Une nouvelle membrane débarque en filtration tangentielle
Des chercheurs, en partenariat avec l’entreprise Saint-Gobain, ont mis au point une membrane minérale en carbure de silicium, baptisée Crystar FT, qui améliore significativement les débits de filtration tangentielle. Son déploiement à l’échelle industrielle est en cours.
Des chercheurs, en partenariat avec l’entreprise Saint-Gobain, ont mis au point une membrane minérale en carbure de silicium, baptisée Crystar FT, qui améliore significativement les débits de filtration tangentielle. Son déploiement à l’échelle industrielle est en cours.
Crystar FT, son nom ne vous dit probablement rien mais cette membrane minérale en carbure de silicium est en passe de créer une petite révolution dans le monde de la filtration tangentielle. C’est ce que démontrent les travaux de thèse de Mathilda Trevisan, menés entre 2017 et 2020 sous l’égide de Philippe Moulin, professeur à Aix-Marseille Université et responsable de l'équipe procédés membranaires, et Rémy Ghidossi, professeur à l'ISVV. Les recherches ont été financées par Saint-Gobain, spécialiste des membranes de filtration. « Les différents médias filtrants utilisés en œnologie ont pas mal d’inconvénients, notamment vis-à-vis du colmatage. J’avais déjà pu observer les performances des membranes en carbure de silicium sur la filtration de l’eau. L’idée était de voir si elles pouvaient convenir au secteur de l’œnologie », expose Philippe Moulin.
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Des débits 3 à 4 fois plus importants qu’avec une membrane organique
Les chercheurs ont sélectionné en laboratoire une membrane d’une porosité de 250 nm et d’une tortuosité autour de 1,2. Les essais à l’échelle pilote ont été menés aux vignobles Ducourt, dans l’Entre-deux-Mers, après adaptation de la membrane minérale sur un filtre tangentiel disponible sur le marché. Près de 3 000 hl de vin de tous types, classés en trois catégories (facilement, moyennement et difficilement filtrables) ont ainsi été filtrés. « Chaque lot était séparé en deux afin de pouvoir faire une réelle étude comparative. L’un était filtré avec Crystar FT tandis que l’autre l’était en parallèle avec le filtre tangentiel utilisé par la propriété, à base de membrane organique », précise Philippe Moulin. Les chercheurs ont observé des débits trois à quatre fois plus importants avec Crystar FT. « Par exemple, pour les vins facilement filtrables, en l’occurrence un blanc sec collé et soutiré, le débit était de 250 l/h/m2 contre 70 l/h/m2 avec la membrane organique. Et la pression transmembranaire est restée inférieureà 0,7 bar, ce qui indique un faible colmatage », commente le chercheur. L’analyse des rétrofiltrations témoigne d’ailleurs clairement d’une moindre propension au colmatage de la membrane en carbure de silicium. Elles se font à la fréquence d’une toutes les deux minutes avec les membranes organiques contre une contre une toutes les 5 minutes avec Crystar FT. En termes de turbidité, les résultats sont sans équivoque (voir graphique). « Tous les résultats montrent une réduction de la turbidité en dessous de 1 NTU et la plupart du temps en dessous de 0,5 NTU. De plus, tous les indices d’encrassement des vins filtrés étaient inférieurs à 20 », exposent les chercheurs.
Pas de rétention significative de molécules d’intérêt type polyphénols
Sur le plan microbiologique, les analyses révèlent une baisse d'au moins 4 et 2 logarithmes respectivement pour les levures et les bactéries. Pour les deux types de micro-organismes, « les valeurs étaient constamment inférieures aux limites de détection dans les échantillons de vins filtrés analysés », notent les chercheurs. Il n’a pas été constaté de rétention significative de polyphénols au cours de la filtration avec Crystar FT. La membrane n’altérerait donc pas la qualité du vin. À titre d’exemple, la concentration en tanins d’un vin rouge élevé en barrique est passée de 3,80 g/l en début de cycle à 3,50 g/l en fin de cycle. Toutefois, en raison du contexte sanitaire, les chercheurs n’ont pas pu réaliser une analyse sensorielle pour confirmer les résultats analytiques. « Par contre des dégustations ont eu lieu en interne aux Vignobles Ducourt et aucune différence organoleptique n’a été relevée », précise Philippe Moulin. Sans toutefois mener des essais avec un protocole strict, les chercheurs ont testé leur membrane pour préfiltrer des lies après 15 jours de décantation. « Ça a bien fonctionné. Ça pourrait être intéressant pour limiter le coût énergétique du stockage des lies et le sulfitage massif », indique Philippe Moulin.
Améliorer la performance environnementale de la filtration tangentielle
Des écarts sur les besoins en puissance électrique de la filtration tangentielle avec Crystar FT ont été relevés. « On est entre 3,5 et 4,5 hl/h/kW avec les filtres tangentiels du marché contre 6 hl/h/kW avec Crystar FT. Un plus pour les domaines qui n’ont pas accès à des puissances électriques très fortes », relève Fabiano Rodrigues, responsable de l'activité filtration liquide chez Saint-Gobain. Et un plus pour la performance environnementale de l’équipement. Comme la surface de filtration est réduite ( 5,7 m2 dans les essais), il y a une économie de produits de nettoyage. « Elle supporte de très hautes températures et les nettoyages répétés ne lui font rien », commente Fabiano Rodrigues. Sans recul sur son utilisation dans les chais, difficile pour le moment d’établir la durée de vie de ces membranes. Mais les chercheurs sont confiants. « Sur l’eau, elles doivent être changées tous les 5 à 10 ans selon la qualité de l'eau », indique Philippe Moulin.
Des partenariats en cours de montage pour un déploiement sur le terrain
Des partenariats entre Saint-Gobain et les fabricants de filtres tangentiels sont en cours de montage. « Il faut un peu adapter les filtres, et notamment les pompes car les débits avec la membrane en carbure de silicium sont plus importants », rapporte Philippe Moulin. « Pour certains, il est question de créer une nouvelle gamme », complète Fabiano Rodrigues. La membrane en carbure de silicium est assurément plus chère que les membranes polymériques. « Mais par rapport aux autres membranes céramiques, avec l’effet d’échelle, on devrait avoir un coût similaire voire meilleur », assure Fabiano Rodrigues. Le prix final de l’équipement lui, est entre les mains des fabricants.