Davantage de fraîcheur avec les rafles
Le non-éraflage des vendanges rouges connaît un petit regain d’intérêt pour apporter fraîcheur et structure. Mais attention aux risques de verdeur. Le point sur les avantages et inconvénients avec des vignerons adeptes.
Le non-éraflage des vendanges rouges connaît un petit regain d’intérêt pour apporter fraîcheur et structure. Mais attention aux risques de verdeur. Le point sur les avantages et inconvénients avec des vignerons adeptes.
Il en va des techniques de vinification comme des modes. Le non-éraflage, qui n’avait perduré que chez quelques vignerons de Bourgogne et de la Vallée du Rhône, reprend de l’intérêt et s’étend à d’autres régions et cépages. « La tendance se ressent même à l’étranger, confirme Philippe Cambie, œnologue conseil à l’Institut coopératif du vin (ICV). On vinifie des syrahs non éraflées aux États-Unis pour apporter plus de peps, plus de fraîcheur au vin et pour diminuer les degrés. »
Cette sensation de fraîcheur gustative, « apportée par les tanins de rafle », est de loin le premier intérêt recherché par les vignerons et consommateurs adeptes du non-éraflage : le vin semble moins lourd, plus tendu. « Pourtant à l’analyse on note une légère baisse de l’acidité, avec une augmentation d’environ 0,1 point de pH, liée à l’apport de potassium, rapporte-t-il. Mais le ressenti est inverse. » L’eau contenue dans les rafles permet de perdre un demi à un degré, ce qui diminue encore la sensation alcooleuse.
La vinification en vendange entière imprime un style de vin que l’on aime ou que l’on n’aime pas. En Bourgogne nord, Dominique Gruhier, vigneron, a mené des essais comparatifs sur un pinot noir provenant d’un même coteau vinifié soit en grappe entière soit en partie éraflé. « La vendange égrappée donne des vins plus gourmands, plus faciles d’accès, mais avec beaucoup moins de fraîcheur, de longueur, de finesse que la vendange entière, témoigne-t-il. L’impact des rafles est également net sur la complexité aromatique. On obtient davantage de fruité, d’agrume et plus de croquant. »
Le non-éraflage intensifie les notes de violettes de la syrah
Suivant les cépages et régions, les arômes renforcés varient. « Sur syrah on intensifie les notes de violette et de réglisse, sur grenache on augmente le côté orange sanguine, grenadine », juge Michel Tardieu de la maison Tardieu-Laurent en Vallée du Rhône. Sur mourvèdre, Étienne Portalis, vigneron à Bandol, obtient davantage de « notes épicées et végétales de type pinède, bruyère ». Sur cabernet franc, Hervé Lefferer, vigneron dans les Corbières, juge que « les rafles renforcent les notes poivrées ». Les vins ressortent souvent plus structurés, plus ou moins selon la gestion de la macération.
En contrepartie les vins vinifiés avec rafles demandent souvent un élevage plus long pour révéler tout leur potentiel. « Ils peuvent sembler austères la première année, remarque Michel Tardieu. Le non-éraflage donne des vins à consommer plus tardivement mais qui se gardent beaucoup plus longtemps. »
Être vigilant sur la maturité des rafles pour éviter toute verdeur
Le risque bien connu lié à l’ajout de rafles est l’excès de verdeur, de dureté. Les vins peuvent sembler rustiques, amers, astringents. « Mais seulement si les rafles ne sont pas mûres ou si l’on fait de la surextraction », nuance Philippe Cambie. La qualité des rafles est donc primordiale : on préférera des rafles fines et brunes aux grosses rafles vertes, ce qui n’est pas le cas sur tous les terroirs et tous les millésimes (voir encadré).
Alors faut-il foncer tête baissée dans la vinification avec rafle ? « Avant de se lancer il est important de savoir quel type de vin on veut faire, préconise Philippe Cambie. Pour un vin de consommation rapide il est préférable d’érafler, pour un vin de garde plus typé, plus complexe et frais, on peut garder les rafles. Il ne faut pas faire un dogme de l’éraflage ou du non-éraflage. Les deux méthodes ont leur intérêt. »
Garder les rafles implique une vendange manuelle et est donc réservé aux cuvées bien valorisées. D’abord il faut choisir le pourcentage de rafles, en fonction de leur qualité et du style de vin désiré. Beaucoup de vignerons débutent par des essais de vendange éraflée à 80 %. D’autres revendiquent des cuvées 100 % grappe entière. Tous les intermédiaires sont possibles.
Le plus souvent les grappes sont apportées entières dans la cuve. Certains préfèrent érafler au préalable pour sélectionner les rafles les plus mûres en sortie d’érafloir. Dans le cas de vendanges partiellement éraflées, on peut alterner des couches de vendange éraflée et de vendange entière pour obtenir un chapeau plus homogène ou bien au contraire maintenir les rafles dans la partie supérieure du chapeau pour éviter qu’elles ne macèrent en permanence dans le jus. Comme pour une vendange éraflée, l’intensité du foulage varie. « On peut passer la vendange entière dans un fouloir ou une pompe à vendange douce sans observer de rafles dilacérées », note Hervé Lefferer.
Réaliser une extraction toute en douceur
Point important : il faut gérer l’extraction en douceur, avec des remontages et des pigeages légers, pour éviter d’extraire de la verdeur. « On est proche de l’infusion », résume Dominique Gruhier. On travaille plus sur la durée de macération que sur la force d’extraction avec un pilotage par dégustation. Et le chapeau de marc, plus aéré avec les rafles, facilite le contact avec le moût. Les températures sont souvent maintenues à moins de 25°C. Les fermentations peuvent durer un peu plus longtemps, avec un risque de libération tardive des sucres sur les grappes entières peu foulées. Dernier point : l’élevage, parfois plus long que pour une vendange éraflée, serait facilité, selon Michel Tardieu : « Les vins non éraflés acceptent mieux l’élevage en fût, le boisé se marie très bien avec le fruité ». Au château Pradeau à Bandol, on élève même le mourvèdre grappe entière jusqu’à 48 mois en foudre…
La maturité des rafles, un point essentiel
« On ne peut pas faire du non-éraflé sur tous les terroirs et il y a plus de terroirs qui nécessitent l’éraflage que le non-éraflage, avance Michel Tardieu. Il faut des rafles bien aoûtées, lignifiées. À Châteauneuf-du-Pape, c’est possible surtout sur les parcelles tardives qui mûrissent plus lentement. On arrive alors à faire coïncider la maturité phénolique des baies avec l’aoûtement des rafles. Par exemple nos terroirs sableux s’y prêtent mieux que les terroirs de galets roulés. C’est également plus facile dans les vieilles vignes avec des rendements maîtrisés et des grappes un peu plus lâches qui favorisent la maturation des rafles. Malheureusement on a trop de clones avec des grappes boudinées. »
Plus au nord, à Sancerre, Clément Pinard aime récolter « quand la rafle commence à brunir, avec des baies bien mûres mais pas encore surmûries ou figuées. Si on attend trop on aura une rafle davantage lignifiée mais des baies trop surmûries. Ça peut se jouer à la journée près. Et ce n’est pas systématique. En 2007, nous avons été obligés d’érafler par manque de maturité des rafles ». Le mûrissement des rafles passe également par des rendements maîtrisés à la vigne.
À noter que le non-éraflage n’est pas conseillé en cas de coulure, pour éviter d’avoir trop de rafles par rapport au nombre de baies.