Être ou ne pas être en bio
Indéniablement, le dynamisme du marché bio attire. Si sa croissance semble durable, elle s'appuie sur des piliers économiques qui restent à consolider.
Indéniablement, le dynamisme du marché bio attire. Si sa croissance semble durable, elle s'appuie sur des piliers économiques qui restent à consolider.
La part de vignes cultivées en bio en France est de 12% en moyenne, mais dépasse ou approche les 20% dans certains vignobles, par exemple en Bouches-du-Rhône, Var, Haut-Rhin, Drôme ou encore Dordogne. Le chiffre d’affaires des vins bio a doublé en cinq ans pour dépasser le cap du milliard d’euros en 2018. La tendance est-elle durable ? Telle était en filigrane la question abordée lors du colloque "Vins bio superhéros de demain ?" organisé en mai par le groupe ICV à Codognan, dans le Gard, sur le site de la cave coopérative Vignoble de la voie d’Héraclès (1). « Tout reste à faire. Mais c’est enthousiasmant d’avoir à relever les défis qui correspondent à une demande sociétale, à notre envie citoyenne mais au-delà, qui correspondent à une nécessité économique », a lancé Denis Verdier, le président du groupe, en conclusion d’une quinzaine d’interventions.
Les conversions avaient progressé après le Grenelle de l’environnement avant de s’essouffler car la demande n’avait alors pas suivi. Désormais la donne est différente. Les surfaces en conversion ont progressé de 63 % en 2018 par rapport à 2017. La part de vignes cultivées en bio a atteint 12 % au global mais 19% en Paca ou 17% dans le Haut-Rhin.
Côté consommateurs, le nombre d’acheteurs de vin tranquille bio a triplé entre 2011 et 2018. Un dynamisme d’autant plus remarquable que les achats globaux de vins sont en baisse au profit de la bière, des boissons sans alcool ou désalcoolisées. Selon l’étude Sudvinbio/IWSR 2018, la consommation globale de vin aura baissé en France de 18 % en 2022 par rapport à 2012 mais dans le même temps, la part du marché du vin bio aura progressé en passant de 1,7% à 7,7 %.
Les nouvelles générations sont plus sensibilisées au bio
Selon Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprise du Crédoc, la préoccupation envers la dégradation de l’environnement, que l’institut d’études mesure depuis plus de trente ans, monte en flèche chez les plus jeunes. « Les nouvelles générations qui sont nées avec cette préoccupation environnementale vont demander que de plus en plus de choses soient faites », estime la spécialiste des tendances de consommation. Benoît Soury, directeur marché bio du groupe Carrefour, confirme que « développer les produits bio pour un acteur de la grande distribution, c’est une façon de renouveler sa clientèle ». Une étude menée en 2015 par Sudvinbio auprès de consommateurs français, anglais, allemands et suédois montrait déjà que les jeunes étaient plus consommateurs de vin bio que les seniors.
Les motivations pour consommer bio évoluent
En parallèle le lien entre alimentation et santé n’a jamais été aussi fort. En 2018, selon le Crédoc, 91 % des Français font le lien entre ce qu’ils mangent et leur état de santé. Ils étaient 75 % en 1997. Et ce qui est nouveau, c’est que le lien est très fort pour la nouvelle génération de consommateurs nés entre 1987 et 1996. Ce n’était pas le cas pour les générations précédentes au même âge.
Plus qu’avant, le bio et les préoccupations de santé se lient. D’après les études du Crédoc, depuis 2015, "bio" fait partie des mots qui viennent le plus à l’esprit des consommateurs lorsqu’on leur demande ce qu’évoque pour eux un aliment de qualité. En 2018, les consommateurs citent aussi des mots évoquant les produits « sans » (sans ogm, additifs, colorants, conservateurs, pesticides, huile de palme…). Pour le vin, note Pascale Hébel, cela se traduit par l’attrait de démarches comme le sans sulfites, le sans résidus de pesticides et même le sans alcool. Des promesses dont les vins certifiés bio n’ont pas le monopole (voir encadré).
La part de marché du vin bio, encore limitée faute de volume, laisse d’ailleurs la place pour d’autres démarches environnementales pour peu qu’elles soient mieux connues et comprises. Mais à ce jour, la certification bio dispose d’une très confortable avance en notoriété puisque 97 % des Français connaissent le label AB et 59 % le label bio européen.
L’essor du vin bio s’appuie sur une distribution atypique
Par rapport aux autres produits alimentaires certifiés bio, le vin présente la particularité d’être acheté à 41 % en circuit de vente en direct, selon les données de l’Agence bio. La part de la grande distribution n’est que de 19 % alors qu’elle est, par exemple, de 34 % pour les fruits et légumes bio ou de 60% pour la viande bio. Le vin bio peut-il maintenir cette spécificité contribuant à sa valorisation en se développant ? A ce jour, faute de pouvoir accéder à des volumes suffisants, la plupart des distributeurs misent aussi sur d’autres démarches comme HVE. Mais ils entendent bien ne pas lâcher l’affaire sur le bio.
