Dossier sans sulfites
Vins sans sulfites: éviter les déviations en bouteille en étant impeccable à la mise
Une filtration serrée et une hygiène irréprochable jusqu’à la mise sont les leviers majeurs pour garantir un vin sans défaut à l’ouverture.
Une filtration serrée et une hygiène irréprochable jusqu’à la mise sont les leviers majeurs pour garantir un vin sans défaut à l’ouverture.
Faire du vin sans sulfites, c’est travailler sans filet. Les deux dangers que sont l’oxydation et la dérive microbiologique guettent le producteur tout au long du processus, mais également une fois le vin en bouteille. Dès lors, comment prendre toutes les précautions pour éviter au vin de dévier entre le départ de la cave et l’ouverture par le consommateur ? « La première chose est de gérer les gaz dissous », expose Rémy Ghidossi, professeur à l’Institut des sciences de la vigne et du vin de Bordeaux (ISVV). Il s’agit déjà de limiter tous les apports d’oxygène non maîtrisés, afin de ne pas mettre le coup fatal lors de la mise. Le chercheur estime la dose totale acceptable d’oxygène dissout lors de la vinification à 30 mg/l sur les blancs et 60 mg/l sur les rouges. « Il peut être intéressant d’utiliser des contacteurs membranaires pour équilibrer les gaz : désorber l’oxygène et amener du CO2 pour être à 500 à 600 mg/l », ajoute-t-il. Pour lui une telle pratique devrait se démocratiser, notamment pour les vins sans sulfites. Le deuxième point d’attention est l’hygiène. « C’est indispensable de regarder les points critiques », confie Rémy Ghidossi.
Une filtration tangentielle ou à plaques, mais stérile
Une attention particulière doit être portée sur le nettoyage et la stérilisation dans toute la cave, et notamment sur la chaîne de conditionnement, en vérifiant la tireuse, les angles droits, les sucettes… Des contrôles par ATPmétrie permettent de s’assurer de l’absence de germes en tout genre. « Pour les bouteilles, c’est compliqué de les stériliser, mais on peut les rincer, ajoute le chercheur. Il est pertinent de les acheter, comme les bouchons, peu de temps avant la mise. » Dernier élément clé, le vin doit passer par une filtration stérilisante si l’on veut mettre toutes les chances de son côté. Elle peut se faire sur tangentiel ou sur plaques. « Avec une filtration tangentielle à 0,2 micron on est assurés de ne plus avoir aucun micro-organisme », constate Rémy Ghidossi. Lors de la mise en bouteille, il est également intéressant d’utiliser une chaîne qui permet d’inerter les bouteilles et l’espace de tête pour réduire la quantité d’oxygène apportée. Les Vignobles Bordeaux Vinéam sont même allés plus loin lors de la mise de leur sauternes sans sulfites, en faisant une mise à chaud. « Le vin est embouteillé à une température de 40 °C et le niveau est fait à raz du bouchon, explique Gilles Bayle, directeur des domaines. Ainsi, quand il refroidit et diminue en volume un vide se crée, et limite l’oxygène. » Un sauternes qui a réussi les tests de tenue dans le temps.
Xavier Frouin, œnologue à la cave de Tain, dans la Drôme.
Un seul germe peut entraîner une déviation en bouteille
« Nous avons fait un test de cuvée sans sulfites en 2015 sur 8 000 bouteilles environ de Crozes-Hermitage rouge Bio. Le résultat était très satisfaisant au niveau de l’intensité, de la pureté du fruit et du soyeux des tanins. Le succès a été immédiat au niveau de notre boutique. Aujourd’hui près de 15 % de nos vins sont sans sulfites ajoutés, en Crozes-Hermitage mais aussi en Saint-Joseph et IGP Collines Rhodaniennes. Cet itinéraire technique nous a fait progresser avec des remises en question sur nos vinifications classiques. Vis-à-vis de nos clients, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir le moindre défaut, aussi nous avons un itinéraire avec beaucoup de surveillance à tous les niveaux : sur la sélection des raisins, la gestion des fermentation alcoolique et malolactique, l’élevage et bien sûr le conditionnement. Il faut être rigoureux à toutes les étapes. Après des macérations assez courtes de 15 à 18 jours, nous ne gardons que le jus de goutte, récupéré par gravité. Le vin est ensuite soutiré et stabilisé au froid sur lies fines, à 10°C, avec une protection maximale contre l’oxygène. Les cuves sont analysées toutes les semaines et dégustées régulièrement pour surveiller toute déviation et agir en conséquence. Mais ça ne fait pas tout, c’est pourquoi nous réalisons une filtration tangentielle une semaine avant la mise, puis une filtration à 0,45 micron le jour de la mise. Lors du conditionnement, en plus de stériliser la ligne à la vapeur nous réalisons une désinfection chimique. L’hygiène doit être impeccable tout au long de l’itinéraire car un seul germe peut entraîner une déviation ensuite en bouteille. Pour la marsanne nous faisons appel à un prestataire de service en conditionnement, afin de contrôler l’oxygène dissout et rester sous les 0,4 mg/l. Et après la mise, nous contrôlons à nouveau les vins au niveau microbiologique pour valider nos pratiques. Sur la syrah, qui est un cépage réducteur, un itinéraire sans sulfite se fait bien et donne des produits super intéressants. Sur la marsanne c’est plus complexe. C’est un cépage sensible à l’oxydation et l’oxygène dissout doit être maitrisé pour maintenir un bon niveau qualitatif. »