Œufs, ovoproduits, la tension va durer encore quelques mois
Grippe aviaire en Vendée puis en Bretagne, flambée des coûts de l’aliment volaille, changement des comportements des consommateurs avec l’inflation et une production européenne sous pression, tout a concouru à un renchérissement historique des œufs et ovoproduits.
Grippe aviaire en Vendée puis en Bretagne, flambée des coûts de l’aliment volaille, changement des comportements des consommateurs avec l’inflation et une production européenne sous pression, tout a concouru à un renchérissement historique des œufs et ovoproduits.
La France a produit 14,4 milliards d’œufs en 2022. « C’est 1,2 milliard de moins qu’en 2021 », alerte Loïc Coulombel, vice-président du CNPO, lors d’un point presse de la filière. Cette baisse de 8 % est liée à la grippe aviaire qui a frappé durement l’Hexagone, la Vendée en 2022, puis les Côtes-d’Armor en 2023. Entre février 2022 et mars 2023, la France a perdu 4,5 millions de poules et 1,5 million de poulettes, 500 000 autres poulettes n’ont pas pu être mises en place, estime l’Itavi. Les cas en Bretagne engendrent à eux seuls une perte de 28 millions d’œufs par mois, précise le CNPO.
« Dans le meilleur des cas, on pourra retrouver une production normale cet automne, s’il n’y a pas de nouveau cas d’influenza », espère Loïc Coulombel. Car le cycle de l’œuf est bien plus long que celui des autres volailles. Les estimations sont à une hausse de 5 % de la production française en 2023, estime le CNPO, toutefois, elle ne parviendra pas à rejoindre son niveau de 2021 (4,3 % en dessous, selon les calculs de l’Itavi).
Envolée des prix en ovoproduits
Si les consommateurs ont vu les prix grimper et les rayons se vider, la situation a été encore plus tendue pour les utilisateurs d’ovoproduits. Certains industriels qui étaient sous contrat avec des poulaillers touchés par le virus n’arrivaient pas à trouver suffisamment d’œufs pour pouvoir continuer à servir leurs clients.
Les rares marchandises disponibles en spot l’étaient sur des prix historiquement élevés. Mi-avril, les industriels rapportaient des prix des œufs entiers secs en poudre entre 11 et 13 €/kg, soit le double de l’an dernier. Les disponibilités étaient d’autant plus réduites que face à l’envolée des prix du gaz certains ont limité le séchage à l’automne dernier.
Pour l’œuf entier liquide, les prix dépassaient les 3 €/kg, un niveau assez rarement atteint. Les prix ont commencé à se détendre après Pâques, notamment sur le blanc liquide, comme chaque année. Difficile néanmoins de miser sur une forte baisse alors que la situation sanitaire n’est pas stabilisée en Europe et que les importations en provenance d’Ukraine sont contestées. D’ailleurs, au niveau mondial, la Rabobank anticipe une baisse modérée et des prix toujours élevés alors que la grippe aviaire devient endémique sur la plupart des continents.
Des dissensions dans la filière
Pour les industriels de l’œuf, la période est stressante. « On est pris en étau entre des clients mécontents de l’envolée des tarifs et le comportement de certains éleveurs », confie l’un d’entre eux aux Marchés. Car si la TNO des œufs industrie établie par Les Marchés a progressé de 33 % entre Pâques 2021 et Pâques 2022 (et même triplé en deux ans), elle n’est le reflet que du marché spot.
Certains éleveurs sous contrat voient ces prix d’un œil envieux et plusieurs opérateurs nous ont rapporté des ruptures abusives, l’éleveur décidant d’offrir ses œufs sur le marché spot ; des procédures judiciaires auprès des tribunaux commerciaux sont du reste en cours dans plusieurs départements.
Dans le même temps, les acheteurs d’ovoproduits sont confrontés à des hausses de prix qu’ils peinent à répercuter auprès de la grande distribution. Plusieurs dirigeants de casseries s’inquiétaient d’ailleurs de la santé financière de leurs clients, constatant des retards de paiement de plus en plus fréquents, sans parler de relations commerciales qui se dégradent au fur et à mesure des retards de livraison.
