Coopérative
« Plus de digital, de local, de frugal »
Le monde de l’après-Covid-19 sera-t-il si différent de celui d’hier ? Christian Couilleau, directeur général du groupe coopératif laitier Even, nous donne son point de vue.
Les Marchés Hebdo : Dans cette période de déconfinement, imaginez-vous un monde d’après ?
Christian Couilleau : Je ne crois pas que demain sera très différent. Après tout, ce ne sera que le monde d’après aujourd’hui. Pendant tout le confinement, comme partout, nous avons fait face à un taux d’absentéisme plus élevé que la normale (15 %). Mais je veux dire ici que les salariés d’Even ont eu conscience, pendant toute cette période, de leur mission d’utilité publique. L’Ouest ayant été plus faiblement touché par le coronavirus, c’est le réfrigérateur de la France qui a été épargné contrairement à son épicerie (bassin parisien, Grand Est). Il n’y a pas eu non plus de rupture dans la production alimentaire parce que les salariés d’Even se sont évertués à continuer le travail. Dans nos équipes, il y a eu de la cohésion, de la solidarité, une vraie mobilisation pour gérer le quotidien. Je donnerai juste un exemple : des salariés de nos usines de nutrition animale ont accepté de venir seconder les personnels des ateliers d’emmental, dont la production a fortement progressé pendant le confinement.
Les industriels doivent veiller à l’efficience productive
LMH : Quelles leçons tirez-vous de cette période inédite ?
C. C. : À l’échelle du groupe, nous avons tenu deux séminaires post-Covid. Ce que nous avons retenu, c’est trois choses : plus de digital, plus de local, plus de frugal dans les émissions carbone. Faisant déjà partie du monde d’aujourd’hui, le digital sera encore plus présent demain. Nous l’avons vu dans nos activités de vente de produits surgelés à domicile dont les prises de commande sur Internet ont progressé de 60 % en avril et de 40 % en mai. Mais le digital n’a pas qu’une fonction commerciale. C’est aussi un formidable outil de communication. Un exemple : pour soutenir ses clients restaurateurs qui ont dû fermer leur établissement du jour au lendemain à la mi-mars, Even Distribution a abondamment utilisé le canal digital pour leur proposer nombre de services – gestion de sa trésorerie, mise en place de vente à emporter, etc.
Je plaide pour un Egalim 3
LMH : Plus de digital n’est-il pas antinomique avec plus de local ?
C. C. : Je ne pense pas. De toutes les façons, plus de local ne signifie pas que l’on va relocaliser la production alimentaire au plus près des populations. Les avantages comparatifs font que l’on produit du lait là où il y a de l’herbe. Le marché va continuer de réclamer tout à la fois des garanties sur l’origine des produits, le bio, le bien-être animal, mais aussi sur le prix. Les industriels doivent donc veiller à l’efficience productive. Ce sera un enjeu dans les prochains mois avec un pouvoir d’achat qui pourrait baisser en France. Quant au frugal dans le carbone, c’est le principal enjeu de nos sociétés demain. Le secteur alimentaire doit continuer de nourrir les populations tout en limitant ses effets sur le climat. Mais produire en réduisant ses émissions coûte forcément plus cher à l’amont. Aussi, je plaide pour un Egalim 3 qui rédigerait une lettre d’intention de tous les acteurs pour partager avec le consommateur le prix de sa protection pour le futur.
Conséquences de l’épidémie sur le groupe laitier
Le groupe laitier finistérien a réalisé un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros en 2019 (+4,5 %). À partir d’une collecte de 1,5 milliard de litres de lait, sa filiale Laïta (marque Paysan breton) représente 60 % du chiffre, Even Distribution 29 % et Even Amont 10 %. Avec 1 260 agriculteurs adhérents, Even emploie 6 220 salariés dont 2 960 à Laïta et 2 940 à Even Distribution. L’effet du coronavirus va forcément dégrader les comptes du groupe sur l’exercice 2020. La fermeture du débouché de la RHD durant le confinement a fait chuter de trois quarts l’activité restaurants d’Even Distribution (86 % d’un chiffre d’affaires global de 635 millions d’euros en 2019). Les flux d’ingrédients secs expédiés hors d’Europe et les produits de grande consommation vendus en Europe ont été réduits de 35 %.