Le stockage et le réemploi du CO2 fermentaire deviennent réalité dans les chais de vinification
Si la valorisation du CO2 fermentaire n’est pas nouvelle, son stockage en bouteilles à l’échelle d’une cave prend tout juste son essor. Reportage en Gironde.
Si la valorisation du CO2 fermentaire n’est pas nouvelle, son stockage en bouteilles à l’échelle d’une cave prend tout juste son essor. Reportage en Gironde.
Mais pourquoi n’a-t-on pas fait cela avant ? C’est probablement la question qui vous serait venue à l’esprit en visitant le site de vinification des Grands chais de France à Saint-Savin, en Gironde, lors des dernières vendanges. Il a accueilli l’une des trois premières installations grandeur nature de l’entreprise CO2 Winery. Dans les travées de cuves inox de 415 hectolitres, la différence avec un chai non équipé n’est pas flagrante. Seuls des flexibles transparents, en haut de dix des cuves, dirigent le gaz carbonique vers un tuyau PVC collectant le fameux sous-produit de la fermentation. « Nous voulions voir s’il était possible de capter le CO2 et le stocker pour le réutiliser, notamment du point de vue de sa qualité », explique Frédéric Beyneix, responsable du site de Saint-Savin. S’il reste des données à dépouiller et analyser, ce qu’il a observé durant l’utilisation lui semble tout à fait satisfaisant.
Le système a fonctionné successivement à trois reprises, pendant la fermentation des blancs, celle des crémants puis celle des rouges. À la sortie du tuyau de collecte en PVC, posée sur une plateforme de quelques mètres carrés en dehors de la cave, une unité de traitement de la taille d’un réfrigérateur analyse la qualité du gaz, le sèche et le filtre. L’automate est paramétré pour ne collecter le gaz que lorsqu’il est pur à 99,5 %. Le CO2 passe ensuite par un compresseur de 200 bars qui le comprime et remplit un rack de 12 bouteilles de 50 litres. « Tout est automatisé, explique Quentin Renouil, ingénieur procédés à CO2 Winery. Le rack est posé sur une balance, quand on atteint la capacité maximale de 400 kg de stockage, le système s’arrête. »
Des économies de temps et d’eau grâce au procédé connexe CO2 Water
Au-dessus des bouteilles, reliées entre elles, se trouve un détendeur duquel repart, vers la cave, un réseau d’alimentation supportant 15 bars. Ce gaz est ainsi disponible pour les opérations comme l’inertage, avec possibilité de créer de la carboglace. En effet, la neige carbonique se forme naturellement lors du passage de l’état liquide à gazeux. « Ce qui demande toutefois un réseau capable de supporter 200 bars, précise Quentin Renouil. C’est le cas chez l’un des deux autres clients. »
Frédéric Beyneix a également expérimenté l’emploi de ce gaz pour acidifier l’eau de rinçage des cuves, après nettoyage à la soude. Un procédé conçu par CO2 Winery et baptisé CO2 Water. « Le système d’acidification a donné une eau avec un pH de 5,6, témoigne le responsable du site. À l’utilisation ce fut une réussite, l'eau s'évacuant de la cuve est très rapidement ressortie à pH 7, ce qui nous a fait gagner du temps et économiser de l’eau. C’est bien plus difficile lorsque nous rinçons avec une eau neutre. » Un système d’autant plus efficace qu’il est équipé du suivi de pH de l’eau en sortie de cuve en temps réel. Un capteur connecté envoie l’information en Bluetooth au smartphone de l’opérateur, qui peut s’arrêter dès que la cuve est tamponnée, et ne procède plus à tâtons avec des bandelettes.
