« La jurisprudence est un moyen d’anticipation et d’interprétation »
Les Marchés Hebdo : Quel est l’intérêt pour un responsable qualité de suivre la jurisprudence ?
Pierre Corre : Le responsable qualité est amené à manier les textes juridiques et doit se constituer un fond réglementaire et le mettre à jour. C’est généralement ce qu’il fait. En revanche, la jurisprudence est souvent le parent pauvre de la veille réglementaire, car elle n’est pas facile à trouver et à décrypter. Il est pourtant important de ne pas la négliger pour deux raisons : elle est un moyen d’anticipation et d’interprétation. Je vais citer l’exemple de l’arrêt du 27 avril de la Cour de justice de l’UE, qui a remis en cause la conformité au droit européen de l’arrêté français fixant les doses journalières maximales de vitamines et minéraux pour les compléments alimentaires. Cette réglementation devra donc être modifiée. Il en avait été de même sur le texte concernant l’enrichissement en vitamines et minéraux. La jurisprudence permet donc d’anticiper, mais c’est surtout un moyen d’interprétation, ce qui est déterminant pour un manager de la qualité.
LMH : Pouvez-vous illustrer vos propos par un exemple concret et récent ?
P. C. : Un exemple probant concerne le règlement Inco. La plupart des personnes travaillant dans un service qualité sur le règlement Inco se sont référées au document interprétatif de la Commission européenne du 31 janvier 2013. Dans ce texte, il est indiqué, je cite : « Compte tenu des diverses formes sous lesquelles les denrées alimentaires sont servies au consommateur final dans les établissements de restauration, il y a lieu de souligner que les coupelles individuelles – par exemple, de confiture, de miel ou de moutarde – présentées aux clients de ces établissements comme partie intégrante du repas ne sont pas considérées comme des unités de vente. Dans de tels cas, les informations ne doivent donc figurer que sur l’emballage groupé ». Or, dans un arrêt du 22 septembre 2016 survenu à l’occasion d’un litige en Allemagne, la Cour de justice de l’UE a contredit cette position en considérant que chaque portion est une « denrée alimentaire préemballée » devant être étiquetée comme telle. Cette décision, qui prévaut sur le document interprétatif de la Commission européenne, a un impact direct sur les opérateurs fabriquant ce type de petits emballages : elle illustre clairement l’importance de la jurisprudence et de son suivi régulier.