Chronique
Bientôt un « Nutri-Score » par État membre ?
Depuis début septembre, les premiers produits affichant le label Nutri-Score sont apparus dans les rayons des supermarchés belges, quelques mois après la France. Le gouvernement néerlandais envisage également d’introduire un label nutritionnel. La récente multiplication de ces labels soulève des interrogations au regard de la réglementation européenne, et des difficultés qu’ils peuvent poser pour le marché intérieur.
Il convient de rappeler que le règlement sur l’information des consommateurs (règlement Inco) a rendu obligatoire l’affichage d’une déclaration nutritionnelle sous forme de tableau indiquant les quantités de matières grasses, d’acides gras saturés, de glucides, de sucres, de protéines et de sel, mais a également laissé les opérateurs libres d’ajouter des informations, notamment nutritionnelles, à condition toutefois qu’elles n’induisent pas les consommateurs en erreur, qu’elles ne soient pas ambiguës et qu’elles se fondent sur des données scientifiques pertinentes.
Le règlement laisse, en outre, la possibilité aux États Membres de recommander aux entreprises de répéter les informations données par la déclaration nutritionnelle, en adoptant un système d’information nutritionnel complémentaire sous forme de symboles ou de graphiques, sous réserve qu’il ne soit pas discriminatoire vis-à-vis des produits d’autres États membres, et ne fasse pas obstacle à la libre circulation des marchandises.
Une multiplication des labels
Le système le plus ancien est celui de la « serrure nordique », introduite en Suède en 1989 (1), qui compare des denrées du même type, au regard de la quantité d’acides gras saturés, de sucres et de sel, mais aussi de fibres ou de céréales complètes, qu’elles contiennent.
La Belgique a opté pour le même système que la France : une note allant de A (plus sain) à F (moins sain) associée à un code couleur. Le logo Nutri-Score, apparu en 2017, est le fruit d’une concertation entre industriels, consommateurs et autorités sanitaires et scientifiques. Il correspond à un score obtenu en attribuant des points à des items négatifs (énergie, sucres simples, acides gras saturés et sel) et positifs (fibres, protéines, teneur en fruits ou légumes/noix).
Le système britannique de « feux tricolores », recommandé depuis 2013, indique la teneur du produit en quatre nutriments (sucres ajoutés, matières grasses, acides gras saturés et sel) à l’aide d’un code couleur : rouge (élevé), orange (moyen) et vert (faible).
Leur statut au regard du droit européen
La multiplication de ces labels risque de compliquer, plutôt que d’éclairer, la compréhension des consommateurs. En octobre 2014, la Commission avait introduit une procédure en manquement contre le Royaume-Uni, après que certains États membres, comme l’Italie, ont reproché à son système de notation d’être discriminatoire et de ne pas reposer sur des critères scientifiques suffisamment démontrés. Cette procédure est – en théorie – toujours en cours, mais devenue de peu d’intérêt en raison du Brexit.
Quant au Nutri-Score français, la Commission estime qu’il ne saurait être qualifié de système d’information nutritionnelle complémentaire, car il n’est pas une répétition de l’information de la déclaration nutritionnelle, et qu’il devrait plutôt être considéré comme une information facultative fournie à titre volontaire (2). De surcroît, ce label constitue un mélange d’allégations portant sur des effets bénéfiques sur la santé (couleur verte) et non bénéfiques (couleur rouge) ; on pourrait s’interroger quant à sa compatibilité avec le règlement 1924/2006 (3).
Cette situation permet surtout de rappeler que la Commission était censée adopter des actes d’exécution relatifs aux formes de présentation complémentaires à la déclaration nutritionnelle, ainsi qu’un rapport sur leur utilisation et leur effet sur le marché intérieur avant décembre 2017. Ce rapport a été repoussé à fin 2018, afin d’inclure les retours sur expérience des systèmes autorisés à titre provisoire. On peut donc s’attendre à ce que la Commission privilégie la cohérence et la construction du marché intérieur, en procédant à une harmonisation de ces logos.
(1) La « serrure » est utilisée au Danemark, en Norvège, en Islande, en Lituanie et en Macédoine.
(2) Compte rendu conjoint du working group of the standing committee on plants, animals, food and feed et de l’advisory group on the food chain, animal and plant health, 23 avril 2018.
(3) Qui exclut explicitement les allégations portant sur des « effets non bénéfiques » dans ses considérants.
LE CABINET KELLER & HECKMAN
Keller & Heckman est un cabinet international de droits des affaires, spécialisé en droits agroalimentaires, matériaux en contact alimentaires, environnement et publicité, présent à Bruxelles, Paris, San Francisco, Shanghai et Washington. Katia Merten-Lentz est avocate associée au sein du cabinet Keller & Heckman. Elle est chargée de toutes les questions agroalimentaires, européennes et nationales, et ce, pour toutes les filières de la chaîne alimentaire. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, auprès des industries de l’agroalimentaire pour la mise en œuvre de la réglementation agricole et alimentaire de l’Union européenne.