Chronique
Phytopharmaceutiques : quand les conseilleurs ne seront plus les vendeurs
La loi EGA du 30 octobre 2018 agite coopératives et négociants, car elle prévoit d’instaurer une séparation stricte entre la vente et l’application, d’un côté, et conseil, de l’autre, des produits phytopharmaceutiques. Explications.
Si elle a fait beaucoup parler d’elle avec son dispositif de « contractualisation inversée », la loi EGA (du 30 octobre 2018, n° 2018-938) agite également les opérateurs qui distribuent à leurs clients ou à leurs membres, selon qu’ils sont négociants ou coopératives, des produits phytopharmaceutiques en ce qu’elle vise à instaurer une séparation stricte entre la vente et l’application, d’une part, et le conseil sur l’utilisation desdits produits, d’autre part.
Entérinée à l’issue des états généraux de l’alimentation (EGA) en 2017 comme favorable à l’environnement, la séparation stricte entre la vente et le conseil repose, selon ce que l’on en pense, soit sur du pur bon sens, soit sur un désagréable procès d’intention envers les opérateurs qui jusqu’à présent fédéraient les deux activités. Le président de la République a marqué sa préférence pour la thèse de la défiance qui a annoncé, dans son discours du 12 octobre 2017 (clôturant les EGA) : « j’ai pris un engagement, il sera là aussi dans la loi, c’est de séparer le conseil de la vente. Sur beaucoup de produits phytosanitaires, il y a encore une vente liée qui fait que le conseil n’est pas indépendant et la loi séparera la vente du conseil ».
Dans l’attente d’une ordonnance
Comme souvent pour des sujets techniques, le législateur a renvoyé à une ordonnance, devant intervenir impérativement avant le 1er mai 2019, le soin de préciser les modalités de la séparation. Aux termes de l’article 88 de la loi, cette ordonnance aura pour objet de « rendre l’exercice des activités de vente et d’application incompatible avec celui de l’activité de conseil à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques ». Depuis l’entrée en vigueur de la loi, le gouvernement a présenté pas moins de quatre projets d’ordonnance, lesquels ont, à chaque fois, d’autant plus suscité de fortes réactions de la part des opérateurs concernés qu’ils ont progressivement durci le dispositif. Compte tenu du calendrier et de sa diffusion pour consultation publique, la quatrième version (V4) paraît être la version ultime du projet avant passage devant le Conseil d’État.
Il en ressort, en bref et en premier lieu, une organisation détaillée de la séparation vente/application, d’un côté, et conseil, de l’autre. Pragmatiquement, les rédacteurs du texte sont allés jusqu’à prévoir les conditions d’une séparation capitalistique entre les entreprises se livrant respectivement aux activités étanchéifiées. En second lieu, le texte définit le « nouveau conseil » qui se dédoublera entre « conseil stratégique » (pluriannuel) et « spécifique ». Symétriquement (mais non sans paradoxe), le vendeur serait, quant à lui, dégagé de toute obligation de conseil ou de mise en garde sur un produit qu’il connaît mieux que quiconque.
Une séparation effective à compter du 1er janvier 2021
Les détracteurs du projet relèvent que le futur conseil sera beaucoup plus onéreux pour les exploitants compte tenu des exigences du texte : analyse des sols, diagnostic éco-environnemental de l’exploitation… Ils mettent également en avant que jusqu’à présent, les vendeurs leur dispensaient des conseils éclairés qu’ils étaient loin de facturer à leur juste valeur, comme une sorte de service complémentaire à la vente.
On peut s’attendre à ce que les coûts du conseil indépendant renchériront in fine ceux des produits puisque à la faveur de la nouvelle contractualisation, les (sur) coûts pesant sur les producteurs devront être pris en compte « en cascade » tout au long de la filière jusqu’à sa distribution finale.
Même si la loi prévoit que la séparation ne sera effective qu’à compter du 1er janvier 2021, les opérateurs actuellement « généralistes » déplorent la brutalité d’un dispositif qui les obligera à faire dès maintenant un choix lourd de conséquences économiques et sociales pour une efficacité restant selon eux à prouver.
LE CABINET RACINE
Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Samuel Crevel, associé, y traite des questions relatives à l’agriculture et aux filières agroalimentaires. Magistrat de l’ordre judiciaire en disponibilité ayant été notamment chargé des contentieux relatifs à l’agriculture à la Cour de cassation, il est directeur scientifique de La Revue de droit rural depuis 2006.
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