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Comment valoriser un lait qui coûte plus cher à produire

Avec une production peu dynamique, la place de l’Europe pose question sur l’échiquier mondial des produits laitiers. Une meilleure valorisation des ingrédients peut être une piste pour les laiteries européennes, mais la technologie sert aussi la cause des protéines alternatives.

L’Union européenne a exporté pour 29,1 milliards d’euros de produits laitiers en 2022, ce qui en fait de loin le leader mondial. Le secret communautaire ? La valorisation. « Les exportations européennes se valorisent 1 160 euros par tonne équivalent lait, contre 800 euros pour la Nouvelle-Zélande », décrypte Gérard You, directeur du service économie des filières de l’Institut de l’élevage, lors des journées Marchés mondiaux. Car côté volume, pas de tapage, avec une collecte stable entre 2021 et 2022.

Le vrai moteur de la croissance de la production mondiale de lait (+0,6 %, entre 2021 et 2022) s’est déplacé en Asie, « au plus près de la demande ». Mais l’Union européenne reste leader, notamment sur les poudres de lait infantiles (56 % de parts du marché mondial) et sur les fromages (41 %).

L’Europe laitière sous pression

« Nos prévisions de collecte pour l’Union européenne sont stables sur les cinq prochaines années, contrairement aux États-Unis, à la Chine, au Pakistan, pays les plus dynamiques, mais ces prévisions sont optimistes puisqu’elles ne prennent pas en compte les nouvelles contraintes environnementales à venir », assène Christophe Lafougère, directeur général de Gira.

Le meilleur exemple de cette pression environnementale, se trouve aux Pays-Bas. Pour atteindre son objectif qui est de diminuer de 30 % ses émissions d’azote d’ici à 2030, le gouvernement néerlandais estime qu’il faudra réduire d’un tiers, voire de la moitié, le cheptel bovin. « Conséquence, la collecte de lait devrait chuter de 30 % d’ici à 2030, c’est 4 millions de tonnes en moins ! » prévient Christophe Lafougère, qui estime que par un effet domino, la situation pourrait profiter aux éleveurs du nord de l’Europe : « Les laiteries néerlandaises devraient importer du lait cru pour compenser la moitié de la baisse de la collecte, soit 2 millions de tonnes, dans un rayon de 300 km, donc en Belgique et Allemagne de l’Ouest, on se dirige vers une guerre laitière ! »

Les laitiers belges pourraient alors venir chercher en France les volumes perdus. « Pourquoi les Hollandais peuvent-ils payer plus cher que les Belges où les Allemands ? Car Friesland Campina est le roi de l’ingrédient laitier, il peut tirer un maximum de valeur de la production laitière ! » illustre le consultant.

« On se dirige vers une guerre laitière ! » Christophe Lafougère, directeur général de Gira

Et il n’y a pas qu’en Europe du Nord qu’il faut s’attendre à ce que le lait coûte plus cher. Toute l’Union européenne est engagée pour baisser ses émissions de gaz à effet de serre. La Nouvelle-Zélande est, elle aussi, confrontée à de coûteux changements de production pour limiter son empreinte environnementale. Quant au dérèglement climatique, il va contribuer à tendre les approvisionnements en eau et en aliments du bétail, tandis que les canicules nuisent au rendement et les phénomènes climatiques extrêmes entraînent des conséquences imprévisibles. Sans compter le coût de l’énergie.

Extraire et valoriser les composants laitiers

Dopée par une bonne demande, la production mondiale de fromages va se développer, ainsi que son inévitable coproduit, le lactosérum, avec 51 000 tonnes équivalent protéines de plus d’ici à 2027. Or la production de cheddars ne dégage pas, à elle seule, des marges pertinentes, selon les calculs du Gira, il faut travailler le lactosérum pour en obtenir une valorisation intéressante. D’autant plus que si la consommation de lactosérum est attendue en déclin dans l’Union européenne (-0,6 % par an d’ici à 2027, selon le Gira), elle devrait continuer de progresser dans le reste du monde, avec des croissances annuelles de l’ordre de 4,7 % en Chine, 2,3 % dans le Sud-Est asiatique et 1,6 % aux États-Unis. « Si les États-Unis s’avèrent autosuffisants, avec une production de fromages dynamique, ce n’est pas le cas des marchés asiatiques qui devraient donc développer leurs importations », relève Christophe Lafougère.

La nutrition adulte devrait absorber 64 % de la production supplémentaire de lactosérum, sous ce terme se cachent les produits hyperprotéinés destinés aux sportifs, la nutrition axée sur les seniors ou le bien-être. Le lactosérum, lui-même, se décompose en une série de composants mineurs, dont certains sont très recherchés, comme la β-lactoferrine, que ce soit comme ingrédient « santé » dans les produits alimentaires ou comme argument dans les cosmétiques.

Pour les industriels laitiers, Christophe Lafougère distingue deux stratégies : « Soit on produit des ingrédients uniques en extrayant ces composants mineurs du lait, soit on s’oriente vers des systèmes fonctionnels en proposant des formules nutritionnelles finement adaptées à des usages, infantiles, médicaux, nutritionnels. »

La fermentation de précision en embuscade

Mais dans la course à la technologie, les industriels laitiers ne sont pas les seuls, les start-up proposant des alternatives cellulaires et de la fermentation de précision sont aussi sur la ligne de départ. Deux entreprises auraient déposé des dossiers auprès de l’Union européenne afin d’obtenir une autorisation de mise sur le marché des protéines de lait fabriquées par fermentation, dont Perfect Day qui élabore de la β-lactoglobuline, a révélé le consultant.

La plupart des acteurs du lait collaborent avec ces nouveaux venus, à l’image de Bel, qui a tissé un partenariat avec Perfect Day, pour intégrer ces protéines dans leurs gammes végétales. « Ces protéines issues de la fermentation pourraient renverser le marché des alternatives, car elles améliorent énormément le goût de produits », conclu Christophe Lafougère.

à retenir

Aux Pays-Bas, d’ici à 2030, la collecte laitière devrait reculer de

30 %

Soit 4 millions de tonnes en moins

L’essor des FFMP

Avec 2,8 millions de tonnes, elles représentent en 2022 le deuxième produit laitier le plus échangé sur le marché mondial après le fromage (3,3 millions de tonnes), ce sont les FFMP (fat filled milk powder) : les poudres de lait réengraissées à l’huile végétale. Elles ont devancé l’an dernier les poudres grasses et maigres (2,7 millions de tonnes chacune). C’est d’ailleurs le seul produit sec dont les échanges ont résisté en 2022. En valeur, elles pèsent 10 % du marché mondial des produits laitiers, c’est plus que le beurre (8 %), mais moins que les poudres de lait infantiles (11 %), soit 7,2 milliards d’euros, en nette progression (3 milliards d’euros en 2010, puis 6 milliards d’euros en 2021). L’Union européenne domine, avec 41 % de parts de marché, contre 7 % pour les États-Unis et 2 % pour la Nouvelle-Zélande. « D’autres pays, comme l’Indonésie, achètent de la poudre de lait écrémé à l’UE pour la réengraisser sur place, avec de l’huile de palme, puis la réexpédier en Asie du Sud-Est », précise Gérard You. L’Afrique reste néanmoins le principal débouché de ces produits, dont l’impact environnemental, mais aussi sanitaire et nutritionnel, est dénoncé par les opérateurs locaux.

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