Chez Carrefour, Benoît Soury ne cache pas que le vin bio donne du fil à retordre à l’enseigne. « Il représente 10 % des références pour 3 % du chiffre d’affaires. Ce n’est pas un élément tenable à long terme », a-t-il expliqué lors du colloque ICV. Le distributeur cherche donc à gagner en rentabilité en travaillant la segmentation de son offre et en développant des points de vente 100 % bio. Autre particularité à maintenir pour la filière, une couverture de la demande à 99 % par la production française alors que les fruits et légumes bio sont importés à 41%.
Le maintien d’une bonne valorisation pour un dynamisme pérenne
« C’est une fierté de voir que les consommateurs nous plébiscitent et sont prêts à payer plus cher pour avoir des produits qui correspondent à leurs attentes de sécurité alimentaire. C’est ce qui nous permet de nous développer », souligne Patrick Guiraud, président de la commission salon Millésime bio au sein de Sudvinbio. « Le modèle est pérenne tant que la demande est supérieure à l’offre », notait pour sa part Olivier Gergaud, professeur d’économie à la Kedge business school lors du colloque ICV, en pointant la nécessité que la demande continue de croître.
Les ouvriers, employés et les plus de 65 ans continuent d'être plus attachés au goût, au prix et au terroir pour juger la qualité des produits et sont moins nombreux à acheter des produits bio. Mais, selon Pascale Hébel du Crédoc, ils « vont être attirés » par la tendance dessinée par les leaders d’opinion. D’après le baromètre de l’Agence bio, le prix reste le premier frein avancé par les consommateurs occasionnels ou non consommateurs de bio, devant les doutes sur le fait que les produits soient totalement bio. « Le vin bio a un différentiel de prix raisonnable ce qui n’est pas le cas pour d’autres produits alimentaires », relativise Jean-François Ranvier, négociant travaillant essentiellement avec la grande distribution. Démontrer que le vin bio est accessible est d’ailleurs l’objectif des grandes surfaces mais aussi de certaines enseignes spécialisées. Une accessibilité qui doit être compatible avec un équilibre économique satisfaisant pour le producteur, sans quoi la dynamique du bio s’étiolera.
D'autres promesses challengent le bio
Une équipe de l’ISVV (1) a réalisé plusieurs expérimentations sur les arbitrages des consommateurs de vin quant aux critères environnementaux et sanitaires. Elles révèlent la force des considérations sanitaires liées au sans soufre et aux résidus, et l’importance des informations délivrées lors de l'achat.
Les chercheurs de l'ISVV utilisent une méthode consistant à mesurer l’évolution du consentement à payer des consommateurs pour un produit (prix maximal auquel ils sont prêt à l’acheter) selon les informations environnementales et sanitaires qui leur sont distillées au fur et à mesure, alors qu’ils sont placés dans une situation concrète de choix. Une dégustation à l’aveugle préalable établit le niveau de référence. Ainsi, lors d’une expérimentation menée en 2016 et 2018, un panel de 200 consommateurs a été confronté à quatre vins de 2015 issus d’un même terroir bordelais : un vin conventionnel, un vin nature bio et sans sulfites, un vin bio et un vin conventionnel avec un niveau de SO2 inférieur à celui du vin bio. Proches au départ, les vins bio, sans sulfites et nature ont vu leur indicateur de consentement à payer augmenter au fil des informations données sur leur mode de production, et dans une plus grande mesure pour le vin sans sulfites.
Les consommateurs reconsidèrent leurs choix en fonction de critères sanitaires
« Une partie de la valeur accordée par les consommateurs à la naturalité, initialement portée sur les vins bio, peut ainsi être captée, dès que le panel de choix s’étend, par des vins misant plus directement sur les garanties sanitaires, l’éviction des sulfites notamment, même pour les consommateurs, grandement majoritaires, ne souffrant pas d’intolérances », détaille Yann Raineau, ingénieur à Bordeaux Sciences Agro et membre de l'équipe de recherche. Le vin nature a même bénéficié d’une augmentation du consentement à payer lorsque son mode de production a été révélé même par ceux qui ne l’appréciait pas à l’aveugle. Pas le vin bio.
La même méthode a été utilisée en 2017 dans le cadre du projet Vinovert pour comparer des vins blancs du Languedoc d’entrée de gamme. L'échantillon comprenait un vin issu d'un cépage résistant, un vin bio et deux vins conventionnels, l’un standard, l’autre premium. Les informations délivrées via les IFT, la variété résistante ou non, le mode de culture et l’analyse des résidus de pesticides ont fait progresser le consentement à payer du vin bio mais aussi celui du vin de variété résistante dont le goût était peu apprécié au départ.
Les auteurs de l’étude notent cependant que dans la vie réelle, toutes ces informations n’existent pas sur les étiquettes. Ils soulignent aussi que ces expériences doivent être étendues à d'autres types de vin, et que les résultats "doivent plus être interprétés comme des fournisseurs d’alerte sur l’évolution des tendances de consommation".