Ingrédients laitiers : « Il faut se préparer à des prix durablement élevés », selon la Rabobank
Pour Mary Keough Ledman, analyste spécialiste des produits laitiers à la Rabobank, les marchés doivent s’attendre à des prix des ingrédients laitiers durablement élevés. Les signaux d’une production laitière faible freinent notamment leur fabrication.
Mary Keough Ledman possède une connaissance approfondie des marchés et de la politique laitière nationaux et internationaux. Elle a une expérience de plus de trente ans dans la transformation des aliments, la politique agricole, la gestion des risques laitiers, l’information et la diffusion du marché ou encore la prévision des prix du lait et des produits laitiers.
La situation des prix des ingrédients laitiers est-elle inédite ?
Mary Keough Ledman - Le prix des commodités laitières a atteint effectivement des sommets inédits depuis 2014. L’indice Global Dairy Trade a augmenté de 4,6 % dans la seule journée du 18 janvier 2022. Les prix ont explosé sur tous les produits, de 5 % pour le beurre, de 1,1 % pour le fromage type cheddar, de 5 % pour la poudre de lait écrémée, de 5,6 % pour la poudre de lait grasse.
La demande chinoise a été très soutenue en 2021, même si elle s’est un peu allégée au second semestre. Ainsi, les importations chinoises ont au total augmenté de 16 % en 2021 par rapport à 2020, mais ont régressé à partir de septembre à -3 % sur la même période de l’année précédente. Le taux de croissance de la demande chinoise devrait se ralentir en 2022, surtout si les prix restent élevés. Leurs stocks sont suffisants.
Outre la demande chinoise, quelles sont les autres causes des prix élevés ?
M. K.-L. - La croissance de la production internationale de lait a connu un retournement lors du troisième trimestre 2021 dans la majeure partie des pays exportateurs. Les marchés devraient rester très tendus durant toute la campagne. Toutefois, les prix élevés tant pour le lait que pour les principaux ingrédients de gros volumes devraient inciter à un redémarrage de la croissance chez certains producteurs. Mais, l’inflation très élevée des coûts de production devrait freiner les plans d’expansion. De surcroît, les défis auxquels doivent faire face les laiteries, tant pour des aspects logistiques qu’en raison de l’incidence de la pandémie de coronavirus sur leurs équipes, vont limiter la capacité de ces acheteurs de lait à prendre en charge des volumes plus importants.
Les principaux producteurs sont-ils en décroissance ?
M. K.-L. - La production laitière de la Nouvelle-Zélande a, par exemple, lourdement chuté en décembre 2021 de 5 % et la collecte entre mars et mai 2021 y a été très élevée, ce qui rend quasiment impossible une croissance comparable en 2022.
Aux États-Unis, la croissance de la collecte s’est retournée à partir de novembre. L’augmentation des prix stimule de nouveau la production, mais la taille du troupeau laitier américain restera inférieure à celle des années précédentes au moins jusqu’au second semestre 2022.
La forte demande sur les marchés du beurre et des poudres de lait devrait faire passer les prix du lait américain de classe IV (lait transformé en beurre et poudre maigre, NDLR) au-dessus de ceux de la classe III (lait utilisé pour les fabrications fromagères, NDLR) durant une bonne partie de l’année.
Peut-on prévoir une détente dans les prochains mois ?
M. K.-L. - Les prix devraient rester durablement élevés, même s’ils ne devaient pas se maintenir aux prix les plus hauts atteints certains jours. Il faut, en effet, se souvenir que les périodes assez longues de prix bas dans les dernières années étaient liées, d’une part, à l’augmentation très rapide de la collecte néo-zélandaise et, d’autre part, à la fin des quotas laitiers dans l’Union européenne qui, eux, se combinaient avec des stocks lourds dans des marchés plombés. Aujourd’hui, la situation est profondément différente, avec, notamment, des stocks très bas et des disponibilités en lait faibles qui freinent la transformation en ingrédients laitiers.