Charcuterie
Metzger-Muller veux acheter du porc à un prix maîtrisé
Le charcutier alsacien Metzger-Muller a investi pour mieux organiser son outil de production d’Ittenheim dans le Bas-Rhin sans parvenir à absorber la hausse du prix de la matière première. Reportage.
La salle aux cloisons blanches respire encore le neuf. Quatre opérateurs y sont occupés à préparer des tourtes au riesling de 600 grammes pièce. « La fabrication de charcuterie pâtissière a désormais son espace dédié. Il n’y a plus de croisement avec les produits de charcuterie. Il existe aussi deux circuits pour le personnel », se félicite Daniel Muller, PDG de Metzger-Muller. Aménager cette ligne dans une extension de 800 m² et changer toute la centrale de froid a demandé dix-huit mois de chantier sur le site historique de l’entreprise enclavée dans ce village d'Ittenheim proche de Strasbourg. La place libérée par la charcuterie pâtissière doit encore profiter à la réorganisation et à l’optimisation des flux de charcuterie afin de satisfaire aux critères de la réglementations IFS et nationale ainsi qu’au plan sanitaire interne. L’ensemble de ce programme a mobilisé une enveloppe de 5 M€.
Envisager de taxer un produit autorisé par la réglementation serait insensé
Comme depuis ses débuts dans les années cinquante, le cœur de la gamme de l’entreprise s’articule autour des saucisses, jambons, galantines, pâtés en croûte, fumés pour choucroute, etc… Leur recette continue d’inclure du sel nitrité. « Ce n’est ni un colorant, ni un maquillant, mais un conservateur reconnu comme tel. Il diminue le risque bactériologique sans changer le goût. Envisager de taxer un produit autorisé par la réglementation serait insensé » appuie Daniel Muller. L’entreprise s’efforce d’innover à intervalles réguliers, parfois en périphérie de son activité. Sa tourte 100 % volaille se passe de fond de veau et associe au contraire plusieurs pièces de poulet avec un alcool dont le nom n’est pas divulgué. Lancée à Noël 2018, la référence est devenue permanente. « Elle plaît aux personnes qui veulent un produit différent sans porc. Elle n’a pas cannibalisé la tourte classique au riesling » note Daniel Muller.
Ce que nous subissons est inhumain
Metzger-Muller s’approvisionne auprès de six fournisseurs français de porcs qui ne lui font aucun cadeau. « Aucun n’est venu vers moi pour anticiper le contexte actuel. Ils ne nous considèrent pas comme un client. Ils fixent unilatéralement leur prix. Aucune discussion n’est possible. Ce que nous subissons est inhumain. Ce maillon de la chaîne emmène toute la filière vers un suicide collectif, lâche Daniel Muller. Nous gérons au jour le jour. Le kilo de porc a pris 40 % en neuf mois. Cette hausse n’est pas justifiée. Elle ne correspond à aucune amélioration de la qualité. Les abatteurs donnent la priorité à la Chine et assassinent les charcutiers. La profession est pudique, mais elle est en danger de mort. Elle tient pour l’instant en puisant dans ses fonds propres. » Jusqu’à quand ? « Et où va l’argent que gagnent les abatteurs ? Ni en Chine, ni aux éleveurs ! Même si le prix payé à ces derniers a augmenté, ils n’en ont pas vu toute la couleur ! s'emporte-t-il, et si la charcuterie périclite, c’est un débouché qui disparaît. Le consommateur n’aura alors plus beaucoup d’autre choix que d’acheter de la marchandise importée qui ne fournira pas les mêmes garanties de qualité ».
Concrètement j'aurais besoin d'augmenter mon prix client de 20%
La grande distribution absorbe 80 % de la production du site d’Ittenheim. « Elle a accepté de passer quelques hausses, mais elles restent insuffisantes. Concrètement j’aurais besoin d’augmenter mon prix client de 20 % » constate Daniel Muller. « A l’étranger, c’est l’ingrédient et le côté culturel d’un produit qui sont les points de séduction. En France, c’est seulement le prix ! Je n’ai jamais eu aucune question d’un acheteur français concernant une problématique technique comme un dosage ou l’emploi d’un additif plutôt qu’un autre. Officiellement, on tient de beaux discours et les intentions sont certainement louables. Mais en fin de compte 80 % de l’énergie est consacrée à obtenir un tarif alléchant. Le delta de la négociation, c’est davantage la personnalité de l’acheteur que la stratégie de l’enseigne ».
Prêt à signer un contrat d'approvisionnement
Daniel Muller s’irrite enfin des évolutions répétées du cadre législatif. « Une nouvelle loi sort tous les deux ans pour traiter d’un aspect ou d’un autre. C’est comme si on changeait à chaque fois de monnaie. Il est impossible de stabiliser une entreprise sur une base en permanence mouvante ! ». Une avancée serait de pouvoir « acheter à un prix maîtrisé ». « Je suis prêt à signer un contrat d’approvisionnement en m’engageant envers l’éleveur et l’abatteur » dit Daniel Muller.
Tracas et vertus de l’export
Le chiffre d’affaires export de l’entreprise a été divisé par deux en cinq ans, notamment en raison du choix d’un client belge de partir sur du produit semi-fini plutôt que fini. « Exporter reste d’une grande complexité en raison des problèmes de logistique, des agréments nécessaires pour chaque pays. S’adapter aux différents formats et conditionnements demande à chaque fois un développement spécifique » juge Daniel Muller. Cependant, « l’export reste intéressant par l’ouverture d’esprit qu’il procure. Les problématiques qui se posent là-bas aujourd’hui sont celles auxquelles la France sera confrontée dans dix ans ». L’entreprise engagée un temps sur le BRC y a renoncé au profit de l’IFS, dont le cadre plus souple est préféré par une majorité de ses clients.