Dénigrement : le chant du cygne ?
Après avoir connu plusieurs revers judiciaires en première instance, l’application Yuka vient d’enregistrer, en l’espace de quatre mois, deux décisions extrêmement favorables, l’une de la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 8 décembre 2022, l’autre, de la cour d’appel de Limoges le 13 avril 2023.
Après avoir connu plusieurs revers judiciaires en première instance, l’application Yuka vient d’enregistrer, en l’espace de quatre mois, deux décisions extrêmement favorables, l’une de la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 8 décembre 2022, l’autre, de la cour d’appel de Limoges le 13 avril 2023.
Le 25 mai 2021, le jugement de première instance rendu par le tribunal de commerce de Paris avait retenu la responsabilité de Yuka pour pratique commerciale trompeuse – Yuka reconnaissant, à l’époque, que ces prises de position correspondaient à une simple opinion dépourvue d’objectivité dans un contexte de liberté d’expression –, et pour dénigrement. Ce en quoi le juge parisien faisait une application directe et sans faille de l’arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 2019 qui venait affirmer pour la première fois que la notion de dénigrement pouvait être retenue même en l’absence de situation de concurrence entre le dénigrant et le dénigré.
Il semble, cependant, que ce soit un contexte radicalement différent de l’espèce parisienne qui était soumis successivement à la cour d’appel d’Aix-en-Provence puis de Limoges, car dans les deux cas, le juge d’appel note le caractère objectif de l’information fournie qui s’appuie sur des études scientifiques sérieuses, suffisamment nombreuses et émanant d’autorités reconnues.
Les deux cours d’appel affirment également que les prises de position de Yuka s’inscrivent dans le débat public et participent de sa liberté d’expression.
Une information vérifiée et sérieuse
À partir du moment où le juge constate que l’information fournie est vérifiée et sérieuse, il n’est pas étonnant que les juges d’appel ne retiennent pas le grief de pratiques commerciales trompeuses à l’endroit de Yuka, parce que c’est précisément le fait que l’information n’était pas vérifiée qui avait conduit le juge parisien à retenir le grief de pratiques commerciales trompeuses.
En revanche, classiquement dans la jurisprudence, ce n’est pas parce qu’une information est sérieuse et vérifiée, et donc vraie, que son auteur ne risque pas une sanction sur le terrain du dénigrement qui est un des comportements constitutifs de concurrence déloyale.
Dans son arrêt précité, la Cour de cassation avait rappelé à juste titre que la divulgation par une partie d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.
Autrement dit, depuis 2019, si l’information est fausse, le dénigrement est encouru sans aucun doute. Si elle est vraie et suffisamment vérifiée, son auteur doit quand même l’exprimer avec une certaine mesure.
Liberté d’expression sans limite ?
Or, les deux arrêts susvisés consacrent une liberté d’expression de Yuka sans limite, au motif que les affirmations s’appuient sur une basse factuelle suffisante. Mais le juge d’appel ne semble pas avoir recherché si Yuka avait fait preuve de mesure comme semble l’exiger la Cour de cassation.
L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence est particulièrement évocateur à ce sujet en indiquant que « Yuka n’a pas outrepassé la liberté d’expression qui lui est reconnue par les textes à valeur constitutionnelle ».
Faut-il comprendre de cette affirmation que la liberté d’expression n’a pas à être canalisée, ce qui est traditionnellement la fonction même de la notion de dénigrement en matière commerciale ? Faut-il comprendre que, désormais, une information vérifiée et sérieuse ne peut plus donner prise au dénigrement ?
En effet, nous avons affaire à un opérateur qui n’utilise aucune substance interdite dans la confection de ses produits, qui leur appose l’étiquetage réglementaire, et qui se voit malgré cela pris à partie par un opérateur privé dont les prétentions visent, in fine, à lui imposer des obligations supra légales.
Les deux questions ci-dessus sont donc si fondamentales qu’un éclaircissement de la Cour de cassation sera évidemment le bienvenu.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de vingt-cinq années, dont près de vingt ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l’entreprise, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire. Il a fondé, en 2018, avec quatre confrères de spécialités et barreaux différents, une plateforme dédiée aux segments de marché de l’agroalimentaire.