Aller au contenu principal

Approvisionnement
L’autonomie alimentaire des territoires est très faible

À partir d’enquêtes réalisées auprès de divers acteurs (ministères, armée, syndicats agricoles…), Stéphane Linou, ancien conseiller général de l’Aude et se revendiquant comme le premier locavore français, a analysé au sein d’un livre-enquête le système d’approvisionnement alimentaire et sa capacité de résistance face à une épidémie grippale de niveau 6. Entretien.

Stéphane Linou, auteur du livre Résilience alimentaire et sécurité nationale. © DR
Stéphane Linou, auteur du livre Résilience alimentaire et sécurité nationale.
© DR

Les Marchés Hebdo : Quelles sont vos impressions sur la situation que connaît la France face à la crise du Covid-19 ?

Stéphane Linou : Actuellement, il y a quelques problèmes de paniques, mais la logistique tient globalement la route. Je regrette que la situation n’ait pas été anticipée. La sénatrice de la Haute-Garonne Françoise Laborde avait pourtant proposé le 12 décembre 2019 la résolution « Résilience alimentaire et sécurité nationale », directement inspirée de mes travaux, qui pointait les vulnérabilités de notre système alimentaire et proposait des pistes de réflexions. Il n’a manqué que seize voix pour qu’elle soit validée.

Aujourd’hui, tout est interconnecté, et nous avons laissé l’agriculture et l’alimentation en totale délégation. Nous sommes sous perfusion : au niveau énergétique ; pour les protéines végétales ; la main-d’œuvre ; les produits phytosanitaires ; le phosphore ou encore les machines. Tous ces handicaps sont masqués par le bon fonctionnement et la sécurité de ces flux. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait des conséquences en cascade lorsqu’un grain de sable s’immisce dans les rouages. Si les transporteurs étaient contaminés, s’il y avait par-dessus une cyberattaque ou si l’approvisionnement en pétrole s’arrêtait, nous connaîtrons de grandes difficultés. La France n’a pas considéré l’agriculture et l’alimentation comme des secteurs stratégiques alors que le plus ancien couple de risques au monde est l’alimentation et l’ordre public.

LMH : Quelles sont les failles de la chaîne agroalimentaire ?

S. L. : À l’heure actuelle, la plus grosse vulnérabilité est le transport. Si nous produisons en France de façon largement supérieure à nos besoins à une échelle macroscopique, l’autonomie alimentaire des territoires est très faible, d’autant plus qu’ils sont spécialisés. Celle des aires urbaines est de seulement 2 %. Nous sommes donc dépendants des flux. Si nous avions abordé l’alimentation sous l’angle de la sécurité par rapport à la continuité de l’accès à la nourriture en cartographiant les flux alimentaires et en évaluant les risques liés au transport et aux flux, nous n’en serions pas là. Malheureusement, le monde des risques et le monde de la production ne se parlent pas alors que manger est le premier besoin de l’être humain, nous le voyons distinctement dans cette crise. Nous sommes aussi une génération qui n’a pas connu la faim et qui accepte difficilement la frustration. Nous sommes persuadés que l’alimentation est un acquis, et se nourrir est devenu un impensé.

Cette crise est un coup de projecteur sur nos vulnérabilités

LMH : Quels vont être les enseignements de cette crise ?

S. L. : Cette crise est un coup de projecteur sur nos vulnérabilités. À travers le continuum sécurité-défense, j’ai démontré que la non-territorialisation de la production et de la consommation alimentaire à l’heure de la vulnérabilité des réseaux et de l’absence de préparation des populations est une question d’ordre public qui affecte la sécurité nationale dans son ensemble.

L’alimentation doit être, dans tout son spectre, dans le champ du stratégique. Il faudrait reterritorialiser le plus possible la production et la consommation et sortir de l’ébriété énergétique dans laquelle nous sommes. Cela permettrait aussi de répondre aux enjeux climatiques, de la biodiversité, de contraction énergétique et de la vulnérabilité des flux qui sont tous articulés. Entre autres, je serais d’avis d’inscrire l’alimentation dans le champ du régalien ; sanctuariser « les communs » ; reconnaître dans la future loi de programmation militaire la production agricole nourricière nationale comme secteur d’activité d’importance vitale ou encore intégrer un risque alimentaire territorialisé dans certains documents (PPR, PCS…).

C’est une occasion à saisir

En parallèle, il faut préparer les populations et flécher la consommation en passant par l’économie sociale et familiale. À force d’acheter des productions qui viennent de loin ou de ne pas payer au juste prix nos productions locales, nous avons détruit nos infrastructures nourricières locales. Avec nos actes de consommation, nous avons fabriqué de l’insécurité localement. La sécurité alimentaire concerne donc tous les acteurs.

Cette crise est donc une occasion à saisir. En ce sens, la sénatrice a adressé un courrier à Emmanuel Macron le 24 mars pour dédier un groupe de travail à cette question. Le président a lui-même annoncé le 12 mars que « déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d’autres, est une folie ».

Quelles leçons tirer pour les entreprises ?

« Si les entreprises veulent survivre, il faut qu’elles identifient les vulnérabilités de leurs approvisionnements et qu’elles les flèchent. Cela est particulièrement vrai pour les industries qui fabriquent des plats transformés. En effet, si l’État communique correctement auprès des populations, les consommateurs ne voudront plus de plats qui incluent des aliments venant des quatre coins du monde et les entreprises devront s’adapter. J’encourage donc les entreprises à reterritorialiser leurs approvisionnements, mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment des producteurs qui doivent, eux aussi, vivre de leur métier. L’avenir est pour moi au bon sens », commente Stéphane Linou.

Les plus lus

Charcuterie
« Si on veut du porc français, il faut créer des élevages en France »

Les charcutiers sont frappés de plein fouet par la baisse de production porcine en France. Elle entraîne une hausse des…

« La France importe déjà du Mercosur pour 1,92 milliard d’euros de produits agricoles et agroalimentaires »

Ingénieur de recherche en économie de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (…

Zonage IAHP en Bretagne sur la plateforme PIGMA
Grippe aviaire : la France passe en risque élevé

Alors que la Bretagne compte 9 foyers de grippe aviaire depuis mi-août, c’est toute la France qui passe en niveau de risque…

transport terrestre animaux
Transport des porcs : une nouvelle loi qui pourrait coûter 107 millions d’euros à la filière

Une possible évolution de la législation du transport ne garantira pas forcément le bien-être des porcs. C’est ce que relève l…

conteneurs au port du havre
Mercosur : Produits laitiers, vins et spiritueux, ces filières ont-elles un intérêt à l’accord ?

Alors que la colère agricole retentit de nouveau, rallumée par l’approche de la conclusion d’un traité avec le Mercosur, la…

un poing géant aux couleurs du brésil écrase un tracteur
Mercosur : « Nous sommes aujourd’hui à un tournant décisif » s'alarment quatre interprofessions agricoles

Les interprofessions de la viande bovine, de la volaille, du sucre et des céréales étaient réunies aujourd’hui pour réaffirmer…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 90€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Les Marchés
Bénéficiez de la base de cotations en ligne
Consultez vos publications numériques Les Marchés hebdo, le quotidien Les Marchés, Laiteries Mag’ et Viande Mag’
Recevez toutes les informations du Bio avec la newsletter Les Marchés Bio