Une autonomie fluctuante
Dans ce contexte de manque d’œufs, la balance commerciale française se dégrade. Excédentaire en 2020 et 2021, elle est redevenue négative en valeur (-79 millions d’euros en 2022 contre +17 millions en 2021) et en volume (-43 000 tonnes contre +10 000 tonnes en 2021), selon le CNPO. Pour la première fois depuis 2012, la France n’a pas été capable d’assurer son autonomie en œufs et ovoproduits avec un taux d’approvisionnement calculé à 96,2 points par l’Itavi.
L’Espagne, notre principal fournisseur, n’a pas tiré parti de la pénurie française puisque ses envois ont reculé de 9,5 % l’an dernier, sur fond de manque de disponibilités de l’autre côté des Pyrénées où les éleveurs ont limité les mises en place par suite de l’envolée des coûts de production. En revanche, jackpot pour la Pologne qui a plus que quadruplé ses envois pour devenir notre second fournisseur. « La France ne comptait jusqu’alors que pour 2 à 3 % des débouchés des œufs polonais. En 2022, cette part est montée à 8 % », complète Simon Fourdin, directeur du pôle économie de l’Itavi.
Les volumes en provenance d’Ukraine
Mais au niveau européen, la rupture de 2022 est l’irruption de volumes ukrainiens. Plusieurs fabricants français d’ovoproduits nous ont garanti rester dans des cahiers des charges « œufs origine UE ». Néanmoins, il est probable que certains utilisateurs aient importé des ovoproduits fabriqués en Espagne, en Italie ou en Pologne à partir d’œufs coquille ukrainiens.
Historiquement, l’Union européenne comptait peu dans les débouchés de l’Ukraine. Mais le poids de l’UE dans les exportations ukrainiennes est passé de 10 à 52 % en 2022 pour les œufs coquille et de 50 à 90 % pour les ovoproduits. La suppression des droits de douane dans le cadre du soutien au pays envahi par la Russie, mais aussi les difficultés du transit via la mer Noire expliquent ce regain d’attractivité de l’Union européenne.
Pour la filière, ces marchandises qui comblent une pénurie sont bienvenues, mais les opérateurs se montrent très inquiets pour la suite. Les œufs ukrainiens sont produits dans des cages qui ne sont pas au même niveau de réglementation qu’en UE, et donc bien plus compétitifs. Pologne, Slovaquie et Hongrie ont d’ailleurs pris des interdictions fin avril.
La question des importations reste critique pour l’amont français. Car, alors que l’inflation incite les opérateurs de l’agroalimentaire à limiter les coûts, certains pourraient être tentés de traîner à repasser les cahiers des charges en œufs communautaires ou « pondus en France ».
« Dans le meilleur des cas, on pourra retrouver une production normale cet automne, s’il n’y a pas de nouveau cas d’influenza », Loïc Coulombel, vice-président du CNPO.
Toujours trop d’œufs bio
Alors que les autres codes connaissent une pénurie depuis plusieurs mois, la situation reste bien distincte pour le bio. « Les pouvoirs publics ont promu une montée en gamme à marche forcée en France, mais le retournement de la situation que l’on connaît depuis un an n’était pas anticipé ! La baisse des ventes d’œufs bio en 2022 continue, voire s’amplifie en 2023, alerte Yves-Marie Beaudet, président du CNPO. On accompagne certains élevages bio pour se tourner vers le plein air, mais c’est économiquement et moralement difficile pour les éleveurs. » Il faut dire que le bio n’est pas épargné par l’inflation, avec un coût de production en hausse estimé par plusieurs opérateurs à 3,20 €/kg. Certes, le prix des matières premières bio était parfois moins inflationniste que le conventionnel, mais la nouvelle réglementation de janvier 2022 impliquant un aliment 100 % bio a enregistré d’importants coûts supplémentaires et pertes de production. Ces dernières semaines, les exploitations bio situées en Vendée sont rentrées de nouveau en production, alourdissant un marché très fragile.