Chronique
Prix abusivement bas : les coopératives exemptées de sanctions
Le Conseil d’État vient d’annuler un article de l’ordonnance du 24 avril 2019 offrant la possibilité d’agir en justice contre les coopératives agricoles accusées de fixer une rémunération des apports abusivement basse. Décryptage.
C’est dans le sillage de la loi Egalim que le gouvernement, par ordonnance du 24 avril 2019, avait ouvert aux associés coopérateurs et au ministre de l’Économie la possibilité d’agir en justice contre les coopératives agricoles accusées de « fixer une rémunération des apports abusivement basse » au détriment des coopérateurs. Le caractère abusivement bas devait s’apprécier au regard des indicateurs Egalim ou de tout autre indicateur disponible. L’action pouvait déboucher sur une réparation du préjudice subi, mais également donner lieu à une amende d’un montant maximum de 5 millions d’euros ou de 5 % du chiffre d’affaires.
Anticipant quelques difficultés toutefois, le texte ajoutait : « Dans la mise en œuvre de ces dispositions, la juridiction tient compte des spécificités des contrats coopératifs. » Très tôt en effet, des voix s’étaient élevées pour dénoncer un mélange contre nature de concepts commerciaux et de droit de la coopération agricole relevant du Code rural. Le nouveau dispositif reprenait en effet la prohibition par le Code de commerce des prix de vente abusivement bas et, surtout, l’action en responsabilité qu’il prévoit lorsqu’un acheteur de produits agricoles oblige son fournisseur à pratiquer un prix de cession abusivement bas.
Le Conseil d’État, par une décision du 24 février 2021, vient de mettre un terme à ce mariage de la carpe et du lapin, en annulant l’article de l’ordonnance du 24 avril 2019 qui créait le nouveau dispositif. Il est vrai qu’il heurtait le droit de la coopération sur trois points au moins.
Trois points du droit de la coopération touchés
En assimilant, d’abord, les relations entre les coopératives et leurs adhérents à une relation commerciale ordinaire entre un opérateur économique et ses clients. Or, les coopératives relèvent d’un cadre bien différent : les apports des coopérateurs ne sont pas des ventes et il ne saurait être question de négociation commerciale entre la coopérative et ses associés. La relation du coopérateur et de la coopérative s’inscrit dans une opération plus globale, qui dépasse la relation ponctuelle de l’acheteur et du vendeur.
Le nouveau dispositif, ensuite, tendait à assimiler la rémunération des apports à tout autre prix, alors que sa construction est spécifique. Elle s’opère au fil de l’exercice social par l’addition d’acomptes et d’éventuels compléments de prix et/ou ristournes. Elle se trouve en outre fixée in fine par décision de l’assemblée générale et donc, au moins pour partie, par le coopérateur lui-même. Dans ce contexte, la transposition au droit coopératif de la notion de prix abusivement bas apparaissait simpliste.
Le dispositif imaginé par le gouvernement, enfin, semblait remettre en cause le principe de solidarité entre les coopérateurs. Les pénalités dues par la coopérative à un coopérateur, en effet, auraient mécaniquement pénalisé les autres.
Champ d’habilitation non respecté
Ces reproches ont conduit la commission des Affaires économiques du Sénat à réclamer, par un rapport du 30 octobre 2019, la suppression de la possibilité pour les juges de sanctionner les coopératives au motif d’une rémunération des apports abusivement basse, sous le sobre intitulé : « Mesures d’urgence pour corriger les effets les plus néfastes de la loi Egalim. » C’est finalement le Conseil d’État qui, le 24 février, s’est chargé de procéder à cette suppression, mais sans s’embarrasser de considérations de droit coopératif.
Saisi par Coop de France, il s’est contenté de constater que la loi Egalim, en matière de coopératives, n’avait pas habilité le gouvernement à créer une action en responsabilité sur le modèle de celle qui existe en droit commercial et que celles de ses dispositions qui, par ailleurs, l’autorisaient à modifier les dispositions relatives aux prix abusivement bas des produits agricoles ne l’habilitaient pas à étendre ce dispositif aux coopératives. En clair, le gouvernement n’a pas respecté le champ de l’habilitation fixé par la loi. Il n’était pas, pour cette seule mais suffisante raison, en droit de créer le dispositif litigieux.
Le cabinet Racine
Le cabinet Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Olivier-Henri Delattre, avocat au cabinet Racine à Paris, est spécialisé en droit de l’agroalimentaire, conseil et contentieux judiciaire, administratif et arbitral.