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Ces vignerons qui ne traitent pas leurs vignes

Des viticulteurs indiquent ne pas traiter leurs vignes, ni avec des produits phytosanitaires conventionnels, ni avec du cuivre ou du soufre, ni avec des préparations, décoctions, ou autres tisanes. Comment font-ils concrètement ? Pour quel rendement et quelle rentabilité ? C’est ce que nous avons voulu comprendre.

Un rendement de 1,5 kg par pied (environ 4 à 5 tonnes par hectare), des baies équilibrées (teneur en acide tartrique des moûts de l’ordre de 9,5 g, pH de 3,21, titre alcoométrique de 12,43 % vol., acidité totale de 4,67 g en H2SO4) et aromatiques, sans le moindre traitement. Tel est le résultat que revendique Alain Malard, consultant viticole spécialisé en permaculture, sur les 25 ares de son domaine Lupéria, à Neffiès, dans l’Hérault, situé à 250 m d’altitude.

Pour en arriver à ce résultat, il a mis en pratique ses recommandations permacoles et surtout, il observe la nature. Après une bonne préparation du terrain, il a planté, en suivant les courbes de niveau, 700 pieds de vigne, entre-espacés d’oliviers, arbres fruitiers et autres arbres de type fabacées. Il a opté pour quatre cépages en sélection massale (carignan blanc, bourboulenc, clairette et picpoul blanc) greffés sur quatre porte-greffes distincts et très vigoureux : du 41B, du 110 Richter, du 140 et du Paulsen. Le tout, pour favoriser une bonne biodiversité.

Taille et vendange sont les seules opérations

Depuis, il ne réalise que peu d’opérations. « Les trois premières années, j’ai tondu l’herbe une fois dans la saison, se remémore-t-il. Depuis 2020, je ne le fais plus. » Les seuls travaux qu’il réalise sont la taille en gobelet et la vendange. De temps à autre, il élimine une ou deux adventices indésirables, comme le ciste cotonneux, mais cela reste très ponctuel. Malgré cela, il l’assure, les attaques de mildiou sont rarissimes. « Parfois il y a une ou deux tâches, mais cela ne va pas plus loin, jamais il ne sporule, rapporte-t-il. Pour l’oïdium, j’en ai sur le trèfle au sol, c’est tout. »

L’an dernier, il a fait analyser ses raisins par le Laboratoire Dubernet. « Je lui ai fourni 1056 grains, témoigne-t-il. Et dessus, il a dénombré 2,5 millions de colonies de levures, dont 1 million de vivantes et 15 % de Saccharomyces cerevisiae. » Il extrapole cette biodiversité aux bactéries et entrevoit là un début d’explication à la faible présence de mildiou. « Les feuilles de la vigne étant déjà colonisées par la vie et à un niveau de biodiversité maximal, il n’y a pas de place pour autre chose », avance-t-il. La distance par rapport aux autres vignobles est peut-être un autre axe explicatif, les plus proches se situant à environ 300 m.

« Si je ne voulais plus traiter, il fallait que je plante beaucoup d’arbres »

À une tout autre échelle, Frantz Vènes exploite 100 hectares de vignes, au Château Massamier La Mignarde, à Pépieux, dans l’Aude. Comme Alain Malard, depuis 2023, il ne rentre dans ses vignes que pour tailler ou vendanger. Tout comme lui également, il n’a que peu d’attaques de mildiou et dénombre une quantité très importante de levures sur ses raisins.

« Tout a démarré en 2018, retrace-t-il. Une partie du domaine était en bio, une autre partie en conversion. J’ai peu traité, avec du cuivre et du soufre, et je n’ai rien récolté. Tout a été ravagé par le mildiou, ça a été la catastrophe. Je me suis demandé à quoi bon traiter pour ce résultat. » S’en suit une profonde remise en question, éclairée par l’agronome franciscain Hervé Covès. « Il m’a fait comprendre que si je ne voulais plus traiter, il fallait que je plante beaucoup d’arbres », partage-t-il.

Depuis, il en a implanté un bon nombre et il récolte entre 5 et 15 hl/ha selon les années, son système étant « en transition ». Malgré cela, il s’en sort mieux qu’avant financièrement, les charges ayant « drastiquement chuté » et ses vins étant très bien valorisés. Sa bouteille la moins chère part à 21 euros prix public. Ses vins sont servis à l’Élysée, au Sénat ou encore dans des restaurants étoilés.

Le climat méditerranéen vient en soutien

Pour l’entretien du sol, Frantz Vènes ne fait rien, le climat méditerranéen ne laissant que peu de répit à la végétation. Dès le début de l’hiver, une bergère vient faire paître ses moutons entre les rangs. Le viticulteur n’irrigue pas, ne fertilise pas, ne rogne pas, n’effeuille pas et bien entendu ne traite pas. Il épampre uniquement les plantiers.

Malgré cela, comme Alain Malard, il constate qu’aucune propagation de maladie ne s’opère. « J’ai parfois quelques taches de mildiou, ou un pied de touché, admet-il, mais jamais cela ne se propage, c’est fabuleux. » Il tente lui aussi une explication à ce phénomène : « la biodiversité casse la monoculture, qui elle, est une porte ouverte à la propagation des maladies, illustre-t-il. C’est comme quand 100 personnes sont réunies sous un même chapiteau, elles ont plus de chances de tomber malades. » Autre hypothèse, ne rien mettre sur la vigne stimulerait son immunité naturelle.

