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Le vin de demain
Demain, pour se vendre le vin devra-t-il être engagé ?

Selon la dernière étude Kantar Food 360 pour le Sial (1), 63 % des consommateurs estiment que bien choisir son alimentation est un engagement sociétal. Cette tendance se retrouve-t-elle pour le vin ? La réponse de quatre spécialistes du marketing du vin.

Les spécialistes du marketing du vin que nous avons interrogés, l'engagement d'un vin sera un critère de choix mais il ne se résume pas forcément à une démarche de labellisation.
© J. Gravé
 
 

David Hairion, président-fondateur de l’agence Made in Mouse

« Parce qu’ils sont distanciés de l’agriculture, les consommateurs veulent être rassurés »

Le vin est un produit agricole. Les consommateurs d’aujourd’hui, parce qu’ils sont distanciés de l’agriculture, veulent être rassurés parce qu’ils pensent que ce qu’ils ingèrent à un impact sur leur santé. Il y a donc une demande sociétale forte de garantie. C’est évident que demain le vin devra cocher toutes les cases d’un produit responsable, engagé globalement en faveur de l’environnement et du développement durable, de la préservation des ressources. En grandes surfaces, l’offre se structure déjà en fonction de démarches.

Il y a une pléiade de bonnes pratiques : la recherche fondamentale, le biocontrôle, les variétés résistantes, la régénération de la biodiversité… La France est très en avance là-dessus. Il faut expliquer même si on rentre dans le domaine du complexe. Le consommateur demandera de la transparence. Les études nous disent que les jeunes sont plus sensibles aux preuves qu’aux moyens mis en œuvre. Les labels vont devoir se demander comment donner des preuves. Avec quels indicateurs ? Tout ça est encore balbutiant.

Marie Mascré, directrice associée de l’agence Sowine

« Les labels ont un gros travail de communication à faire »

L’engagement vis-à-vis de l’environnement et de l’aspect sociétal va être une évidence pour le vin, notamment compte tenu des débats sanitaires autour des pesticides et de l’alcool. Dans notre dernier baromètre annuel sur les consommateurs de vin, 57 % des sondés se disent prêts à acheter plus cher un vin qui a une démarche respectueuse de l’environnement. L’aspect sociétal que l’on résume par la RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) n’est pas encore dans la tête de tous les consommateurs mais les entreprises qui vont dans le sens d’un engagement global auront un temps d’avance.

Les jeunes générations sont demandeuses de marques engagées. Il existe différents niveaux d’engagements. Certains adoptent une charte qualité, d’autres peuvent même aller jusqu’à devenir une entreprise à mission (1).

Le label offre une garantie au-delà de la marque. Mais notre dernier baromètre montre la grande incompréhension des démarches par le consommateur : 55 % des Français ne savent pas ce qu’est un vin naturel et 84 % ne savent pas ce qu’est un vin biodynamique, et cela concerne même des connaisseurs. Les labels ont un gros travail de communication à faire.

Il n’y a que le bio qui est reconnu mais qui n’est pas si bien connu que ça. Je ne crois pas que demain il sera l’engagement unique. Il y a de la place pour d’autres démarches communiquées de façon forte autour de leur bien-fondé.

Le vigneron s’engage au quotidien pour sa vigne et son vignoble. Il peut raconter ce qu’il fait. Et il ne s’agit pas d’enjoliver. La marque de chaussures équitables Veja par exemple très prisée par les jeunes, explique les limites qu’elle rencontre pour remplir certains de ses objectifs. Partager ce qu’on fait, ça passe par des outils qui sont aujourd’hui à la portée de tous, comme internet ou les réseaux sociaux. Derrière l’engagement, il y a la capacité pour les vignerons de créer du lien.

(1) L’entreprise à mission a été introduite par la loi Pacte de 2019. Il s’agit d’entreprises qui se donnent statutairement une finalité d’ordre social ou environnemental en plus de leur but lucratif.

Fabrice Chaudier, conseil en marketing et stratégie

« Il faut réinvestir le lien avec le consommateur »

Le vin, c’est beaucoup plus qu’une bouteille, c’est sa force et sa faiblesse. Le consommateur n’achète pas juste un contenu. Il achète aussi de l’histoire, de l’imaginaire, un moment de consommation.

