Dossier sans sulfites
Pourquoi se lancer sur le marché des vins sans sulfites ?
Difficile d’évaluer le marché en termes de chiffre d’affaires, mais l’essor des vins sans sulfites reflète la fragmentation croissante de l’offre de vins face aux attentes multiples des consommateurs. Si le créneau reste limité, pour les professionnels que nous avons interrogés, il offre des opportunités.
Difficile d’évaluer le marché en termes de chiffre d’affaires, mais l’essor des vins sans sulfites reflète la fragmentation croissante de l’offre de vins face aux attentes multiples des consommateurs. Si le créneau reste limité, pour les professionnels que nous avons interrogés, il offre des opportunités.
N’être régi par aucun label, ni cadre réglementaire bien précis n’empêche pas le sans sulfites de se développer en rayon. Chacun a sa formule pour concevoir son offre mais cinq motivations se distinguent.
Une réponse à la demande de produits « sans »
Les vins sans sulfites s’inscrivent dans la vague montante des produits « sans ». « Les gens veulent du sans, y compris du sans alcool. Ces 5 dernières années, il y a une accélération que la Covid a encore amplifiée », constate Christopher Hermelin, directeur marketing de Nicolas.
L’enseigne de cavistes regroupe désormais ses vins qu’elle qualifie « d’engagés » dans une gamme baptisée « Sans 0 % » avec un logo dédié. Les vins sans sulfites en font partie, aux côtés des vins vegan, bio, HVE, Terra Vitis, Demeter…
Cette vision est partagée par Audrey Sonnendreck, directrice de catégorie Vins champagnes mousseux pour le groupe Carrefour : « Le sans sulfites s’inscrit dans la mouvance des vins engagés. Même s’il n’y a pas de label, il fait partie de notre programme Act for food. Il faut en proposer car c’est une réponse au souhait des consommateurs de mieux consommer. »
Charlie Wilson, acheteur Vins du réseau de cavistes Nysa, constate que sa sélection de vins sans sulfites « marche plutôt bien ». Si elle représente moins de 2 % de son offre, elle atteint 5 % des ventes.
La demande de sans sulfites est identifiée comme jeune, parisienne et urbaine mais pour Audrey Sonnendreck, « les seniors sont aussi intéressés ».
Le prolongement d’engagements environnementaux
Pas justifié d’un point de vue technique, le lien entre sans sulfites et engagement environnemental paraît évident pour les consommateurs. Chez Magasins U, Gérard Bregeon, responsable des MDD vins et champagnes, explique que les 10 références de sans sulfites en marque distributeur sont toutes labellisées AB. « Pour les consommateurs, un vin bio c’est moins d’intrants donc le sans soufre s’inscrit dans cette logique. Ça va dans la démarche de verdir le rayon. ». Le constat est identique chez Carrefour. « Seul, le sans sulfites n’est pas reconnu. Les consommateurs l’appréhendent mieux avec la notion de bio, seul label qui ressort en notoriété », renchérit Audrey Sonnendreck.
Olivier Antoine-Geny, directeur du cabinet de conseil AOC Conseils, estime toutefois que « la certification bio n’est pas obligatoire. On peut être HVE a minima ».
Proposer un style de vin tendance, axé sur le fruit
Le goût du vin, c’est ce qui a poussé le domaine Henry Marionnet à lancer sa cuvée sans soufre ajouté Première vendange dès 1990. « Si nous l’avons fait, c’est qu’il y a un plus gustatif indéniable », confie Jean-Sébastien Marionnet. Le domaine en produit 70 000 bouteilles par an, vendues surtout en restauration, et régulièrement sélectionnées en foire aux vins. Sur le site, la cuvée est proposée à 13,50 €, au-dessus des cuvées classiques du domaine. « On est sur des produits qui visent la buvabilité, la digestibilité. Ce ne sont pas des vins de garde sauf pour quelques vignerons iconiques des vins nature », estime Marion Barral, consultante Rhône-Provence chez AOC Conseils.
Ce style frais et fruité attendu incite Charlie Wilson des caves Nysa à se montrer prudent avec les rosés et blancs. « Si ça s’oxyde, on perd la fraîcheur qui correspond justement au profil recherché dans les vins sans sulfites. »
Cultiver une image de technicité et de savoir-faire
Réputée risquée, la vinification sans sulfites est un défi technique qui stimule dans les chais. « C’est une façon de mettre en avant son potentiel. On prouve qu’on est un très bon vigneron et un très bon vinificateur. Ça permet de gagner en légitimité auprès des professionnels », résume Marion Barral d’AOC Conseils.
