % vol. et une bonne acidité totale. Puis d’effectuer une FA à moins de 25 °C, afin d’aller vers des esters fermentaires, avec des arômes de fruits frais comme la cerise ou le cassis. La FA peut être suivie d’une courte macération, trois à sept jours, puis par la malo. C’est un vin à consommer jeune, sur le fruit variétal. On peut réaliser toutes sortes d’associations improbables, comme d’ajouter de la crème de mûre, de la cannelle, de l’eau pétillante, du sirop de cerise.

Cela signifie-t-il qu’il vaut mieux éviter de boiser ces vins « bases de cocktail » ?

D. B. : A priori oui. On cherche plutôt à garder juste la matière première pour son côté frais. Mais on peut aussi se dire que l’on souhaite partir sur un cocktail « d’hiver », un peu plus boisé et crémé, comme on peut le faire avec un Baileys par exemple. Tout est possible.

Y a-t-il des points de vigilance ?

D. B. : Pas vraiment. Il faut juste se faire plaisir, ne pas se brider. Les cocktails sont un atout en plus, un outil marketing formidable. Tout le monde peut s’amuser à rechercher un équilibre qui lui parle, à créer son cocktail et à devenir vinologue (mixologue avec du vin). On a tous des goûts différents, on peut jouer sur l’acidité, l’amertume, la sucrosité. Le vin peut satisfaire tous les palais ! On peut aussi jouer sur le visuel (présentation, différentes couleurs, etc.), sur le côté 100 % terroir avec un cocktail concocté uniquement à base d’ingrédients du domaine (agrumes, épices, lavande, olives…), etc. Les déclinaisons sont nombreuses.

On peut imaginer en faire déguster lors des journées portes ouvertes, ou créer un atelier vinologie (mixologie à base de vin) dans le cadre de son offre œnotouristique. Cela peut aussi intéresser des bars. Les cocktails à base de vin sont une idée de diversification fun et ludique, avec des produits dont on dispose déjà et avec un intérêt économique.

ils en font !

Effervescents et blancs pour des cocktails tendances

Plusieurs opérateurs se sont déjà lancés sur ce créneau des vins « base de cocktail ». C’est le cas de la cave des vignerons d’Aghione, à Ghisonaccia, en Corse. Elle a récemment créé deux produits de diversification sur ce segment. Le premier, nommé Genova, vise à concurrencer le prosecco. « Nous avions une demande de nos commerciaux et de clients pour élaborer un produit alternatif à l’effervescent italien, afin de servir de base pour les Spritz, justifie Denis Gigault, nouveau directeur de la cave. Il fallait un positionnement prix similaire et une présentation soignée. »

Côté caractéristiques organoleptiques, l’objectif était d’obtenir un vin assez neutre, qui puisse mettre en valeur la liqueur ou le jus l’accompagnant. « Nous sommes donc partis sur un assemblage avec 30 % de genovese [les 70 % restants étant du vermentinu], dévoile le directeur. Nous avons sélectionné des jus de base que nous avions conservés en chambre froide. Puis nous les avons vinifiés en méthode Charmat, en réalisant une fermentation alcoolique rapide pour la prise de mousse, afin de limiter le développement aromatique. » Le vin est doté d’une bulle fine et titre 11,5 % vol. La cave en a déjà écoulé 20 000 cols sur l’île à 5,60 euros, et est en rupture. « Mais il faut former les grossistes et travailler la PLV ou publicité sur le lieu de vente, sur les cocktails », estime Denis Gigault.

Le second produit, Casanova, est aussi un effervescent, élaboré cette fois à base de muscat. La prise de mousse est effectuée à basse température pour conserver les arômes muscatés et le vin titre 6 % vol. Il est vendu conjointement avec l’apéritif phare de la Distillerie Mattei, le Cap Corse, afin de réaliser le cocktail Capo' Spritz. « Nous l’avons lancé il y a un mois et sommes déjà en rupture, témoigne Denis Gigault. Nous allons en refaire et visons les 100 000 à 150 000 cols dans l’année. » Il faut dire que la distillerie appartient au groupe détenant la bière Pietra et dispose donc de moyens marketing et commerciaux intéressants, qui se mutualisent avec ceux de la coopérative pour un effet levier.

 

 
Le cocktail Bonnito, élaboré avec environ 65 % de vin blanc, est conditionné en bouteilles de 25 cl et titre 8 % vol.
Le cocktail Bonnito, élaboré avec environ 65 % de vin blanc, est conditionné en bouteilles de 25 cl et titre 8 % vol. © Famille André Lurton

La Famille André Lurton, basée à Grézillac en Gironde, est allée encore plus loin avec son cocktail Bonnito. Fruit d’un travail collaboratif entre l’entreprise et un groupe d’étudiants en master de l’école d’ingénieurs de Purpan, ce produit prêt à boire a vu le jour au printemps 2023. Composé à 65 % de vin blanc du Château Bonnet, d’extrait de menthe bio, de sucre de canne bio, d’une pointe de citron vert et d’eau pétillante, le Bonnito titre 8 % vol. et est conditionné en bouteilles de 25 cl, bouchées avec capsules à bière. Il est très peu sucré et se consomme bien frais, ou avec des glaçons.

Son packaging, conçu en interne, reflète le côté frais du cocktail, qui est destiné aux jeunes de 21 à 30 ans et aux quadragénaires. Il est commercialisé via le réseau d’agents du groupe, dans des bars et des épiceries fines. Il est également disponible sur le site commerçant de l’entreprise au tarif de 3,80 euros la bouteille.

Pour la première édition, la Famille André Lurton a émis 3 000 cols. Selon le succès du produit, le domaine envisage de monter jusqu’à 8 000 ou 10 000 cols par an. « Mais pas plus car après nous n’aurons pas assez de volume », pointe Claire Dawson, directrice marketing et communication du groupe. Au-delà de l’aspect diversification, elle souligne l’émulation positive provoquée par le lancement de ce nouveau produit en interne, une expérience motivante et fédératrice pour toute l’équipe.

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