Avec toutes les communications actuelles, notamment sur les pesticides, le consommateur attend des produits qui aient du sens. Les problématiques environnementales sont majeures. On voit apparaître l’aspect social avec les démarches de type RSE.

Du côté du consommateur, il faut une démarche facile à reconnaître. Du côté du producteur, la démarche doit englober une réflexion large, lui donner un cadre qui lui permette de se projeter dans l’avenir, d’assurer la pérennité de l’activité.

Force est de constater que les labels reconnus permettent d’échapper aux premiers prix entrée de gamme. Le bio a actuellement un avantage concurrentiel mais s’il devient la norme, ça sera moins le cas. Plutôt que de multiplier les labels, il faudrait retrouver le sens du collectif et avoir un label qui englobe l’environnement et le sociétal. La notoriété rapide atteinte par la marque C’est qui le patron ? prouve la faiblesse des labels. Il faut des preuves reconnues

Au-delà d’un label, l’engagement est quelque chose de personnel que le vigneron doit communiquer. L’enjeu est d’avoir un argumentaire pour aller jusqu’au consommateur. Il faut investir en communication et en marketing pour retrouver le lien. Si l’on n’est pas en vente directe, il faut penser à l’animation et la communication sur le lieu de vente, à la digitalisation. Tout ce qui permet au consommateur d’être en lien avec le produit même si l’on n’est pas en face de lui. Le consommateur doit comprendre en quoi le produit est intéressant pour lui, pourquoi il coûte ce prix là. Il faut aussi et avant toute chose, qu’il comprenne à quel moment de consommation il pourra le destiner.

Jérémy Arnaud, fondateur de Terroir Manager

« Les appellations doivent être des incubateurs d’engagement personnel »

S’engager c’est créer une communauté de personnes qui partagent cet engagement. Il faut trouver des engagements pour faire vibrer les consommateurs. Depuis une vingtaine d’années déjà, on observe que les vins qui se vendent le mieux sont ceux qui ont un certain niveau d’engagement. Cela va se poursuivre, s’intensifier, devenir plus radical. Jusque-là, le vin répondait à des codes, des valeurs définies par l’AOC. L’appellation était un engagement par le biais d’un syndicat. Le respecter assurait les ventes. Il se matérialisait par l’obtention d’un agrément. Il n’était pas utile de s’engager plus. Pour demain, les appellations doivent définir ce qui les tient ensemble et être des incubateurs d’engagements personnels.

L’engagement est-il forcément bio ? C’est plus complexe. L’engagement doit avant tout faire l’objet d’une adhésion émotionnelle par le consommateur qui dicte ce qu’il a envie de consommer. Il doit être vu et compris. Il se structure selon une certaine idée du vin.

Les vins de soif, s’engagent sur des valeurs hédonistes, « cool », sur une promesse liée à une ambiance de consommation, de partage. L’engagement c’est que la bouteille se vide ! C’est par exemple le champagne, qui pour toucher cette frange de consommateur va dire qu’il sait accompagner les petits riens. Il y a des repères : la buvabilité, l’étiquette, le nom rebelle ou clin d’œil comme « you fuck my wine » ou « chenin de jardin », l’évocation d’une ambiance de consommation. Il peut y avoir en plus des modalités : pas trop d’alcool, bio, sans soufre…

Les vins de terroir, s’engagent par rapport à la nature, aux méthodes, aux valeurs. Pour en parler, seront évoqués la production du vin, la présence dans les vignes, la biodiversité, le travail du sol, la parcelle, les vers de terre, l’agroforesterie…

En grandes surfaces, les labels permettent de normer le niveau d’engagement. On va vers une profusion de positionnements. Mais un engagement au-delà des labels rend le vin incomparable. Pour croire aux engagements plus émotionnels qu’il attend, le consommateur va devoir accéder, à travers des canaux comme l’œnotourisme ou les réseaux sociaux, à des niveaux d’information que les labels ne donnent pas. Plus qu’une norme, l’engagement c’est un récit personnel.

 

(1) Tous les deux ans, le Sial (Salon international de l’alimentation) étudie l’évolution des consommateurs et scrute l’innovation alimentaire. L’étude Kantar Food 360 a été réalisée dans 11 pays. Les résultats de l’étude 2020 ont été présentés en octobre dernier. 

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