La technicité du sans sulfites soulève toutefois un paradoxe souligné par Charlie Wilson chez Nysa, « c’est compliqué pour nous. Il faut trouver le bon produit entre le vin trop nature avec lequel on prendrait trop de risques et le vin très techno qui n’est pas ce que nous recherchons. Du coup, on n’en a pas tant que ça. »
La suspicion sur la moindre conservation des vins reste forte. « Il faut aller vite sur ces vins, considère Gérard Bregeon chez Magasins U. Il faut qu’ils puissent rentrer dans la logistique actuelle. On ne peut pas aller sur une logique de produit frais. » C’est l’argument avancé pour que leur présence soit concentrée sur les foires aux vins et limitée en fond de rayon, sauf exception.
Doper la dynamique commerciale et attirer de nouveaux consommateurs
Pour les consultants d’AOC Conseils, une cuvée sans sulfites peut dynamiser sa politique commerciale. « Ça ouvre des portes dans le réseau des cavistes où tout le monde s’est rué avec la fermeture du CHR. Un sans sulfites est un atout pour présenter le reste des vins, ça n’a pas besoin d’être une production énorme », conseille Marion Barral. Pour Olivier Antoine-Gény, c’est un choix intéressant pour une cuvée éphémère, qui va « apporter de l’originalité, renouveller la gamme, attirer de nouveaux consommateurs plus jeunes, plus bio, plus citadins ». Il souligne qu’il faut produire ce que l’on est sûr de vendre, être capable de proposer un packaging décalé et miser sur « un prix palette entre 3 à 3,95 € ». Faut-il appliquer systématiquement l’équation sans sulfites = vin de France pour se distinguer ? C’est plutôt non pour les grandes surfaces. Attachées à fournir des repères aux consommateurs, les enseignes ont plutôt tendance à rester sur des vins AOP ou IGP. Avant toute chose, pour Oliver Dauga, consultant et fondateur du Faiseur de vin, « il faut être convaincu, si non ça ne marchera pas ». Il appelle aussi à une vision plus globale : « demain, le sans intrant remplacera peut-être le sans sulfites ».
Une forte dose de pédagogie à prévoir
Le consommateur veut du « sans » mais sa perception reste confuse. « Il y a eu une diabolisation du soufre depuis quelques années », regrette Charlie Wilson, acheteur chez Nysa, en évoquant les très nombreux vignerons qui s’efforcent d’en limiter les doses au maximum et dont les efforts passent du coup inaperçus pour certains consommateurs. « Il y a beaucoup d’amalgames avec les vins nature. On doit éduquer le client pour expliquer les différences. Certains s’étonnent aussi que la mention 'sans sulfites ajoutés' puisse coexister avec 'contient des sulfites' », poursuit-il. Sur les étiquettes, si la mention « sans sulfites ajoutés » domine, on trouve aussi "sans soufre", « sans sulfites » tout court, « soufre naturellement présent » ou « garanti sans sulfite ajouté ». Indiquer le taux de soufre total ? Certains le tentent mais en reviennent. « Le domaine La Ferme Saint Martin, en Vallée du Rhône, qui sulfite très peu, avait inscrit sur l’étiquette d’une cuvée son taux de soufre total de 20 mg. Mais cela sucitait beaucoup de questions, les clients n’ayant pas conscience d’un taux bas. Alors il l’a enlevé », raconte Charlie Wilson. Olivier Antoine-Geny d’AOC Conseils conseille une contre-étiquette avec « peu de texte mais explicite sur la philosophie du vin ».
« On fait des choix graphiques pour sortir du lot »
Carl Coignard, fondateur d’Innowine conçoit en négoce des cuvées sans sulfites distribuées exclusivement en grandes surfaces. Pour les foires aux vins d’automne 2021, il a réalisé quatre cuvées pour quatre enseignes différentes.
« Sur une foire aux vins, on peut faire une petite cuvée à 5 000 à 10 000 bouteilles voire 20 000 bouteilles. Tout le monde est rassuré. J’arrive à 50 000 à 60 000 bouteilles de ma cuvée Cépage Libre que je développe depuis cinq ans avec le groupe Carrefour mais l’idée n’est pas de faire de l’industriel. J’ai un doute sur le sans sulfites à 2000 hl. Grenachiste, que Monoprix a décidé de référencer en permanence, ça reste des volumes autour de 10 000 bouteilles par an.
Le sans sulfites tout court n’a pas trop de sens car le consommateur de ces produits cherche de la naturalité. En dehors d’un vin HVE, mes autres vins sont en bio ou biodynamie. Mes prix vont de 5 € à 8 €. Difficile de vendre plus cher. L’idée est de démocratiser ces vins.
En rayon, 80 % des bouteilles se ressemblent. Pour sortir du lot parmi 600 à 700 références, on fait des choix graphiques. Notre proposition est différente, il faut que ça se voit sur l’étiquette et la contre-étiquette. On donne des éléments pour faire un choix rapide. »
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