Frédéric Beyneix se dit emballé par cette première expérience de captage du CO2 fermentaire. Il y voit également un aspect sécuritaire indéniable, puisque aucun gaz carbonique ne sort de la cuverie pour se retrouver dans la cave. « Les ventilateurs fonctionnent généralement bien, mais il en reste toujours, considère-t-il. L’ambiance de travail change complètement avec cette installation. Il n’y a plus, dorénavant, d’odeurs fermentaires. » Le responsable précise que le dispositif n’a gêné en rien le processus de vinification, que ce soit au niveau de la fermentation ou celui de l’organisation du travail. Il a même été possible de faire coexister la microoxygénation et la récupération du gaz carbonique. « On se branche sur un trou de bonde déjà existant dans la cheminée de la cuve et on ne capte que l’excédent, il n’y a pas d’aspiration, détaille Matthieu Planté, codirigeant de CO2 Winery. Un clapet permet d’éviter les accidents de surpression, puisque chaque cuve est fermée de façon étanche, et l’isole des autres cuves. »
Un potentiel de 300 tonnes de CO2 vert par campagne de vinification
En pleine fermentation, ce ne sont pas moins de 20 m3/h de CO2 qui s’échappent d’une cuve de 415 hectolitres. Chaque hectolitre de vin relargue en moyenne six kilos de gaz pour les blancs et huit kilos pour les rouges. Sur un site comme celui de Saint-Savin, cela représente un potentiel de 300 tonnes de gaz carbonique par an. Un CO2 écologique, contrairement à celui que l’on trouve chez les gaziers, issu de la combustion d’hydrocarbures. « Nos clients pourront adopter diverses stratégies, anticipe Matthieu Planté. Stocker le gaz pour l’année et être autonome, ou bien revendre leur production à des domaines voisins. » Une assertion à mettre à l’épreuve du terrain, puisque la production s’étale sur un temps court et laisse émerger des enjeux de stockage et de transport.
Frédéric Beyneix, de son côté, espère pérenniser son installation. La décision est entre les mains des dirigeants des Grands chais de France. Les modalités d’achat ou de location longue durée ne sont pas encore clairement définies, mais l’équipement représente à lui seul quelques dizaines de milliers d’euros. « La notion de rentabilité va entrer en compte, mais pas seulement, devine le responsable du site. Il y a aussi l’aspect sécuritaire, ainsi que l’autonomie face à des approvisionnements qui sont toujours plus difficiles et des prix fluctuants. Cette pratique fait entrer dans un cercle vertueux, qui répond à notre projet de RSE. » La société CO2 Winery quant à elle bouillonne de nouveaux projets, dans les chais d’élevage par exemple. Ce n’est sans doute que le début d’une grande aventure.
Le stripping, l’avenir pour des vins avec moins d’alcool ?
Le site des Grands chais de France a également accueilli le tout premier procédé LessAlco, imaginé par CO2 Winery, en grandeur nature. Le principe est celui du stripping. À savoir, récupérer le gaz issu de la fermentation pour le réinjecter dans la cuve et forcer l’évaporation de l’alcool. Vapeurs qui sont ensuite récupérées en dehors et éliminées. Selon les premières expérimentations, menées en laboratoire à l’ISVV de Bordeaux, cette technique permettrait d’abaisser le taux d’alcool dans le vin de 0,5 à 2 % vol. Une cuve de 280 hl de merlot thermovinifiée a été équipée, qui sera comparée à une cuve témoin. « Le système a fonctionné une quarantaine d’heures, entre 1075 et 1010 de densité », informe Matthieu Planté. De nombreux paramètres doivent être étudiés, notamment la perte en volume (condensats) et l’impact sur les arômes. « La cinétique de fermentation a été légèrement différente, relate le dirigeant. Il semble ne pas y avoir de différence à la dégustation, et la perte en volume représente 1 %. » À l’heure où nous bouclons, la société attendait les analyses de condensats pour estimer la perte d’alcool. « Si l’intérêt se confirme, cela pourrait être une solution partielle, tout comme l’adaptation des cépages, face à l’augmentation inquiétante des degrés », estime Frédéric Beyneix.