À terme, d’ici 30, 60 ans, il espère aboutir à un système forestier hyperfertile. Une transition lente, qui s’opère peu à peu. « Il faut baisser la garde, avoir confiance dans la nature, recommande le vigneron. Petit à petit, on va vers un système jardin forêt, ce n’est pas tiré au cordeau. Mais c’est hyper satisfaisant. »

Un coup de griffon lorsque la sécheresse est trop forte

Toujours en Occitanie, Chris Didonato, au domaine Colline des Louves, à Valflaunès, dans l’Hérault, pratique le même genre de viticulture. Il ne rentre dans ses vignes que pour tailler en gobelet en suivant les préceptes de la taille douce, attacher la vigne qui est conduite en échalas, épamprer et vendanger. Parfois, lorsque la sécheresse se fait trop prégnante, il passe un coup de griffon superficiel au chenillard dans la saison pour conserver un peu d’humidité. Parfois encore, il pioche autour des pieds toujours dans le même objectif. Mais il n’irrigue pas, ne désherbe pas, n’amende pas, ne traite pas.

Chez lui, tout a été pensé pour être naturel, dès l’origine. « J’ai acheté des terres qui n’avaient jamais connu que de la garrigue, plante-t-il. Et dès le départ, j’ai voulu faire quelque chose qui respecte la nature, qui soit propre et beau. »

Avant de toucher à quoi que ce soit, il a démarré par une analyse de sol qui lui a révélé qu’il possédait des marnes bleues et du calcaire dans son sous-sol. Ce qui l’a orienté vers un encépagement blanc. Il s’est ensuite attelé au défrichage du terrain, en prenant soin de conserver des îlots de biodiversité, avec chênes verts, chênes blancs, arbousiers, oliviers. Puis il a planté à la main en carré sur 1,50 x1,50 m des pieds issus de sélection massale (grenache blanc, clairette, viognier, chardonnay et marsanne) sur du 110 Richter et du Fercal. « Je n’ai rien arrosé mais tout a bien résisté », se réjouit-il. Puis il a planté d’autres parcelles avec des cépages originaires de l’île d’Elbe et de Sicile : du caricante, du grillo, de l’ansonica et du catarato, sur du Paulsen 700 et 900. Il a à présent 5,50 hectares de plantés.

Malgré la pression cryptogamique parfois importante, il ne cède pas à la tentation de traiter. « La végétation est comme l’homme, elle va s’autoimmuniser, espère-t-il. Cela prendra le temps que cela prendra. » En attendant, il subit parfois d’énormes pertes de rendement, comme en 2024 où il n’a récolté que 250 litres sur 1,5 hectare. Un effet conjugué de la maladie, mais aussi et surtout de la sécheresse et de l’absence d’amendement. Car comme chez ses confrères, la biodiversité permet de limiter l’ampleur des attaques de champignons au sein des parcelles. « Vous pouvez avoir un pied ravagé, et 1,50 m plus loin un pied totalement indemne qui aura résisté », observe-t-il. « On doit faire beaucoup de sacrifices, car on rentre peu de volumes, reconnaît-il. Mais la charge principale, c’est moi. » Et il valorise bien ses bouteilles, à plusieurs centaines d’euros le col, ce qui compense un peu les pertes.

Pour ces vignerons, le peu de temps passé à la vigne permet de dégager du temps, qui est consacré à la commercialisation. D’où une bonne valorisation de ces vins, 100 % sans produits de traitement. Une autre viticulture, avec un autre équilibre.

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Anne-Sophie de Verchère, au Vignoble Château Bénéhard, à Chahaignes dans la Sarthe, a une philosophie légèrement différente puisqu’elle travaille avec des algues, des champignons, des plantes et des thés de composts. Mais tout comme ses confrères du Sud-Est, elle n’effectue aucun traitement phytosanitaire, que ce soit avec des produits conventionnels ou bio. Grâce à cela, et une grande observation de son vignoble, elle arrive à juguler les maladies et à obtenir un rendement d’une vingtaine d’hectolitres à l’hectare. Pour elle aussi, la valorisation est au rendez-vous et compense les pertes de rendement.

avis d’expert

Alain Deloire, professeur en physiologie de la vigne (retraité de l’Institut Agro - Montpellier) et consultant en viticulture

« La polyculture limite les maladies »

<em class="placeholder">Alain Deloire, professeur en physiologie de la vigne (retraité de l’Institut Agro - Montpellier) et consultant en viticulture</em>
Pour Alain Deloire, la polyculture permet de freiner l'expansion des maladies. © A. Deloire
« Sur le principe, quelle que soit la plante, il faut traiter pour lutter contre les bioagresseurs lorsqu’on est en monoculture. La vigne étant en monoculture sur de grandes surfaces, elle doit être traitée d’une manière ou d’une autre, que ce soit avec des produits phytosanitaires, du cuivre, des décoctions d’écorces, des UV ou autres. Une monoculture clonale ou pluriclonale est fragile car de suite, l’agresseur a beaucoup à coloniser sur des kilomètres. La polyculture permet d’avoir beaucoup moins de maladies.

Les viticulteurs qui témoignent n’ont pas ou peu de mildiou car les vignes sont au milieu d’autres cultures et plantes, on se rapproche du jardinage et non de la monoculture. La dissémination du pathogène est donc freinée, ou empêchée. L’isolement des parcelles est un autre facteur de succès. Ce sont aussi des exploitants qui acceptent des rendements très faibles et d’avoir certains pieds avec un rendement nul.

Pour ce qui est du fait que la présence de levures ou bactéries à la surface des baies empêcherait la colonisation par le mildiou, ce n’est qu’une hypothèse. Nous n’avons pas assez de connaissances scientifiques pour la confirmer ou l’infirmer. »

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